Politique de santé : remontés contre les ARS, les élus locaux veulent avoir voix au chapitre

Politique de santé : remontés contre les ARS, les élus locaux veulent avoir voix au chapitre

Une table ronde a réuni quelques maires au Sénat pour échanger sur les initiatives locales en matière de santé. Le manque de liberté offerte aux collectivités ainsi que la toute-puissance des agences régionales de santé, ont été épinglés à plusieurs reprises.
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Le sujet n’est pas nouveau mais il a pris une dimension nouvelle avec la crise sanitaire. Quelle place est laissée aux acteurs locaux pour les politiques de santé ? Les collectivités territoriales interviennent bien dans quelques domaines, mais le cadre général reste dominé par le rôle de l’Etat dans ce domaine. Santé et décentralisation vont rarement de pair. Des élus locaux, réunis lors d’une table ronde au Sénat, à l’initiative de la délégation aux collectivités locales, ont exprimé ce 11 mars leur volonté d’être davantage intégrés dans les politiques de santé.

Alors que le projet de loi sur un nouveau chapitre de décentralisation (4D) semble remis sur les rails par le gouvernement (relire notre article), la délégation aux collectivités territoriales du Sénat vient d’engager une réflexion pour identifier les blocages à lever, améliorer l’efficacité de l’action publique en matière de santé et soutenir le développement des initiatives locales qui fonctionnent. Le sénateur Philippe Mouiller (LR) et Patricia Schillinger (LREM) ont été désignés comme rapporteurs de cette mission, qui préparera des recommandations, voire des initiatives législatives.

Les demandes des élus locaux sont fortes dans une période où les collectivités ont été à la manœuvre sur l’approvisionnement en masques, ou encore dans la logistique de la campagne vaccinale. Les maires se disent également très sollicités sur la santé, un thème qui arrive juste après l’emploi et le logement. « On ne fera pas l’économie en sortie de crise d’un retour d’expérience mais ensuite d’une remise à plat, certainement, de ce système de santé », veut croire Frédéric Valletoux, maire (UDI) de Fontainebleau. Le Président de la Fédération hospitalière française (où un tiers des membres du conseil d’administration sont des élus locaux) explique que l’un des enjeux sera de « favoriser l’approche par les territoires ». « La crise a révélé qu’on ne pouvait pas faire sans les collectivités territoriales et les élus locaux. »

Des « carcans » qui entravent les initiatives locales

« Nous savons ce qui est bon pour nos territoires, nous manquons aujourd’hui de liberté notamment dans le domaine de la santé », souligne Véronique Besse, maire (divers droite) des Herbiers. « La question de la santé vient à nous en permanence », témoigne également Frédéric Chéreau, maire (PS) de Douai. Assurant avec sa collègue de Vendée la coprésidence de la commission santé à l’Association des maires de France, l’élu local estime que modèle actuel « très national, centralisé et hospitalo-centré a trouvé peut-être trouvé aujourd’hui sa limite ».

Également présent autour de la table, Olivier Renaudie, professeur de droit public à l’Ecole de droit de la Sorbonne, considère également qu’une plus grande place doit être donnée aux collectivités sur le front de la santé. « D’une manière ou d’une autre, il convient que le législateur précise que la santé n’est pas une compétence exclusive de l’Etat et précise qui fait quoi. Il convient organiquement de mieux associer les collectivités territoriales à l’action conduite par les ARS. »

Véronique Besse estime que pour les collectivités locales, le premier problème n’est pas financier, mais juridique. Des « carcans » viennent empêcher les initiatives locales. « On ne rentre pas dans les bonnes cases, donc on ne peut pas faire. Les contrats locaux de santé, c’est très bien, mais on a peu de marges manœuvre pour réaliser des choses concrètement sur le terrain. On se heurte toujours aux fameuses ARS qui sont là, avec un peu le bâton, en disant « on ne pourra pas vous financer, vous n’êtes pas dans les normes ». »

« Les ARS, c’est un vrai problème aujourd’hui »

Ces agences régionales de santé, créées en 2010, ont été au cœur des critiques lors de l’audition. Si le système de santé est « territorialisé », car ces agences placées sous l’autorité du ministère de la santé, interviennent dans des périmètres régionaux, la décision n’est pas décentralisée en réalité. Ce sont des services déconcentrés de l’Etat. « Les ARS, c’est un vrai problème aujourd’hui. J’ai le sentiment que nous sommes écoutés mais nous ne sommes pas entendus. On parle, on propose, quelques fois on est un peu en colère, mais rien ne change », s’est exclamé Véronique Besse.

Les deux représentants de la commission santé de l’AMF aimeraient davantage de place pour le préfet, au détriment des ARS. Ce couple n’a pas toujours bien fonctionné durant la crise. « Les préfets savent parler aux élus », reconnaît Frédéric Chéreau.

Tout n’est évidemment pas si simple, surtout lorsqu’il est question de problèmes au long cours comme les déserts médicaux et le déficit de médecins généralistes. « Les ARS n’ont pas la main sur l’ensemble des acteurs de santé […] Je suis le premier à être critique vis-à-vis des ARS, mais il ne faut pas les charger de tous les maux », tempère Frédéric Valletoux. Les agences régionales sont à la manœuvre sur les établissements publics et la médecine libérale leur échappe. Mais le désamour vis-à-vis des ARS, qui s’est profondément accentué durant la crise sanitaire, est aussi partagé chez des sénateurs. « On s’aperçoit que l’ARS, c’est un peu l’Etat dans l’Etat, qui passe souvent au-dessus des préfets, et c’est d’ailleurs pour cela que ça fonctionne mal : car il n’y a pas de relation avec les élus », observe le sénateur (LR) Rémy Pointereau.

De la « guéguerre des supérettes » à la « guerre des maisons de santé »

L’enjeu n’est pas seulement une question de gouvernance et de présence des élus dans les instances des ARS. Olivier Renaudie rappelle le levier des schémas régionaux d’organisation des soins, ces documents stratégiques établis par les ARS. « Il faut que les élus soient à la table de la rédaction pour porter la voix des territoires. Ces schémas se révèlent beaucoup plus importants qu’on ne pouvait l’imaginer », insiste le professeur Olivier Renaudie.

Une question s’est d’ailleurs imposée sur la multiplicité des initiatives locales : comment éviter la « concurrence » entre territoires, comme l’a souligné la sénatrice (PCF) Céline Brulin. Après l’année 2020 marquée par les élections municipales, le sénateur (LR) Laurent Burgoa a vu « fleurir » partout des projets de maisons de santé pluridisciplinaires (MSP). « Si on a connu il y a quelques années une guéguerre des supérettes, il ne faudrait pas qu’on connaisse dans les années à venir une guerre des MSP, surtout vu la pénurie de professionnels. »

Les territoires ruraux ne sont pas les seuls à être concernés par un manque de médecins. Dans les villes également, le phénomène se manifeste. « Chaque commune essaye d’attirer les médecins dans son CMS [centre médico-social, ndlr] ou maison de santé, on n’y arrivera pas. La solution ne peut s’envisager qu’à une bonne échelle », intervient Philippe Dallier, sénateur (LR) de Seine-Saint-Denis.

Dans la droite ligne d’une agilité que beaucoup d’acteurs réclament, Frédéric Valletoux estime qu’il n’y a « pas de réponse unique ». « Elle peut varier suivant l’état des offres médicales dans chacun des territoires », détaille-t-il. Reste un douloureux constat : peu importent les maisons de santé qui se créent, beaucoup de communes pourraient se retrouver avec des murs sans soignant. « La démographie médicale aura toujours raison sur les bonnes volontés », selon le président de la Fédération française hospitalière.

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