Pour plusieurs raisons, le débat sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 s’annonçait compliqué au Sénat. Le premier accrochage est intervenu dès la fin de la discussion générale, marquant le début de l’examen dans la chambre haute ce 12 novembre, deux jours avant la mobilisation nationale des personnels des hôpitaux. Les sénateurs ont adopté une motion provoquant le renvoi en commission du projet de loi. Symboliquement, l’examen du texte est ralenti.
Cette procédure, initiée par le président de la commission des Affaires sociales, Alain Milon (LR), a été soutenue par la plupart des groupes au Sénat, de la gauche (socialistes et communistes) aux bancs de la majorité sénatoriale (droite et centre). Pour le groupe de la République en marche, le sénateur Michel Amiel (ex-PS) a déclaré qu’il pouvait « comprendre » ce « mouvement d’humeur ».
« Nous sommes irrités », déclare le rapporteur général au nom des sénateurs
Hôpital : colère du rapporteur Vanlerenberghe, sur le calendrier de présentation du plan
Comme nous l’expliquions peu avant l’ouverture des débats, la commission des Affaires sociales, qui n’avait déjà pas approuvé le montant des dépenses sociales (l’Ondam), a estimé que la « sincérité » des débats était compromise, après les révélations du Journal du dimanche (JDD) de l’annonce, dans les prochains jours, d’un plan pour l’hôpital. Un calendrier quelque peu fâcheux, car le Sénat pourrait être appelé à se prononcer sur le financement de l’hôpital, avant même d’avoir la primeur des annonces gouvernementales.
« Cette situation n’est pas acceptable », a déploré Alain Milon. À la tribune, le rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe (UDI) a redouté que sitôt le PLFSS voté, il ne soit « obsolète ». Le centriste, à l’instar d’autres collègues, a déploré la méthode, sur le fond comme sur la forme. « Nous sommes irrités ! […] À quoi sert le Parlement, et le débat qui est en cours, si tout se passe en dehors de cette enceinte ! » Pour la communiste Laurence Cohen, l’absence du plan pour l’hôpital dans le texte traduit une « mascarade ». « On est dans un brouillard qui est à couper au couteau », s’est-elle indignée.
Des annonces connues au plus tard avant la nouvelle lecture du PLFSS
L’article fixant l’Objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) devrait être examiné au Sénat lors de la séance de vendredi ou samedi. C’est-à-dire après la manifestation des personnels soignants du jeudi 14 novembre. Un délai suffisant pour intégrer les amendements du gouvernement sur la revalorisation des métiers hospitaliers et les investissements promis ? Agnès Buzyn a toutefois assuré que la date du 20 novembre, évoquée par le JDD, « ne correspondait à aucune date fixée ». Une chose est sûre à cette heure : les annonces qui nécessitent une traduction législative et une intégration dans le PLFSS le seront effectivement, quitte à être examinées lors de la nouvelle lecture. L’an dernier, la nouvelle lecture dans les deux chambres s’était tenue du 21 au 28 novembre.
Autre annonce : la ministre a confirmé que des discussions étaient bien en cours sur le niveau de l’Ondam. Actuellement, ces dépenses doivent progresser de 2,3% en 2020 (soit 1,7 milliard d’euros supplémentaires pour l’hôpital), contre 2,5 en 2019. Les annonces du gouvernement « ne priveront pas le Parlement d’une discussion », a assuré Agnès Buzyn, en réponse aux sénateurs et sénatrices accusant le gouvernement de ne pas respecter leur institution.
« Nous n’avons pas droit à l’erreur », assure Agnès Buzyn
Reprise la dette abyssale des hôpitaux par l’État ou encore relèvement de l’Ondam pour permettre des investissements dans les hôpitaux, enfermés dans l’austérité budgétaire pendant de nombreuses années : les quelques idées disséminées dans la presse dimanche ne peuvent pas encore être considérées comme des « annonces », selon la ministre. « Conscient d’une crise profonde » de l’hôpital, et alors que le contexte social dans le pays s’assombrit, le gouvernement ne veut pas se louper. « La réponse que doit apporter le gouvernement doit être à la hauteur de l’enjeu […] Nous n’avons pas droit à l’erreur », a insisté la ministre, selon laquelle les « arbitrages sont très complexes ».
À moins d’un mois d’un mouvement de grève contre la réforme des retraites, le président de la commission des Affaires sociales a d’ailleurs mis en garde, avec gravité, le gouvernement. « À trop vouloir se passer du Parlement et des corps intermédiaires, le gouvernement va se trouver bien seul face aux mouvements sociaux en cours ou à venir. Un face-à-face dangereux […] qui peut conduire à la paralysie et à l’abandon des réformes. Peut-être pire encore ! » Regardez :
PLFSS2020 : « Le gouvernement va se trouver bien seul face aux mouvements sociaux » (Alain Milon)
La procédure de renvoi en commission reste en tout cas très symbolique. La commission des Affaires sociales, qui a réussi à stopper les débats à 19h30, devra présenter ses conclusions, à la reprise, à 21h30. Le règlement du Sénat implique en effet qu’elle le fasse au cours de la même séance. Et dans ce type de loi budgétaire, le Parlement n’est pas maître de l’agenda. Le délai d’adoption de la loi de financement de la Sécu est en effet très encadré par la Constitution.
La colère du Sénat, avec l’adoption de cette motion transpartisane, n’a pas cependant pas laissé la ministre de marbre. « C’est un acte fort que nous avons entendu », a réagi la ministre. Lorsque la discussion reprendra, les sénateurs devraient très vite arriver sur l’article 3, qui prévoit d'entériner la non-compensation par l'État au budget de la Sécu, de certaines exonérations de cotisations sociales, décidées en réponse au mouvement des gilets jaunes. Un autre point du PLFSS explosif au Sénat.