Pornographie, harcèlement : les associations de protection de l’enfance pas convaincues par le projet de loi visant à réguler l’espace numérique

Les associations de protection de l’enfance étaient auditionnées par la commission spéciale du Sénat chargée d’examiner le projet de loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique. Un texte qui transpose en droit français plusieurs règlements européens. Les représentants associatifs se sont montrés critiques sur les dispositions visant à contraindre les sites pornographiques à contrôler l’âge de leurs visiteurs, une obligation légale en France depuis 2021.
Simon Barbarit

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C’est un texte « de compromis » qui arrive en examen au Sénat début juillet, pour reprendre le mot de Catherine Morin-Desailly (centriste), la présidente de la commission spéciale du Sénat chargée d’examiner le projet de loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique. En effet, le projet de loi vise à transposer en droit français, les règlements européens DSA (règlement sur les services numériques) et DMA (règlement sur les marchés numériques) adoptés par la France en 2022 pour mettre fin aux abus des géants du numérique.

Ce mercredi la commission spéciale se penchait particulièrement sur les premiers articles qui concernent la protection des mineurs avec les auditions d’Arthur Melon, délégué général du Conseil français des associations pour les droits de l’enfant (Cofrade), d’Olivier Gérard, coordonnateur du pôle « médias – usages numériques » de l’Union nationale des associations familiales (Unaf) et d’Angélique Gozlan, membre du comité d’experts de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open).

Mais pour les responsables associatifs, le mot « compromis » est difficile à entendre notamment en ce qui concerne l’accessibilité des contenus pornographiques aux mineurs. Le mois dernier, une étude de Médiamétrie commandée par l’Arcom révélait que 2,3 millions de mineurs (30 %) étaient ainsi exposés à des images pornographiques pendant plus de 50 minutes en moyenne chaque mois.

« Le cœur du problème, c’est Pornhub, Youporn et d’autres plateformes de ce type »

La loi de 2020 qui impose aux sites pornographiques de mettre en place un contrôle de l’âge de leurs visiteurs n’est toujours pas suivie d’effet. « Les plateformes essayent de nous faire croire que si aujourd’hui les contenus pornographiques sont accessibles aux mineurs, c’est un problème technique. On n’aurait pas les technologies nécessaires… Mais l’intérêt supérieur de l’enfant exige de réfléchir à l’inverse. Si nous n’avons pas les technologies nécessaires pour contrôler l’âge des mineurs alors la loi implique qu’on ne peut pas faire commerce de ces contenus pornographiques », a plaidé, Arthur Melon.

Le projet de loi prévoit justement un renforcement du pouvoir de l’Arcom qui devra élaborer après l’avis de la CNIL, « un référentiel général déterminant les exigences techniques auxquelles doivent répondre les systèmes de vérification de l’âge », des plateformes des contenus pornographiques. L’Arcom pourra également, sans passer par un juge, bloquer et déréférencer les sites qui ne vérifieront pas l’âge des utilisateurs. Le gendarme de l’audiovisuel et du numérique pourra aussi prononcer des amendes à l’encontre des sites récalcitrants, allant jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes réalisé, 2 % en cas de réitération des manquements.

« Selon moi, l’arsenal législatif est suffisant […] Le cœur du problème, c’est Pornhub, Youporn et d’autres plateformes de ce type. Une section entière de ce projet de loi est consacrée à Pornhub et compagnie, puisque les autres plateformes pornographiques qui font payer leurs contenus, visiblement, ne posent pas de problème particulier en termes d’exposition des mineurs », a souligné Arthur Melon en rappelant que la Cofrade était à l’origine d’une plainte contre Pornhub et d’autres tubes de contenus pornographiques gratuits. « Au bout de cinq ans, nous n’avons aucune nouvelle de cette plainte ».

Pire, pour le délégué général de la Cofrade, la nouvelle loi va aggraver la situation en transformant l’obligation de résultat imposée à ces plateformes en une obligation de moyens. « Avec cet alinéa qui prévoit que l’Arcom va édicter des lignes directrices […] Demain, face au constat que des mineurs ont toujours accès à ces sites, Pornhub expliquera s’être conformé aux lignes directrices de l’Arcom […] On est en train de demandr à l’Arcom d’être dans une course sans fin pour adapter ses lignes directrices », a-t-il dénoncé.

« Je crains comme vous que ce texte ne change pas grand-chose »

Une position partagée par les autres associations. Angélique Gozlan de l’Open a jugé nécessaire « de ne pas sacrifier la protection de l’enfance au profit de la protection des données ». Son association plaide pour l’utilisation d’une carte bancaire pour le contrôle d’âge « facile et rapide à mettre en place ». Ella a également pointé l’absence d’effet dissuasif des amendes. « Beaucoup de ces sites profitent des paradis fiscaux. Comment appliquer ces amendes à des noms qui sont opacifiés ? »

Ces remarques ont reçu l’assentiment de Laurence Rossignol, sénatrice socialiste, qui fût l’une des co-rapporteure de la mission d’information du Sénat sur les dérives de l’industrie pornographique. « Je crains comme vous que ce texte ne change pas grand-chose » […] On bute sur un sujet clé. Le postulat comme quoi il faut respecter l’anonymat et la vie privée des consommateurs de porno ».

Le rapporteur de la commission spéciale, Loïc Hervé (centriste) a défendu, quant à lui, l’intérêt de confier de nouvelles missions à l’Arcom. « Ça permettra de massifier et d’accélérer les choses », a-t-il estimé en appelant « à ne pas tourner le dos à cette nouvelle tentative de trouver une solution à un problème considérable ».

Cyberharcèlement : le bannissement des réseaux jugé insuffisant

En ce qui concerne la lutte contre le cyberharcèlement, l’article 5 du projet de loi prévoit une peine complémentaire de bannissement de 6 mois des réseaux sociaux, qui pourra aller jusqu’à un an en cas de récidive. Olivier Gérard de l’Unaf l’a jugé nécessaire, mais a suggéré que ce bannissement soit en « cascade », c’est-à-dire étendu à tous les comptes de la personne incriminée et pas uniquement celui du réseau social où s’est pratiqué le harcèlement.

Angélique Gozlan s’est interrogée sur la définition « des témoins en ligne » qui peuvent « liker » et « partager » un cyberharcèlement. « Sont-ils des actes de harceleurs ou des actes de témoins ? Que prévoit la loi pour ces témoins ? »

La représentante de l’Open a plaidé pour « qu’un suivi des harceleurs soit associé à ces mesures », en s’inspirant des injonctions de soins pour les auteurs de violences sexuelles.

Le texte sera examiné en séance publique à partir du 4 juillet.

 

 

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