Plan ferroviaire : la commission des finances du Sénat déplore « l’absence de vision politique d’ensemble »

Plan ferroviaire : la commission des finances du Sénat déplore « l’absence de vision politique d’ensemble »

Après avoir reçu le rapport du Comité d’orientation des infrastructures, Élisabeth Borne a annoncé, vendredi 24 février, un plan d’investissement de 100 milliards d’ici 2040 pour une « nouvelle donne ferroviaire ». Des annonces qui n’ont pas vraiment convaincu les sénateurs.
Henri Clavier

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En annonçant ce plan, la première ministre entend répondre aux inquiétudes suscitées par l’évolution du secteur et la santé financière de la SNCF (malgré un résultat net positif à hauteur de 2,4 milliards d’euros). Pour ne pas rester à quai, l’exécutif a retenu le scénario intermédiaire du COI, nommé « planification écologique », mettant l’accent sur la modernisation du réseau et l’amélioration de l’offre de transport au quotidien. Le plan compte sur la mobilisation de 84,3 milliards d’euros sur la période 2023-2027, un budget qui servira, en partie, à la réalisation des RER métropolitains, annoncés par Emmanuel Macron en novembre. Pour rappel, au Sénat, le président de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, estimait à 100 milliards les besoins d’investissement pour les dix prochaines années, il avait insisté sur la vieillesse des infrastructures françaises (30 ans, soit deux fois plus vieilles qu’en Allemagne).

Les annonces, malgré leur allure ambitieuse, ne suffisent pourtant pas à rassurer les deux rapporteurs spéciaux Hervé Maurey, sénateur « Union Centriste » de l’Eure et Stéphane Sautarel, sénateur LR du Cantal de la commission des finances sur le contrôle budgétaire sur la situation financière et les perspectives de la SNCF (mars 2022). À l’occasion d’un petit-déjeuner de presse organisé au Palais du Luxembourg, les deux élus ont fait part de leurs inquiétudes.

Un plan à la hauteur ?

« Le point positif, et il n’y en a pas beaucoup, des annonces, c’est la validation des analyses du rapport », commence Hervé Maurey, satisfait de voir les principales recommandations du rapport prises en compte par le gouvernement. Le ton s’est, cependant, durci immédiatement puisque le sénateur de l’Union Centriste a considéré que « les moyens prévus en matière de ferroviaire sont insuffisants », tandis que Stéphane Sautarel s’est interrogé sur les raisons poussant l’exécutif à ne pas « retenir la solution du COI à 100 milliards d’euros. »

Si les sénateurs se félicitent que la modernisation du réseau se trouve au centre des annonces faites par Élisabeth Borne (500 millions par an y seront consacrés), notamment en saluant les « priorités affichées », le flou qui entoure le plan d’investissement inquiète. « On peut se réjouir de 500 millions par an pour la modernisation du réseau, mais, en réalité, il faut 35 milliards ! », s’agace Hervé Maurey avant de rappeler que cette somme est « une nécessité absolue pour la pérennité de notre réseau ». Pour les deux sénateurs, les annonces semblent insuffisantes, si le gouvernement a bien compris qu’une urgence existait, les propositions résultent d’une « prise en compte partielle ».

Pas de rupture donc, alors que le sujet de la mobilité s’impose de plus en plus comme une question centrale. « J’ai peur que l’on traite toujours des mêmes questions et des mêmes problèmes dans deux ou trois ans… il est urgent de changer de braquet », affirme Hervé Maurey.

Face aux « effets d’annonce », la commission des finances veut des éléments concrets

L’approche stratégique de l’Etat est largement remise en question, l’absence de « vision politique d’ensemble » est au cœur de la critique. « L’Etat doit clarifier sa position avec un plan d’investissement sur le long terme », affirme Stéphane Sautarel. Un point de vue partagé par le sénateur centriste qui déplore l’absence de « calendrier prévisionnel de la part de la première ministre. Le problème c’est que le gouvernement ne répond pas à la question de l’ambition, de la vision pour le réseau ferroviaire. »

Par ailleurs, les deux membres de la commission des finances s’exaspèrent de la multiplication des « effets d’annonce » sur la question des transports. De manière générale, ces grandes annonces, au compte-goutte, irritent les élus de la chambre haute « Les effets d’annonce, on connaît ! La loi de planification devait être revue avant 2023, on attend toujours. » soupire Hervé Maurey. Il est vrai que le président de la République a pour habitude de faire cavalier seul en annonçant une grande mesure sans nécessairement en détailler les contours. L’exemple des RER métropolitains est frappant, annoncés à la fin de l’année 2022, sans consulter les projets existants déjà, on ne dispose toujours pas de « calendrier et je n’ai pas vu beaucoup de propositions. La mobilité est une priorité, il faut que cela se manifeste par des faits », note le sénateur de l’Eure. Un manque d’information et de précision habituel selon les membres de la commission des finances. « On multiplie les effets d’annonce lorsqu’on n’a pas mis les financements, on l’a vu sur les trains de nuit, l’adaptation au Green deal ou l’ouverture de nouvelles lignes », analyse Hervé Maurey. Sur la question des RER métropolitains, l’origine du financement est une source importante de crispation.

« La source de financement est une inquiétude forte »

Si le gouvernement a annoncé un plan à hauteur de 100 milliards à l’horizon 2040, l’intégralité des dépenses ne sera pas assumée par l’Etat, loin de là. Sur la période 2023-2027, la participation de l’Etat ne devrait pas excéder un tiers de l’enveloppe totale (84.3 milliards d’euros), le reste est principalement assumé par les collectivités territoriales, la SNCF et la Société du Grand Paris (SGP). L’équilibre et l’origine des ressources financières interpellent, surtout dans les couloirs du Palais du Luxembourg, où l’on fait très attention à la charge qui incombe sur les collectivités territoriales.

La principale crainte est que l’Etat n’augmente pas spécifiquement sa participation, laissant alors reposer la charge de la dépense sur les collectivités territoriales, notamment en matière d’infrastructures. Alors que les « volets mobilité » du Contrat de plan entre l’Etat et les régions (CPER ; ce contrat structure les relations entre l’Etat et les régions dans le cadre du développement du territoire) n’ont pas encore été signés, la répartition des coûts entre l’Etat et les régions est cruciale. « Les régions ne pourront pas tout faire. L’Etat doit assumer le poids des infrastructures et les régions celui du matériel roulant » prévient Stéphane Sautarel.

« La source de financement est une inquiétude forte », pour Stéphane Sautarel, pas vraiment convaincu par les annonces du gouvernement sur la question. Vendredi, les services de la première ministre affirmaient que des « sources de financements externes » seraient dégagées auprès des « secteurs plus émetteurs de gaz à effets de serre ». Une fausse solution puisque « le contrat est beaucoup trop avantageux pour les exploitants d’autoroutes, dans l’état actuel du droit, la répercussion des prix se fera sur les usagers », souligne le sénateur LR. Faire peser des charges plus importantes sur des modes de transport plus polluants semble cependant une nécessité afin de réduire le coût du train pour les usagers.

Le modèle ferroviaire français, mauvais élève européen ?

L’augmentation de la fréquentation et la maîtrise des tarifs sont des étapes essentielles vers la réalisation des objectifs environnementaux fixés par la Commission européenne. Pour atteindre une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre liées aux transports, l’exécutif européen préconise de doubler le trafic ferroviaire. Or, le gouvernement, dans ses annonces, ne semble pas prendre les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif, d’autant plus que « l’Union européenne a voté pour 2030 la fin des voitures à moteur thermique », précise Hervé Maurey, un autre facteur d’augmentation du recours au transport ferroviaire.

Enfin, les deux sénateurs ont insisté sur le retard de la France au niveau européen, en citant l’Allemagne et ses investissements, par la puissance publique, dans les infrastructures « trois à quatre fois supérieures à ce qui est fait en France ». Une première piste d’explication réside dans la capacité de la France a mobilisé les fonds européens, une « grande interrogation » pour Stéphane Sautarel qui continue en affirmant que « la mobilisation de fonds européens a été décisive pour financer des infrastructures en Italie ».

 

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