Port du masque : Jérôme Salomon reconnaît « une expression très maladroite » en mars

Port du masque : Jérôme Salomon reconnaît « une expression très maladroite » en mars

Interrogé par la commission d’enquête du Sénat sur le Covid, le directeur général de la Santé est revenu sur ses propos de mars incitant le grand public à ne pas porter de masque. « Nous avions de fortes tensions sur les masques » et il fallait les « laisser aux professionnels de santé » explique Jérôme Salomon.
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Les masques. C’est le sujet qui aura marqué la gestion de l’épidémie du Covid-19 en France. Pour le grand public, le gouvernement est passé du rien – ne pas porter de masque – au tout – le porter en lieux clos et dans la rue. Interrogé ce mercredi par la commission d’enquête du Sénat sur la gestion de la crise du Covid-19, le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, est revenu sur ses déclarations du mois de mars.

« Ne portez pas des masques », martelait-il le 17 mars, lors de son bilan quotidien, « les masques sont uniquement pour les malades, pour les transports sanitaires, pour les secours aux personnes et pour les soignants ». Bref, le masque était jugé inutile pour le grand public, avant que le gouvernement ne fasse volte-face.

« Comment expliquez-vous ce retard ? Par la pénurie (de masques) ? » lui a demandé René-Paul Savary, vice-président LR de la commission d’enquête du Sénat. « Non. Ce n’est pas du tout ce qui nous a guidés » assure d’abord Jérôme Salomon, avant d’être moins affirmatif à la fin de sa réponse.

Jérôme Salomon souligne « l’évolution des connaissances » pour expliquer ses propos

Comme il l’a déjà évoqué devant la commission d’enquête de l’Assemblée, le directeur général de la santé explique avoir suivi « l’évolution des connaissances », pour justifier son premier message contre les masques. « Il y a différents modes de transmission. Quand on était en janvier, en février, (…) il y avait une confirmation de la transmission manuportée, puis confirmation de la transmission par gouttelettes et donc nous avons adapté au fur et à mesure, c’était les recommandations internationales. Nous avons équipé les professionnels de santé en priorité évidemment » et « les malades et leurs contacts ». Il continue : « Les scientifiques ont alerté sur le risque de transmission aérienne en juin, il y a eu un avis de l’OMS en juillet et nous avons depuis août et septembre, un élément très important avec un tableau très clair sur le niveau de risque publié dans le British medical journal sur le niveau de risque », selon le niveau de fragilité, les lieux bondés ou pas, les lieux clos ou pas.

Jérôme Salomon évoque ici une alerte sur la transmission par aérosol seulement en juin. Ce n’est pourtant pas le cas. Des médecins ont appelé, plusieurs semaines avant, à porter le masque en lieux clos, comme Yvon Le Flohic en mai (voir notre article du 12 mai). D’autres l’ont fait même dès le mois de mars.

« Nous avions de fortes tensions sur les masques »

Rappelant que les autorités se sont retrouvées « face à une crise majeure », « un débordement lié à l’épidémie » et « un dérèglement du marché », Jérôme Salomon finit par reconnaître que les masques étaient en « tension » au début de l’épidémie, pour justifier ses propos : « Quand je disais qu’il ne fallait pas porter un masque tout seul dans la rue, je vous rappelle qu’à cette époque, début mars, nous avions de fortes tensions sur les masques, nous les livrions en urgence la nuit aux établissements de santé. (…) Et nous avions des vols et des personnes qu’on voyait avec des FFP2 ou FFP3 dans la rue. C’était peut-être une expression très maladroite de ma part. C’était de dire "laissez les masques aux professionnels de santé quand ils en ont besoin et ne les portez pas quand il n’y a pas justification à les porter" ».

Très vite, dès le 2 avril, Jérôme Salomon entamait pourtant le changement de braquet du gouvernement. S’appuyant sur un avis de l’Académie de médecine, Jérôme Salomon affirmait : « Nous encourageons le grand public, s’il le souhaite, à porter (...) ces masques alternatifs qui sont en cours de production ».

Bernard Jomier attaque Jérôme Salomon sur les commandes « si tardives et si faibles » de masques

Malgré des « alertes précoces », assure Jérôme Salomon, dès le mois de janvier, sur l’arrivée de ce nouveau coronavirus, les sénateurs se sont étonnés d’une forme de retard à l’allumage dans les commandes de masques. « Ces alertes ayant lieu, on se dit que vous alliez commander des masques. (…) Vous en avez commandé 1,1 million le 30 janvier, une quantité somme toute très faible. Puis 28,4 millions le 7 février, un niveau significatif, mais quand même pas très élevé non plus. Après, il faut attendre le 25 février pour avoir une commande de 170 millions. Puis après, les commandes s’enchaînent à des niveaux très élevés » constate le sénateur (apparenté PS) Bernard Jomier (voir le début de la vidéo ci-dessous), qui ajoute :

Je ne comprends pas pourquoi les commandes en janvier ont été si tardives et si faibles et qu’il ait fallu attendre fin février pour avoir des commandes significatives, au moment où le marché mondial est en grave déséquilibre. Ça a entraîné une pénurie.

Masques : le sénateur Bernard Jomier attaque Jérôme Salomon sur les commandes « si tardives et si faibles »
05:07

Le sénateur du groupe PS rappelle au passage l’audition de Jérôme Salomon devant le Sénat, le 26 février dernier. Il y assurait qu’il n’avait « pas de sujet de pénurie » sur les masques… (voir ici). Or « beaucoup d’acteurs de terrain » disent le contraire, souligne Bernard Jomier.

« Il y a eu de très fortes tensions. Je sais que des professionnels ont manqué de masques, c’est absolument dramatique, je le concède. Mais beaucoup de professionnels ont travaillé dans de bonnes conditions car ils ont été livrés » soutient Jérôme Salomon (voir à la fin de la vidéo ci-dessus). Quant aux commandes de masques trop faibles, le DGS reste droit dans ses bottes et explique que les services de l’Etat ont agi comme il le fallait, avec « une réponse rapide ». S’il évoque « la période un peu particulière du mois de février », avec 57 cas et 2 décès en France fin février, c’était aussi « une période très active de commande » assure-t-il.

Un changement de doctrine sur les masques pour faire des économies

Le changement de doctrine sur les stocks stratégiques de masques, amorcé en 2011 puis décidé en 2013 (lire notre article sur le sujet), est aussi revenu dans les échanges. Un changement qui a amené le pays à se retrouver démuni en nombre de masques face au Covid-19, les stocks passant de plus de 1,6 milliard à 150.000.

Jérôme Salomon a confirmé que ce choix était dicté par une volonté de faire des économies. « On était en pleine réflexion entre 2018 et la crise, sur le passage à des stocks roulants afin de limiter les pertes. On est tous d’accord qu’acheter les masques et les jeter quand ils sont périmés n’est pas une solution quand on est redevable de comptes vis-à-vis de nos concitoyens » a expliqué le directeur général de la santé. « La question des stocks tampons est rémanente. (…) Toutes les crises, ça coûte de l’argent. Et on tire sur quoi, quand il y a des difficultés ? On tire sur l’enveloppe de prévention et les enveloppes de protection » affirme de son côté François Bourdillon, ex-DGS, auditionné également.

3,3 milliards de masques reçus sur 4,6 milliards commandés

Depuis, la France a refait le plein de masques. « Le stock de 1 milliard de masques sera effectivement reconstitué au plus fin septembre », assure Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France depuis septembre 2019, qui souligne que « la doctrine a évolué », les stocks stratégiques n’étant plus à destination du grand public mais aux « professionnels de santé ». Autre chiffre : « Parmi les 4,6 milliards de masques commandés au total, 3,3 milliards ont été reçus » précise Geneviève Chêne. Et « environ 30% de ces 4,6 milliards de maques sont et seront d’origine française ». Des éléments à l’image de l’audition, qui a pu ressembler à une bataille de chiffres, derrières lesquels se cachent les responsabilités.

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