Emmanuel Macron doit dévoiler mardi, devant un parterre d’étudiants et de chefs d’entreprise réunis à l’Elysée, son plan pour la réindustrialisation de la France d’ici à la fin de la décennie. « Un objectif : bâtir la France de 2030 et faire émerger dans notre pays et en Europe les champions de demain », avait annoncé le président de la République lors de son allocution du 12 juillet, promettant une présentation à la rentrée. Les secteurs ciblés : l’industrie verte, les biotechnologies, ou encore l’agriculture. Une liste à laquelle Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des Finances, a rajouté l’hydrogène, les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle et l’avion bas carbone lors de sa présentation du projet de loi de finances 2022.
Alors que la crise sanitaire et ses répercussions économiques ont mis en lumière la dépendance de la France vis-à-vis de ses fournisseurs dans certains domaines, comme la production pharmaceutique, le plan « France 2030 » entend permettre à certaines filières stratégiques d’affirmer leur émancipation, comme l’aéronautique, l’agroalimentaire ou encore le numérique. Ce plan, estimé entre 30 et 50 milliards d’euros étalés sur cinq ans, constitue le « 3e étage de la fusée », pour reprendre une formule utilisée par Agnès Pannier-Runacher, la ministre déléguée chargée de l’Industrie, après les mesures d’urgence débloquées au plus fort de la crise sanitaire - le fameux quoi-qu’il-en coûte –, et le plan France Relance visant à consolider la reprise, et qui vient de fêter sa première année. Pour financer ce nouveau volet, le gouvernement table en grande partie sur la croissance, estimée à 6,25 % en 2021, selon les chiffres présentés lundi par Bruno Le Maire à l’Assemblée nationale.
Des mesures attendues dans la filière nucléaire
Dans une tribune publiée le 1er septembre par Challenges, Emmanuel Macron explique que les investissements de France 2030 doivent se matérialiser par des applications concrètes, expliquant vouloir « donner aux TGV, Ariane, Concorde ou réacteurs nucléaires, des successeurs à la mesure des révolutions technologiques du XXIe siècle. » « C’est le moment de préparer la France aux succès économiques des vingt ou trente prochaines années », a abondé Bruno Le Maire le 22 septembre. Dans cette perspective, des annonces sur la construction de petits réacteurs nucléaires, les SMR (Small Modular Reactors) sont particulièrement attendues. Plus petits et plus simples à fabriquer que les EPR, comme celui de Flamanville, englué dans les retards et un dépassement des coûts, ils pourraient compenser la forte croissance en demande d’électricité attendue d’ici les trois prochaines années. Rendu en juillet, un rapport de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques plaide d’ailleurs en ce sens. « C’est une idée à laquelle on ne peut qu’adhérer », relève auprès de Public Sénat le sénateur communiste Éric Bocquet, vice-président de la commission des finances.
L’élu du Nord estime toutefois que « 30 à 50 milliards d’euros restent une somme maigrelette » au regard de ce que certaines puissances, comme les États-Unis, investissent en matière d’innovation. Il espère surtout qu’un volet du dispositif sera consacré aux relocalisations, « ainsi qu’à la formation, car si l’on se projette sur une échéance de 10 ans, il me paraît indispensable de la renforcer, durant le cursus scolaire et en entreprise. »
« On n’organise pas un débat par voie d’amendements »
Attendues dans le budget 2022, les premières mesures du plan France 2030 ne figuraient toutefois pas dans la copie présentée au Haut conseil des finances publiques (HCFP). La faute, sans doute, au report de la présentation du dispositif, initialement prévue en septembre mais retardée après une réunion ministérielle houleuse fin août, selon le récit du Canard enchaîné. Dans son avis, le HCFP déplore l’absence de ces « mesures d’ampleur », dans un contexte de fortes incertitudes, alors que « le poids des dépenses publiques dans le PIB serait en 2022 près de deux points au-dessus de son niveau de 2019 ». De son côté, l’Elysée promet « un chiffrage clair, précis et daté dans le temps » lors de la présentation de mardi, ainsi qu’une série de transcriptions par voie d’amendements au cours de la discussion budgétaire qui va occuper le Parlement jusqu’à Noël. « Ce ne sera pas 30 milliards d’un coup et il y a une part de recyclage du 4e programme d’investissements d’avenir lancé en 2021 », a expliqué à l’AFP la députée LREM Cendra Motin.
Mais pour le sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances, « on nage dans le flou le plus complet ». Il déplore une forme de précipitation, et surtout l’absence totale de concertation avec les élus. « On n’organise pas un débat par voie d’amendements, c’est cavalier et irrespectueux du Parlement ! », s’agace-t-il. « On ne présente pas un projet de cette ampleur-là sans avoir consulté la représentation nationale. Il faut une feuille de route, qui ne se fait pas au fond d’un bureau, sur des coins de tables, mais à travers des échanges, plus de transparence, notamment avec les territoires qui abritent des acteurs stratégiques de premier plan, car si l’État était bon stratège tout le temps, cela se saurait. » Une manière de répondre au chef de l’État qui dans sa tribune assurait pourtant vouloir d’un plan qui ne soit « pas un plan venu d’en haut, de Paris, de Bercy, mais le plan des Français, de tous ceux qui, étudiants en école d’ingénieurs, chercheurs, entrepreneurs, investisseurs, veulent faire ce pays plus fort et plus prospère. »
La sénatrice LR Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, regrette également cette façon de faire. « Un amendement, c’est quelque chose qui vient corriger à la marge une disposition. Vous imaginez, installer un plan d’investissement de cette manière ? On n’aura aucune visibilité sur l’articulation des dispositifs. On sait que le diable se niche dans l’exécution des choses. Qui va piloter tout ça ? Quel sera le rôle de la Banque publique d’investissement ? », interroge-t-elle.
Un manque de lisibilité
Car au-delà des inconnues sur le nombre exact de filières concernées et les montants alloués – qu’Emmanuel Macron devrait lever mardi – , les sénateurs s’inquiètent d’une confusion avec les annonces faites au fil des derniers mois. « Nous sommes perdus. Moi-même, je ne sais plus aujourd’hui l’architecture de tous ces milliards », concède Sophie Primas. Entre les 140 milliards des mesures d’urgence prises pendant la crise, les 100 milliards de France Relance, et plus récemment les annonces faites autour du Beauvau de la sécurité, du plan pour la ville de Marseille, de la réforme de l’assurance récoltes ou encore du chèque énergie, la litanie des chiffres a effectivement de quoi donner le tournis.
« France 2030, c’est un vertige de plus. Cet affichage de milliards donne le vertige ! », résume Jean-François Husson. « On a déjà eu des milliards de déversés avec des objectifs plus ou moins similaires. Il aurait fallu commencer par déterminer ce qui n’avait pas encore été consommé dans les mesures d’urgence et de relance », pointe-t-il. « Et alors que ces milliards pleuvent à gogo, les Français n’ont pas l’impression de les voir passer, poursuit-il, il faut emmener les citoyens, et pour y parvenir, il faut un partage à travers un volet social et écologique. » Un point sur lequel le communiste Éric Bocquet le rejoint : « On ne peut pas raisonner sur ces questions-là sans s’attaquer aux inégalités, qui ont encore été renforcées pendant la crise. On ne peut pas traiter l’un sans l’autre. »
« France 2030 », un instrument de campagne ?
France 2030 est aussi un levier pour Emmanuel Macron, qui avec ce plan d’investissement peut se projeter dans le temps long, et donc dans la perspective d’un second quinquennat. De quoi laisser penser que la réindustrialisation sera l’un des thèmes de sa probable campagne de réélection. Jeudi, en clôturant le rassemblement d’entrepreneurs Bpifrance Inno Génération, le Président a d’ailleurs renoué avec deux concepts de sa campagne de 2017 : le « et en même temps » et la « start-up nation » : « J’entends souvent opposer la start-up nation et la France industrielle […]. La réindustrialisation française passera aussi, et peut-être surtout dans certains domaines, par les start-up », a-t-il déclaré, unissant dans une même formule les acteurs traditionnels de l’industrie et les pionniers de l’innovation, dont beaucoup se sont démarqués pendant la crise. « On sent bien que le Président est dans une phase de conquête, il veut faire le buzz tous les matins ! », observe Sophie Primas. Usant lui aussi d’une formule macronienne, le sénateur Husson renvoie au bilan du quinquennat écoulé : « La réindustrialisation, c’est de la poudre de perlimpinpin. Pour l’instant, on n’en a pas vu l’ombre d’un début. »