Nora Hamadi : Le 29 mai dernier, Emmanuel Macron et Vladimir Poutine ont tenté de réchauffer les liens quelque peu glaciaux entre la Russie et la France. Est-ce une tentative de faire revenir la Russie dans le concert des nations et de la sortir de l’isolement ?
Marielle de Sarnez : « Il faut parler avec la Russie, dialoguer. De ce point de vue, cette rencontre avec le président russe était évidemment extrêmement bien inspirée. Nous avons des convergences et des coopérations mais, nous avons aussi des divergences, comme sur l’Ukraine ou sur la Syrie, et il faut les assumer. Le président Emmanuel Macron souhaite une désescalade sur la question ukrainienne et veut convoquer un sommet au format Normandie (Allemagne, Russie, Ukraine et France – NDLR). Ensuite, il y a la question de la Syrie. Évidemment, Vladimir Poutine est un soutien du régime, mais notre priorité est de vaincre Daesh. Pour réussir, il faut absolument restabiliser la Syrie, et organiser une transition démocratique pour trouver un accord. Il faut avancer sur ces deux fronts, car lorsque vous détruisez totalement l’État, il est ensuite très difficile de reconstruire. Il est important de faire converger tous les efforts dans cette direction. »
N.H : La semaine dernière se sont tenus le G7 et le Sommet de l’OTAN. Lors d’un meeting tenu peu après à Munich, la chancelière allemande affirmait : « L’époque où nous pouvions compter les uns sur les autres est quasiment révolue […] Nous, européens, devons prendre notre destin en mains ». Que doit-on comprendre ? La Grande-Bretagne et les États-Unis ont-ils cessé d’être nos alliés ?
MDS : « Je pense que nous avons encore des alliés. Je trouve que la phrase « prendre notre destin en mains » est très vraie. On ne va pas s’appuyer sur les autres pays et attendre. On voit bien la déstabilisation du monde et tous les défis immenses auxquels nous sommes confrontés. Évidemment que nous avons un besoin vital d’une Europe unie, forte, plus politique et plus démocratique. »
NH : Mais l’Europe peut-elle continuer d’avancer quand Donald Trump menace de sortir de l’accord de Paris sur le climat, ou que la Grande-Bretagne quitte l’Union ?
MDS : « L’Europe a toujours été à la pointe du combat contre le réchauffement climatique. Elle a été à l’initiative et elle le restera. Je ne suis pas pessimiste. J’espère que les Américains vont rester dans l’accord de Paris. D’abord, du point de vue de l’économie américaine, ce ne serait pas une bonne chose qu’ils ne s’engagent pas dans le développement des énergies renouvelables car c’est de là que viendra la croissance dans les années qui viennent. D’autre part, je sais qu’il y a des réticences américaines sur l’aide au pays en voie de développement, en particulier pour lutter contre le réchauffement climatique ; mais il est vital d’aider ces pays car si nous ne les aidons pas, nous aurons un monde déséquilibré et c’est là que nous augmentons les menaces ».
Europe Hebdo - Entretien avec Marielle de Sarnez
NH : Doit-on poursuivre les accords de libre-échange ?
MDS : « Je pense que la liberté des échanges commerciaux est extrêmement importante mais il est au moins aussi important qu’en Europe on se décide à sortir d’une forme de naïveté. Les grands pays qui nous entourent, avec la Chine d’un côté et les États-Unis de l’autre, défendent leurs intérêts et ceux de leurs entreprises, et je ne trouve pas cela anormal. Mais je demande que l’Europe fasse de même en retour en défendant aussi les intérêts de ses entreprises dans les échanges commerciaux et contre le dumping. Cela veut dire, par exemple, que l’on réserve une partie des marchés publics à nos PME comme le font les autres pays. Il faut prendre en compte ce qu’attendent les opinions publiques de l’Europe. Ils ont envie d’une Europe qui les protège, qui les sécurise, qui soit à leur côté dans la vie quotidienne. On ne fait pas l’Europe tout seul. Il faut savoir convaincre et expliquer mais j’ai le sentiment que tout le monde s’est rendu compte en Europe qu’on était passés pas loin du risque. L’idée européenne a commencé à se déliter avec le Brexit adopté en Grande-Bretagne, avec la montée des populismes partout en Europe et avec les dangers qui nous entourent. »
N.H : Le travail détaché et la convergence sociale et fiscale sont des enjeux forts. Comment allons-nous réussir à créer cette convergence quand, par exemple, le salaire minimum en Grèce est de 486 euros ?
MDS : « Je pense qu’il faut une harmonisation fiscale et une harmonisation sociale qui doit se faire par le haut et non par le bas.
D’autre part, il faut mieux encadrer les travailleurs détachés. On ne peut pas avoir de dumping permanent en France avec une concurrence déloyale. Il faut mieux contrôler et limiter la durée dans le temps. De plus, à travail égal, salaire égal ce qui n’est pas le cas actuellement.
Concernant la Grèce, je pense qu’au stade où on en est, il est nécessaire d’envisager de reculer les annuités de la dette et de baisser les taux d’intérêt parce qu’il faut que la dette soit viable et supportable. Deuxièmement, il y a des réformes que la Grèce doit conduire mais avec notre aide et notre accompagnement. Troisièmement, il faudrait dire aux Grecs que nous allons créer et penser avec eux des perspectives d’avenir pour leur économie. Trouver des raisons d’espérer. On ne peut pas demander à un peuple que des efforts sans lui faire espérer des perspectives d’avenir. »
NH : Emmanuel Macron souhaite également une zone euro plus approfondie. L’idée est de doter l’Union européenne d’un ministère de l’économie, d’un parlement permanent, d’une politique économique commune et surtout d’un budget. Où est-ce que l’on trouve le budget ?
MDS : « Nous avons un problème d’investissement. Le plan Juncker (Plan d’investissement pour l’Europe – NDLR) est un bon levier via les marchés mais il nous faut trouver d’autres formes d’investissement pour l’avenir. L’Union européenne doit avancer, et cela peut se faire autour de l’Union monétaire. Mais si la monnaie commune est formidable, elle ne suffit pas. Il faut avoir une politique économique, industrielle et énergétique commune. Il faut aller beaucoup plus loin en se dotant d’objectifs communs. C’est pour cela que nous avons fait l’Europe, pour faire les choses ensemble. Avoir fait la monnaie commune, c’était formidable. Mais ne faire que la monnaie sans faire le reste ça ne suffit pas.»
N.H : Une taxe sur les transactions financières existe également. Elle pourrait être versée à ce budget ?
MDS : « Oui, elle existe. Elle a été votée. Il n’y a aujourd’hui que onze pays qui l’ont adopté. J’y étais favorable. Beaucoup de gens sont contre car ils pensent que cette taxe, même minime, sur les transactions financières va être concurrentielle pour notre système et nos services financiers. De mon côté, je crois que nous pouvons le faire et que l’argent de cette taxe peut être destiné au financement du budget européen. »
NH : Le 23 juin dernier, les Britanniques ont décidé par référendum de quitter l’Union européenne. Un des enjeux des négociations de ce Brexit est le statut des citoyens européens en grande Bretagne et des citoyens britanniques sur le continent européen. Faut-il leur faciliter l’accès à la citoyenneté ? Comment garantir leurs droits acquis ?
MDS : « Il faut d’abord négocier les termes de la séparation avant de négocier le nouveau partenariat. Ça sera l’enjeu juste après les élections législatives du 8 juin. Les 27 pays sont totalement unis sur le calendrier. Mais cela pose beaucoup de questions comme celle, effectivement, des droits acquis des citoyens européens qui vivent en Grande-Bretagne et celle de la réciprocité pour les citoyens britanniques qui vivent en Europe. Plusieurs millions de citoyens sont concernés et la question de la conservation de leurs droits va être extrêmement sensible. Autres enjeux très délicats : celui des frontières, en particulier avec l’Irlande, et le coût du divorce. Il va falloir solder les comptes avec la Grande-Bretagne et qu’elle paie ce qu’elle doit à l’Union européenne. Une fois cette séparation actée, nous pourrons construire de nouveaux partenariats, dont un partenariat commercial. »
N.H : Comment construire une Europe de la défense sans les Britanniques ?
MDS : « Les Britanniques vont sortir mais nous allons garder, avec eux, toute une coopération en matière de sécurité ou de terrorisme. Le terrorisme n’a pas de frontières. Donc, nous savons combien il est important de conserver ces liens et d’avoir des coopérations policières ou en matière de renseignement. Ensuite, sur les questions de défense, il faudra une mutualisation dans notre industrie d’armement. »
N.H : Lorsqu’Emmanuel Macron était ministre de l’économie, il avait déclaré que si Brexit il y avait, il faudrait remettre en cause les accords du Touquet qui fixent la frontière franco-britannique à Calais. Qu’en est-il aujourd’hui ?
MDS : « Nous avons une situation à Calais qui n’est pas tenable. Il devrait y avoir un minimum d’organisation de la part de la Grande-Bretagne pour régler cette situation, qu’elle considère les demandes d’asile, qu’elle donne des réponses. La question de la mobilité humaine, de la migration, de l’asile et des réfugiés est une question pour toute l’Europe et plus largement, pour le monde entier. Il y a, aujourd’hui, des voies d’accès légales. On peut considérer qu’elles sont insuffisantes mais il y a des droits pour les demandeurs d’asile ou des voies de migration légales pour les migrants mais il faut remplir des conditions et que celles-ci soient acceptées. La contrepartie, c’est que l’immigration illégale doit être totalement combattue. On y arrivera en ayant des dispositifs clairs et connus de tous et des politiques de co-développement et de partenariat avec les pays d’où sont issus les migrants pour éviter les départs et les réadmissions si quelqu’un arrive de manière illégale en Europe ».
N.H : Face à la situation en Libye, en Syrie et en Erythrée, est-ce que vous seriez favorable à mettre en place des visas humanitaires comme le demandent beaucoup d’associations ?
MDS : « Les réfugiés et ceux qui fuient leurs pays en guerre ont des droits et nous avons un devoir de protection. Je considère que sur cette question, nos démocraties européennes et celles du monde entier n’ont rien vu venir et n’ont rien anticipé. Il y a quelques années, tout le monde savait qu’il y avait 5 millions de Syriens qui avaient quitté leur pays car ils ne pouvaient plus y rester mais personne n’a regardé cette réalité pour tenter d’apporter des réponses. Je pense que là, il y a une responsabilité de l’ensemble des démocraties du monde entier et pas seulement de l’Europe ».