Planification écologique : Élisabeth Borne détaille sa méthodologie, mais reste floue sur le fond des mesures

Planification écologique : Élisabeth Borne détaille sa méthodologie, mais reste floue sur le fond des mesures

En charge du pilotage de la planification écologique, la Première ministre Élisabeth Borne a esquissé son plan d’action vendredi 21 octobre. Des concertations doivent être lancées dans l’ensemble des ministères, autour d’une vingtaine de chantiers en prise directe avec le quotidien des Français. Interrogés par Public Sénat, des sénateurs redoutent l’effet d’émiettement et s’interrogent sur les moyens financiers au service des ambitions affichées.
Romain David

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Il s’agit certainement du plus ambitieux chantier du quinquennat, du plus critique aussi, tant son impact pourrait être déterminant sur le quotidien des Français dans les prochaines années. La Première ministre Élisabeth Borne a détaillé vendredi sa méthode de travail en matière de planification écologique. La cheffe du gouvernement, qui s’exprimait depuis La Recyclerie, un lieu de convivialité dédié à l’écoresponsabilité et installé depuis 2014 dans une ancienne gare du XVIIIe arrondissement de Paris, a évoqué « 22 chantiers thématiques », identifiés par l’exécutif pour permettre à la France de tenir ses engagements en matière de réduction des gaz à effet de serre – une baisse de 55 % des émissions d’ici 2030, et la neutralité carbone à l’horizon 2050, les objectifs fixés par le Pacte vert pour l’Europe -, mais aussi de lutter contre la destruction de l’environnement, des écosystèmes et de la biodiversité.

« La panification écologique, c’est avancer en bon ordre, nous fixer des objectifs ambitieux au niveau européen et national, et ensuite les décliner territoire par territoire, nous engager dans chaque territoire sur une stratégie et un calendrier », a-t-elle expliqué. « Tous les pans de notre quotidien sont concernés », a souligné la Première ministre, évoquant six thématiques : les transports, le logement, l’alimentation, la production, la consommation et la préservation des écosystèmes. « C’est d’abord une perspective pour vivre mieux, chaque chantier s’articule autour d’une avancée concrète : la rénovation thermique des logements, c’est la capacité d’avoir moins froid l’hiver et moins chaud l’été, et plus de pouvoir d’achat sur sa facture d’énergie », a fait valoir la locataire de l’Hôtel Matignon.

Le plan de relance du nucléaire présenté début novembre

Sans véritablement présenter de mesures concrètes, Élisabeth Borne s’est plutôt contentée de vanter une méthodologie. Ces différents dossiers seront rassemblés sous la bannière « France nation verte », et coordonnés par le Secrétariat général à la Planification écologique, crée en juillet dernier. Chaque ministère doit lancer des concertations sur les thématiques qui le concernent d’ici la mi-novembre, avant un premier point d’étape à la fin de l’année.

Une méthode de travail résolument transversal donc, qui veut en finir avec les politiques en vase clos, et qui entend irriguer la majeure partie des décisions qui seront prises durant le quinquennat. « Ce quinquennat sera écologique ou ne sera pas », avait lancé Emmanuel Macron pendant sa campagne de réélection. Plusieurs chantiers déjà lancés par l’exécutif s’inscrivent d’ores et déjà dans ce cadre : le plan de sobriété présenté le 6 octobre, et le projet de loi sur les énergies renouvelables, actuellement examiné par le Sénat, et qui vise à raccourcir les délais d’installation d’infrastructure de type parc éolien ou photovoltaïque. Un texte sur la relance du nucléaire sera présenté début novembre. Élisabeth Borne a également évoqué des réflexions engagées sur l’eau et la forêt, afin de mieux prévenir la sécheresse, de restaurer les cours d’eau et d’entretenir les zones humides pour lutter contre les inondations, d’accompagner les collectivités qui souffrent de taux de fuites importants ou encore d’optimiser la gestion des espaces forestiers face à un risque d’incendies grandissant.

Sur le volet financier, la Première ministre a rappelé que le budget 2023, dont la première partie a été adoptée sans vote de l’Assemblée nationale mercredi après utilisation du 49.3, contient une augmentation de 4,5 milliards des dépenses « favorables à l’environnement ». Le fonds vert promis pour accompagner les collectivités dans ces transformations devrait être abondé de 2 milliards en 2023. Enfin, le volet investissement, notamment en ce qui concerne les énergies du futur, sera assumé par le plan France 2030, qui prévoit 8 milliards d’euros pour le secteur de l’énergie.

« À tout vouloir faire en même temps, on finit souvent par ne rien faire »

« Je veux bien encore accorder du crédit à la parole de la Première ministre », réagit auprès de Public Sénat le sénateur LR Jean-François Husson, qui a été rapporteur spécial de la mission « Ecologie, développement et mobilité durables ». Mais cet élu ne masque pas ses craintes devant ce qu’il considère comme une « énième opération de com’ » : « Les déclarations d’intention, sans lendemain, ont fait un mal terrible à la cause qu’elles entendaient défendre. Finalement, la nécessité d’une planification est aussi le constat d’échec de la politique écologique menée durant le premier quinquennat. »

La multiplication des chantiers qu’entend ouvrir Élisabeth Borne lui laisse désormais redouter une forme d’éparpillement : « À tout vouloir faire en même temps, on finit souvent par ne rien faire. Le risque, c’est d’avoir un émiettement d’actions avec un saupoudrage sur l’ensemble de territoire. Il faut quelques lignes d’action fortes pour avoir un effet d’entraînement sur l’ensemble de la société française », fait-il valoir. Son collègue Ronan Dantec, sénateur écolo de la Loire-Atlantique, vice-président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, redoute également un effet de compartimentation. « Raisonner par thématiques laisse penser que le gouvernement fonctionne encore projet par projet. Mais les territoires, les collectivités, ne tiendront pas leurs objectifs si elles ne mettent pas toutes leurs politiques publiques en cohérence. » Une nécessité qui pose aussi la question financière, trop vite balayé par la Première ministre selon les sénateurs.

La délicate question budgétaire

« Il faut en finir avec les injonctions contradictoires : demander aux collectivités d’accélérer sur la transition écologique d’un côté, et leur demander davantage de rigueur budgétaire de l’autre. Les 2 milliards du fonds vert ne suffisent pas à dépasser cette contradiction. Pour tenir les objectifs quantitatifs, c’est de l’ordre de 50 à 100 milliards qu’il faudrait déployer dans les territoires ! », observe Ronan Dantec. « Nous ne sommes plus sur des questions de subvention, mais d’accès à l’emprunt. Le président de la République a parlé d’économie de guerre, mais une économie de guerre passe par l’endettement. Il faut garder à l’esprit que sur les énergies renouvelables par exemple, l’endettement est un véritable investissement. »

Moins radical, Jean-François Husson estime toutefois que la réflexion budgétaire n’est pas assez intégrée aux enjeux écologiques et climatiques. « Nous en sommes à la troisième édition d’un budget que l’on dit ‘vert’. Mais ce vert, c’est de la peinture à l’eau qui disparaît au soleil et sous la pluie », s’agace-t-il. En clair : les enveloppes budgétaires consacrées à l’environnement et à la lutte contre le dérèglement climatique voient trop souvent leurs effets annihilés par d’autres dépenses. On pense notamment au bouclier tarifaire mis en place pour protéger les Français des effets de l’inflation, mais qui s’avère favorable aux énergies fossiles. « C’est l’ensemble du budget qui doit être habillé aux couleurs de la transition », observe celui qui est également rapporteur général de la commission des finances. « Alors vous bâtissez, dès le départ, une politique qui prend la bonne direction ».

Un point positif salué par les deux élus : la volonté affichée par Élisabeth Borne de rompre avec une forme de verticalité, en mêlant aux concertations l’ensemble des acteurs, à la fois les entreprises avec les filières professionnelles et les organisations syndicales, les collectivités à travers les compétences qui sont les leurs, mais aussi les citoyens via les associations de protection de l’environnement.

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