Plainte du ministère du Travail contre la publication de documents dans Libération, François Bayrou accusé de "pression" sur Radio France, frictions avec l'Elysée: les relations entre l'exécutif et la presse se tendent, certains journalistes dénonçant des atteintes au droit d'informer.
Vendredi, la direction générale du Travail a déposé une plainte contre X pour vol et recel de documents à la suite de la publication dans Libération d'informations présentées comme des pistes de la future réforme du code du travail.
"Je n'ai pas souvenir que l'administration ait porté plainte pour la divulgation de documents qui ne sont même pas secret défense ou quoi que ce soit", a protesté auprès de l'AFP Johan Hufnagel, directeur adjoint de Libération. Il a fait un parallèle avec l'arrestation récente aux Etats-Unis d'une sous-traitante du gouvernement pour avoir, selon le département de la Justice, transmis un document top secret à un média en ligne.
Si le gouvernement assure que la plainte ne vise pas Libération mais le fonctionnaire à l'origine de la fuite, c'est "un signal envoyé à la profession pour la museler", s'est offusqué le syndicat SNJ-CGT.
En fin de semaine dernière, on apprenait également que le ministre de la Justice, François Bayrou, avait contacté l'un des directeurs de Radio France pour se plaindre des appels de ses journalistes à des collaboratrices du MoDem, parti dont il est toujours président, considérés par lui comme du "harcèlement". Cet appel est intervenu mercredi, quelques heures avant la diffusion d'une enquête sur les emplois d'assistants parlementaires d'eurodéputés de son parti.
Le directeur des enquêtes et de l'investigation de Radio France, Jacques Monin, a dénoncé une "pression" et Dominique Pradalié, la secrétaire nationale du SNJ, premier syndicat chez les journalistes, a évoqué une "petite affaire d'Etat".
Le ministre a affirmé à l'AFP avoir appelé en tant que "citoyen", estimant que cela n'avait "rien à voir" avec sa fonction.
Dimanche, en annonçant son score au premier tour des législatives, le ministre de la cohésion des territoires Richard Ferrand en a profité pour décocher une flèche aux journalistes présents. "Malgré vos efforts méritoires, je constate que les Finistériennes et les Finistériens m'ont réitéré leur confiance", a déclaré ce proche d'Emmanuel Macron, visé par une enquête préliminaire relative à une affaire immobilière.
- "Instaurer une verticalité" -
Pendant la campagne électorale, Emmanuel Macron avait été un des seuls candidats à ne pas participer ouvertement au "media bashing", qui voyait certains prétendants à l'Elysée comme François Fillon ou Marine Le Pen attaquer les journalistes et leur traitement de l'actualité.
Mais dès son arrivée à l'Elysée, les relations du nouveau président et de son gouvernement avec la presse se sont durcies.
Dès le 18 mai, à l'occasion du déplacement du chef de l'Etat au Mali, l'Elysée avait tenté de choisir les journalistes qui devaient l'accompagner, s'attirant les protestations des directeurs de rédactions et d'une vingtaine de sociétés des journalistes de médias nationaux, dont celle de l'AFP.
L'Elysée privilégie aussi les médias audiovisuels pour la couverture de ses déplacements.
La parole présidentielle est devenue plus rare dans les médias, le chef de l'Etat préférant une expression sans filtre via les réseaux sociaux, les caméras des télévisions.
Il veut "instaurer une verticalité, une présidence marquée par la distance avec les journalistes", relève Alexis Lévrier, historien des médias, y voyant "presque une volonté (...) de leur faire comprendre qu'ils doivent se tenir à leur place".
"Les choses ne vont pas forcément bien quand la presse devient juge", a lancé le président fin mai à propos du rôle de la presse dans les affaires.
Concernant le recours présidentiel aux réseaux sociaux, le gouvernement assume: "ce n'est pas un contournement, vous (les médias, ndlr) vous mettez dans la position du taxi délaissé au profit d'Uber. Les deux peuvent aller de pair. Regardez ce qu'a fait Obama", commente à l'AFP un conseiller gouvernemental.
"Tout cela relève de la mise à distance des journalistes par le nouveau pouvoir", mais "il est un peu tôt pour dire s'il s'agit d'une stratégie de caporalisation de la presse", estime Christian Delporte, autre historien des médias, qui voit dans ces tensions le reflet de la "méfiance (du pouvoir, ndlr) à l'égard des médias, facilitée par la méfiance de l'opinion vis-à-vis" de ces mêmes médias.