La situation est critique pour le secteur touristique. Après deux mois de confinement, les perspectives sont tout sauf réjouissantes, tant l’incertitude demeure sur l’évolution de la pandémie de Covid-19. Les cafés et restaurants n’ont d’ailleurs pas eu l’autorisation de reprendre leur activité le 11 mai. Souvent qualifiée de première destination mondiale, la France, qui a accueilli près de 90 millions de touristes, redoute le pire pour les professionnels du secteur. Ce dernier emploie environ deux millions de personnes et pèse entre 7 et 8 % du produit intérieur brut.
Sur le perron de Matignon, les mots du Premier ministre soulignent la gravité du moment, à la sortie du cinquième comité interministériel du tourisme (CIT), qui a réuni ce 14 mai le gouvernement, les professionnels, les collectivités locales et des parlementaires. Le secteur touristique traverse, selon lui, la « pire épreuve de son histoire moderne » et son sauvetage est une « priorité nationale ». Des mesures spécifiques ont été annoncées, comme s’était engagé Emmanuel Macron lors de son allocution du 13 avril.
Dans les mesures d’accompagnement, les dispositifs actuels sont reconduits pour plusieurs mois. Les entreprises du tourisme, de l’évènementiel, de la culture ou encore du sport, pourront faire bénéficier leurs salariés d’un chômage partiel, comme actuellement, « au moins jusqu’à fin septembre 2020 ». « Au-delà », cette solution restera possible si l’activité reprend trop lentement, a précisé Édouard Philippe. Même rallonge dans le temps pour le Fonds de solidarité. L’exonération de cotisations sociales s’appliquera aux TPE et aux PME jusqu’en juin, en cas de fermeture ou très faible activité.
« Le problème social est déjà là. Il y aura beaucoup de casse », redoute le sénateur Serge Babary
L’État va également mobiliser un plan d’investissement, « en fonds propres », de 1,3 milliard d’euros. Ce coup de pouce porté par la Caisse des dépôts et Bpi France permettra, avec l’effet levier d’investissements privés, d’atteindre une enveloppe de 7 milliards d’euros. Des prêts de saison vont aussi être introduits. L’expression de plan Marshall était évoquée ces derniers jours. En additionnant ses différents mécanismes d’aide, le gouvernement communique sur un chiffre global de 18 milliards d’euros. « C’est une somme considérable et significative », réagit le sénateur LR Serge Babary, qui a participé au comité.
L’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), première organisation du secteur, note que beaucoup de leviers sont des aides, qu’il faudra naturellement rembourser. Et ce, dans un contexte difficile. « Est-ce qu'on sera en capacité de le faire en 2020 ? Je ne crois pas », a estimé son président, Roland Héguy, interviewé sur France Info. Selon nos informations, le syndicat n’a pas obtenu de réponse sur une de ses principales demandes, à savoir l’annulation de loyers pour une période de six mois. Charge à un fonds de compenser les bailleurs.
« Les présidents de syndicat qui étaient là ne sont pas alarmistes, pour leurs troupes, mais ils sont réalistes et exigeants. L’UMIH affirme que 17 % de ses membres ne rouvriront pas. Le problème social est déjà là. Il y aura beaucoup de casse », s’inquiète Serge Babary.
Dans un communiqué, la présidente (LR) de la commission des Affaires économiques du Sénat estime que le « plan ne résout pas tous les problèmes » mais qu’il « va indéniablement dans le bon sens ».
« Dans cette crise, l’Europe n’est pas assez présente », souligne la sénatrice Catherine Dumas
La relance devrait également venir de l’échelon européen. Comme pour l’automobile et l’aéronautique, Paris est à la manœuvre pour que les Vingt-sept apportent une bouée de sauvetage au secteur du tourisme. « Dans cette crise, l’Europe n’est quand même pas assez présente. Ce n’est pas mal que le gouvernement essaye de faire avancer ce fonds de relance européen », salue la sénatrice LR Catherine Dumas, spécialiste de cette économie au Sénat.
Voilà pour les mesures de soutien. Du côté des perspectives, le Premier ministre a donné une grande lueur d’espoir au secteur. « Oui, sous réserve de l’évolution de l’épidémie et de possibles restrictions localisées, nous privilégions une hypothèse raisonnable : les Français pourront partir en vacances en France au mois de juillet et au mois d’août. » Les vacances de l’été seront françaises. Le Premier ministre a même dû préciser que cet objectif concernerait aussi bien l’Hexagone et la Corse que les collectivités d’outre-mer. « Cet été, je visite la France » : le slogan d’une campagne s’affiche déjà.
Une reprise le 2 juin, l’espoir de tout un secteur
Le message pour les professionnels est clair, et cruel à la fois. À ce stade, les vacanciers seront seulement français. D’où la nécessité poux eux de garantir le remboursement des réservations, en cas d’annulation imposée par une résurgence de l’épidémie. La réouverture des frontières n’est pas envisagée avant le 15 juin en France, et partout en Europe des initiatives germent de manière chaotique pour imposer des quarantaines à l’arrivée des voyageurs. Le 13 mai, la Commission européenne a tenté de remettre de l’ordre, en recommandant une réouverture des frontières de façon « concertée », « la plus harmonieuse possible ».
À plus court terme, le Premier ministre a confirmé ce matin qu’une réouverture des cafés et restaurants pourrait être envisagée le 2 juin, dans les 68 départements classés actuellement en vert, « si l’évolution de l’épidémie ne se dégrade pas et si les mesures sanitaires recommandées sont parfaitement respectées ». La décision sera prise pendant la dernière semaine de mai.
Cette principale nouvelle a de quoi rassurer les professionnels. En partie seulement. Pour l’UMIH, les conclusions de ce comité de « la survie de la profession » ont permis d’obtenir « certaines satisfactions », comme cette date du 2 juin. Elle espère qu’un grand nombre de départements rouges passeront dans le vert, d’ici là.
Le protocole sanitaire génère des « crispations »
C’est surtout aussi sur le protocole sanitaire à mettre en place au moment de la reprise que les inquiétudes ont été très marquées. De ces règles dépendra en effet la fréquentation des différents établissements. Une exigence a particulièrement fait polémique : l’obligation d’assurer minimum quatre mètres carrés pour chaque client dans les restaurants. « Les professionnels ont craqué, car le ministère de la Santé a mis la barre trop haut », témoigne la sénatrice Catherine Dumas. « Cette mesure a créé beaucoup de crispations et de stress cette nuit chez les syndicats de restaurateurs. Sébastien Bazin [le patron du groupe hôtelier Accor, N.D.L.R.] a rappelé que ce n’était pas possible et qu’il fallait une approche moins mathématique. » Face à l'unité du secteur sur ce sujet, Édouard Philippe a précisé que cette question allait être réexaminée, selon les parlementaires.
Si la Fédération nationale des organismes institutionnels du tourisme (elle représente les offices du tourisme, ainsi que les comités départementaux et régions) « salue l’engagement financier conséquent », elle souligne « l’urgence d’obtenir une validation par l’État des conditions sanitaires de réouverture ».
Sur le front de la culture et de l’évènementiel, le comité interministériel s’est montré moins disert, au grand désespoir des deux sénateurs présents. Pas de nouvelle pour la reprise des parcs d’attractions non plus.
« Ça ne servirait à rien d’ouvrir à tout va, si on est obligé de tout replier après »
Au fur et à mesure de la diminution de l’intensité de l’épidémie en France, le discours gouvernemental s’est métamorphosé. Le moment où le secrétaire d’État aux Transports conseillait d’attendre pour les réservations d’été semble loin. C’était il y a cinq semaines. Les acteurs du secteur réclament toujours de la visibilité, mais le gouvernement ne peut leur donner l’assurance totale que les choses pourront s’améliorer. Difficile d’apporter une telle réponse.
« C’est l’échéance sanitaire qui rythme les décisions gouvernementales. Ce serait incompréhensible qu’on nous annonce aujourd’hui ce qui se passera dans six mois », reconnaît la sénatrice Catherine Dumas. Un avis partagé par Serge Babary, qui suit la situation des PME et des commerçants, au sein de la cellule de suivi de la commission des Affaires économiques du Sénat. « Le volontarisme est freiné par la crise sanitaire. Ça ne servirait à rien d’ouvrir à tout va, si on est obligé de tout replier après. Ce serait la catastrophe absolue. »
À l’approche de la saison estivale, les entreprises du secteur retiennent leur souffle. « 40 % sont en très grand danger », affirme la sénatrice Catherine Dumas. « Le secteur est frappé de plein fouet et la haute saison arrive très vite. Comment faire face dans un laps de temps aussi rapide ? Je trouve que le gouvernement fait le job, mais le job est immense. »