Il assure ne pas vouloir faire un énième « grand plan », mais plutôt « réfléchir à remettre du bon sens et de l’efficacité concrète et de la rapidité dans notre système ». Ce sont pourtant des réformes d’ampleur que le ministre de la Justice, Gérard Darmanin, met sur la table. Dans une lettre adressée à l’ensemble des magistrats, le garde des Sceaux propose en effet une série de réformes, qui ne sont pas un simple toilettage.
Passer de « plus de 200 » peines à « quatre » seulement
Le ministre souhaite notamment étendre la procédure de plaider-coupable, possible pour certains délits, aux crimes, ce qui nécessite de passer par la loi. Une extension du plaider-coupable à la matière criminelle, pour les infractions liées au trafic de drogue, figurait déjà dans la proposition de loi sur la lutte contre le narcotrafic adoptée fin avril, avant d’être supprimée en commission. L’objectif de la mesure est de désengorger les cours d’assises et cours criminelles et réduire les très longs délais de tenue des procès. L’accord de la victime pour une telle procédure serait nécessaire.
Autre mesure de taille : « Clarifier » l’éventail des peines, en les faisant passer de « plus de 200 » à « quatre » seulement : « Peine d’emprisonnement (sans sursis) », la probation (aménagements de peine, travaux d’intérêt généraux), les jours-amendes et les amendes, et la « peine d’interdiction ou d’obligation », écrit le ministre. En conséquence, la prison avec sursis disparaîtrait.
Selon Le Monde, « dans l’esprit du garde des Sceaux, la prison serait réservée aux seuls condamnés pour des faits de narcotrafic et de violences aux personnes (terrorisme, homicides, agressions sexuelles, violences intrafamiliales…). En revanche, les violences aux biens, les délinquances financière ou routière ne passeraient plus par la case prison et seraient punies par des peines de probation ou d’amendes ». Mais la violation de ces peines « entraînera immédiatement une incarcération », précise le ministre dans sa lettre.
« Seuils minimaux pour garantir une réponse claire dès la première infraction »
Autre point important : « Ces peines pourront être assorties de seuils minimaux pour garantir une réponse claire dès la première infraction si la culpabilité est retenue, en particulier pour les actes de délinquance du quotidien, qui pourrissent la vie de nos concitoyens », écrit Gérald Darmanin. Un retour des peines planchers en somme, qu’avait portées son mentor, Nicolas Sarkozy.
Le ministre de la Justice évoque aussi toute une série de mesures pour « simplifier la justice civile », « faciliter l’accès à la justice », « repenser la prison », avec la création de prisons « thématiques ». Quant à la surpopulation carcérale, il écarte la régulation, privilégiant la construction de places de prison. Gérard Darmanin évoque enfin l’expérimentation des audiences en visioconférence, la suppression des courriers papier ou encore l’usage accru de l’intelligence artificielle.
« Des réformes profondément radicales », selon l’entourage du ministre
Autant de sujets, que le ministre entend présenter, ce soir, devant les parlementaires. Gérald Darmanin a invité l’ensemble des 1006 députés, sénateurs et eurodéputés français, de Marine Le Pen à Mathilde Panot en passant par Gabriel Attal, pour « un cocktail dînatoire », Place Vendôme, comme publicsenat.fr l’a appris. « Il veut expliquer aux parlementaires ces réformes qu’il souhaite voir portées, qui sont pour beaucoup par voie législative », explique-t-on dans l’entourage du ministre. Mais les sénateurs socialistes y voient avant tout un « grand raout », au service des ambitions du ministre. « Il fait campagne aux frais de la République », dénonce même le patron du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner (lire notre article pour plus de détails).
Du côté de la Place Vendôme, on juge que lancer l’invitation à tous les parlementaires est parfaitement justifié, « car ce sont des réformes profondément radicales. Passer de 225 peines à 4 peines, c’est radical. Des peines minimales, qui sont plus fortes que des peines planchers, c’est radical », fait valoir l’entourage de Gérald Darmanin, où on veut voir par ailleurs une « marque de respect et de confiance envers le Parlement ».
« Sur les quatre familles de peine, il n’a pas tort »
A la commission des lois du Sénat, le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse salue globalement l’initiative du ministre. « Sur les quatre familles de peine, il n’a pas tort. On ferait mieux de simplifier les choses ainsi, avec des peines qui auraient une amplitude peut-être moins grande, pour que les peines prononcées soient plus proches que les peines possibles dans la loi », souligne le sénateur LR du Nord.
Il soutient aussi l’idée de prisons thématiques. « Quand on met en contact le petit délinquant avec les gros délinquants, on l’a vu dans le terrorisme, généralement, ce n’est pas le petit criminel qui devient moins nocif, c’est le petit délinquant qui devient plus nocif. Un des principaux lieux où on recrute des terroristes, ça a été le milieu carcéral », souligne le sénateur LR, qui ajoute : « Faire des prisons adaptées à la gravité des faits, ça évite la contagion entre petits et gros délinquants ».
« A un moment donné, quand la gravité des faits se situe au niveau criminel, et non délictuel, il faut respecter un processus judiciaire », souligne Marc-Philippe Daubresse
En revanche, sur le plaider-coupable élargi, Marc-Philippe Daubresse est moins emballé. « Avoir des procédures plus courtes, avec des sanctions plus courtes, ne peut être que favorable à l’engorgement de la justice. Mais faut-il aller là-dessus sur les crimes, les viols et les tentatives de crimes et de viols ? Je ne le pense pas. A un moment donné, quand la gravité des faits se situe au niveau criminel, et non délictuel, il faut respecter un processus judiciaire », soutient l’ancien ministre, qui ajoute cependant : « Sur les affaires de drogues, si on a un flagrant délit, et une saisie de drogue et qu’on peut régler ça de manière plus rapide, pourquoi pas. Mais généralement, quand vous êtes avec un trafic de drogue avéré, vous avez derrière très souvent des problèmes criminels, qui peuvent impliquer de la prostitution par exemple. Ça me semble dangereux de faire du plaider-coupable là-dessus », soutient Marc-Philippe Daubresse.
S’il veut mener à bien ses réformes, Marc-Philippe Daubresse met Gérard Darmanin en garde sur un point : « Il va se retrouver confronté aux mêmes problématiques que Bruno Retailleau, à l’Intérieur. Je lui ai dit. C’est qu’avec la jurisprudence de plusieurs cours supranationales, et l’idéologie qui les sous-tend, ou le Conseil constitutionnel, on se heurte à chaque fois à des impossibilités ou des censures, la plupart du temps au motif du principe de proportionnalité ». Pour le sénateur LR, la solution – loin d’être simple – sera de « modifier la Constitution ». Autre difficulté, que souligne le sénateur du Nord : « Les professionnels de justice sont sur des logiques qui ne vont pas dans le même sens que le cap que veut donner le garde des Sceaux ».
Marie-Pierre de la Gontrie pointe une « vision superficielle de gestionnaire. Ce n’est pas le prélèvement à la source »
A gauche, la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie dénonce particulièrement la méthode du ministre, dans sa forme. « Il n’a pas présenté ses projets aux parlementaires, en commission des lois. Et ce soir, il fait un grand raout à la Chancellerie, où il invite plus de 800 personnes. On est tous invité. Ce n’est pas sérieux. On va servir de faire valoir à la présentation de son programme présidentiel. On attend qu’il vienne davantage devant la commission des lois », dénonce la sénatrice PS de Paris.
Quant au plaider-coupable élargi aux crimes, « ça veut dire qu’il n’a aucune conscience et connaissance de la façon dont se passe un procès. Ce n’est pas un dossier qu’on règle sur un coin de table », tance Marie-Pierre de la Gontrie. « C’est terrible, car c’est mettre de côté tout ce qui est enquête de personnalité, parcours de la personnalité jugée », craint la sénatrice PS, qui ajoute : « C’est une vision malsaine d’un procès pénal. C’est une vision superficielle de gestionnaire. Ce n’est pas le prélèvement à la source ».
Ce qui laisse enfin Marie-Pierre de la Gontrie très dubitative, c’est le contexte politique, avec une grande difficulté pour faire adopter des textes à l’Assemblée. « Vous ne proposez pas ce type de réforme extrêmement lourde ainsi. Dans un contexte plus classique ça mettrait déjà au moins un an… » relève la socialiste.
Défendre une grande loi de justice pourrait en effet s’avérer périlleux. Le ministère pourra toujours recourir à quelques mesures réglementaires et compter sur les parlementaires, avec des propositions de loi. Comme le glisse un conseiller ministériel, « tout le monde fait ça en ce moment ».