Pourquoi la pensée aronienne nous éclaire encore
Lucide, clairvoyante, juste… autant d’adjectifs qui pourraient définir la pensée aronienne. 35 ans après sa mort, qu’a-t-on encore à apprendre de Raymond Aron ? En tant qu’intellectuel semblant avoir toujours vu juste, quelle analyse ferait-il des crises démocratiques et des enjeux de notre époque ?

Pourquoi la pensée aronienne nous éclaire encore

Lucide, clairvoyante, juste… autant d’adjectifs qui pourraient définir la pensée aronienne. 35 ans après sa mort, qu’a-t-on encore à apprendre de Raymond Aron ? En tant qu’intellectuel semblant avoir toujours vu juste, quelle analyse ferait-il des crises démocratiques et des enjeux de notre époque ?
Public Sénat

Par Marie Oestreich

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

La « radicalité de la nuance » et le danger des raccourcis : une résonance contemporaine

Contemporain des conflits mondiaux du XXe siècle, Aron a mis en garde vis-à-vis de la montée des idéologies qui fracturent les sociétés de l’époque. Toujours en quête de rationalité, et rejetant tout système idéologique clos, il tentera d’analyser ces conflits avec un recul tel qu’il ne suivra pas la plupart des intellectuels, de gauche, dans l’engagement communiste. ll privilégiera donc la dénoncitation de la torture, et la violence de la répression en URSS. L’auteur de l’Opium des intellectuels le formulera ainsi : « Quand on est un intellectuel, on devrait pouvoir comprendre que deux et deux font quatre et que le goulag, ça n’est pas la démocratie ». Source de désaccord avec Jean-Paul Sartre, cet engagement dans le désengagement le place indéniablement dans une position qui, pour Jean-Claude Casanova, directeur de la revue Commentaire confondée avec Raymond Aron, « le distingue fondamentalement des intellectuels comme catégorie générale », tant « il pouvait comprendre les problèmes d’échange et les problèmes stratégiques, il pouvait comprendre la politique étrangère plutôt que dénoncer des positions morales ou vertueuses, et ces positions morales ou vertueuses venaient après l’analyse et la compréhension de la réalité. »

Aron, un intellectuel à part #UMED
00:51

 

Pour Aron, une analyse doit se faire sans jugement a priori, et c’est la raison pour laquelle il ne soutiendra pas non plus le mouvement étudiant de mai 1968 : il s’alarmait sur les dangers des prises de position passionnées qui découlent des mouvements de foule. Position que partage et précise Jean Birnbaum, responsable du Monde des livres et essayiste, en relatant que l’homme « a vu mourir deux Républiques, il a vu ce que c’était que les mouvements de foule qui n’avaient aucun rapport avec la nuance, et qui étaient dans un prophétisme de masse sanglant, il avait donc une réticence absolue à l’égard de cela, et notamment à l’égard d’un aspect qu’on trouve en 68 : le fait de ne faire aucune distinction entre les régimes. ». Dans les années 1930, Raymond Aron a vu la montée du nazisme en Allemagne et la montée des totalitarismes en Europe, il a su distinguer les différents régimes, totalitaires ou démocratiques, et en faire leur analyse sans pour autant prendre position. Il le dira d’ailleurs, il n’y a pas de « système aronien », car système peut impliquer au bout du compte idéologie, et l’idéologie est dangereuse.

Jean Birnbaum : pour Aron, il fallait faire la distinction entre les régimes #UMED
01:16

La liberté politique, un enjeu qui traverse les siècles

Aron a écrit dans le Figaro en 1956 « L’histoire va dans le sens de la liberté », à propos de la révolution hongroise, la première « révolution antitotalitaire ». Il s’impose donc comme défenseur inconditionnel de la liberté politique. Nicolas Baverez, biographe de Raymond Aron, relève que même si la crise de la démocratie aujourd’hui est différente de celle du siècle d’Aron, l'enjeu de la liberté politique pourrait être transposé dans notre siècle : « Ce qui est frappant c’est que la liberté politique va être de nouveau le grand enjeu du XXIe siècle mais qui va se poser différemment : Au XIXe c’était la montée du suffrage universel et la société industrielle, au XXe, la période d’Aron, a été celle des nations contre les empires, les démocraties contre le totalitarisme, et l’enjeu du XXIe siècle va être celui de la démocratie contre les démocratures, et la démocratie libérale contre la démocratie illibérale. Donc en fait, la problématique centrale d’Aron reste au cœur de ce que nous vivons, même si la configuration a complètement changé. ». Un débat toujours potentiellement aronien, donc.

Pour Nicolas Baverez "la problématique centrale d’Aron reste au cœur de ce que nous vivons, même si la configuration a complètement changé."
00:34

 

Jean Birnbaum : « Je pense qu’Aron aurait été très bon sur Twitter »

Si on peut identifier des liens entre certains débats de notre époque et ceux de l'époque d’Aron, il en reste que la révolution numérique a favorisé de nouveaux canaux de transmission et de nouveaux médiums de communication. Instantanéité, spontanéité, synthétisation en 280 caractères obligatoire sur Twitter… Comment se positionnerait Raymond Aron à l’ère du numérique et des réseaux sociaux ? Pour Nicolas Baverez, cette révolution numérique globale a « un impact direct sur la montée des passions collectives et sur la manière dont elles débordent aujourd’hui les démocraties. ». Pour les invités, de par son « sens de la formule », et le « rapport direct » qu’il a toujours eu avec les étudiants, Raymond Aron aurait été « très bon sur Twitter ». Entre démocrate et libéral, pour Cynthia Salloum, politiste aronienne, il se rend compte très vite que « la démocratie n’a pas suffisamment de garde-fous pour les prévenir de manière stable en tant que régime ». Mais elle concédera également que l’homme était lui aussi un passionné, capable parfois de réagir à chaud. Ces nouveaux facteurs auraient-ils donc pu constituer une limite au recul d’Aron, lui qui, lors d’une interview pour la RTS en juin 1968, admet sa position peu objective à l’issue des évènements de mai ?

 

Retrouvez Un monde en docs en replay sur notre site.

 

Partager cet article

Dans la même thématique

capture Le Luron
3min

Politique

Les « films de l’été » 1/8 : Thierry Le Luron, un pionnier de l’humour politique ? 

« C’était un petit surdoué, une sale gosse d’une impertinence rare » se souvient Michel Drucker… Chanteur lyrique de formation, devenu imitateur et comique, Thierry Le Luron a marqué par sa brève carrière le paysage culturel et médiatique des années 70 et 80. Tissé d'interviews de ceux qui l’ont connu ou admiré et de larges extraits de sketchs, le documentaire de Jacques Pessis « Le Luron en campagne » diffusé cet été sur Public Sénat montre combien Thierry Le Luron était insolent à une époque où l'humour n’était pas aussi libre qu’on pourrait le penser aujourd’hui.

Le

Restos du Coeur depot departemental des Alpes-Maritimes
7min

Politique

Les associations seront-elles sacrifiées par le serrage de vis budgétaire ?

Il l’a annoncé mardi, François Bayrou veut faire 43,8 milliards d’euros d’économies. Tous les ministères sont priés de contribuer à l’effort, sauf la défense, la sécurité, la santé et l’écologie. Une des missions qui voit ses crédits diminuer, c’est la mission Sport, jeunesse et vie associative. Cette baisse, conjuguée à la baisse des crédits alloués à la mission Aide publique au développement est un mauvais signal pour les associations françaises, qui sont déjà dans une mauvaise passe. En France, le 1,27 million d’associations sont financées de trois manières : par les subventions de l’Etat, des collectivités locales et par les dons, qui permettent de bénéficier de réduction d’impôts. L’inspection générale des finances chiffre à 53 milliards d’euros le financement public alloué aux associations en 2023. -17,6 % sur la mission Sport, jeunesse et vie associative La mission Sport, jeunesse et vie associative finance de très nombreux dispositifs : la politique en faveur du sport, des Jeux olympiques de 2030, de la politique en faveur de la jeunesse mais aussi de la vie associative. D’autres missions budgétaires participent à ce financement, comme l’Aide publique au développement. Or, ces deux missions voient leurs crédits diminuer dans le projet de budget pour 2026. Dans le tiré à part, le document qui liste les dépenses prévues pour chaque mission budgétaire, présenté le 15 juillet, les crédits de la première sont prévus à 1,2 milliard d’euros pour 2026, contre 1,5 milliard en 2025, soit une baisse de 300 millions d’euros. Pour l’APD, c’est une baisse de 700 millions d’euros. Pour Éric Jeansannetas, sénateur PS de la Creuse et rapporteur des crédits de la mission Sport, jeunesse et vie associative au Sénat, cette baisse est « extrêmement inquiétante ». « C’est une baisse de 300 millions d’euros sur un budget de 1 700 millions, la plus petite mission du budget. On la sacrifie, c’est elle qui perd le plus de crédits en proportion », juge-t-il. Cela inquiète les associations. « 300 millions d’euros, c’est -17,6 % », s’inquiète Pauline Hery, chargée de plaidoyer à France Générosités, « cela montre un recul du financement de la solidarité ». Mais à ce stade, il est difficile pour elle de savoir à quoi s’attendre, le budget n’en est qu’au début de son parcours. Elle n’est pas très optimiste : « On s’attend à des baisses, on sait qu’il y aura des efforts à faire partout ». Lors de son audition devant le Sénat le 16 juillet dernier, Amélie de Montchalin l’a pourtant sous-entendu : ces 300 millions d’euros de baisse ne toucheront pas directement les associations. « 100 millions concerneront l’unification des guichets d’aides aux collectivités territoriales en matière d’équipements sportifs », a-t-elle expliqué. Elle a également assuré que le Service national universel ne serait « pas pérennisé dans sa forme actuelle ». Une explication qui n’a pas convaincu Éric Jeansannetas. « L’année dernière, nous étions tous d’accord au Sénat pour maintenir les crédits de la mission, l’engagement associatif, ce n’est ni de droite ni de gauche », justifie-t-il. 6 % du financement des associations provient d’une niche fiscale Le point d’attention principal du secteur associatif se trouve sur la niche fiscale dont il bénéficie. Pour toutes les associations reconnues d’utilité publique en France, les dons ouvrent le droit à une réduction d’impôts de 66 % du montant donné, dans la limite de 20 % du revenu imposable. Une autre disposition existe pour les associations d’aide aux personnes en difficulté ou victimes de violences, la niche « Coluche » : la réduction d’impôt s’élève alors jusqu’à 75 % du montant, dans la limite de 1 000 €, après quoi le dispositif à 66 % s’applique. Ces deux dispositifs fiscaux représentent 6 % du financement des associations françaises. L’inspection générale des finances a publié, le 16 juillet dernier, un rapport de revue des dépenses publiques en direction des associations. Il pointe une forte augmentation de celles-ci, de 44 % entre 2019 et 2023. S’il reconnaît que « les associations du secteur social, […] paraissent fragilisées par l’inflation et l’augmentation de leur masse salariale », il propose néanmoins de faire un à trois milliards d’euros d’économies. Parmi les pistes de réforme, l’IGF émet l’idée de supprimer la niche « Coluche » et d’abaisser le plafond d’exonération d’impôt de 20 % du revenu à 2000€. Il propose aussi de réformer le crédit d’impôt mécénat, qui s’adresse aux entreprises, en passant d’un système de réduction d’impôt à un système de déduction (c’est l’assiette initiale qui est déduite du montant). Devant ce texte, les associations ont fait part de leur vive inquiétude. « Nous avons été particulièrement alertés par ce rapport. La mise en place des mesures concernant la niche fiscale et le mécénat d’entreprise engendreraient une diminution de 19 à 26 % de la générosité déclarée dans le pays », explique Pauline Hery. Devant l’inquiétude du secteur, François Bayrou a assuré que les dispositifs fiscaux n’étaient pas en danger. « Nous allons y rester attentifs », assure-t-elle. Plus de subventions des collectivités locales ? Autre source d’inquiétude pour les associations : les économies demandées aux collectivités locales, à hauteur de 5,3 milliards d’euros. Elles sont elles aussi pourvoyeuses de financement, et la contrainte sur leur budget risque également de diminuer les subventions. D’après le rapport de l’IGF, en 2023, 49 % des financements publics des associations provenaient des communes, départements et régions. Au sein des collectivités territoriales, ce sont les départements qui pèsent le plus dans les budgets des associations, car ils sont en charge de la politique sociale, et délèguent leurs missions à de nombreuses associations. « Les cinq milliards d’euros d’économies sur les collectivités locales vont mettre un frein aux subventions aux associations », prédit le sénateur socialiste, « les premières victimes de ces réductions budgétaires, ce sont les associations culturelles, sportives ». « Cela nous inquiète depuis l’année dernière », explique Pauline Hery. Les subventions des collectivités, fortement contraintes budgétairement depuis l’augmentation rapide de l’inflation, ont déjà été coupées dans certains cas. « Nous avons beaucoup d’exemples de collectivités qui ont drastiquement coupé les financements des associations dans le secteur de la culture, par exemple. Quand on demande de l’effort aux collectivités territoriales, les associations sont en première ligne sur ces coupes », raconte-t-elle. « Si les financements de la vie associative baissent, cela se répercutera sur les missions d’intérêt général qu’elles mènent » La morosité budgétaire ambiante inquiète. Les coupes budgétaires, combinées à l’année blanche annoncée par le Premier ministre font craindre une augmentation de la pauvreté et des besoins d’aide, par exemple alimentaire. « Si les financements de la vie associative baissent, cela se répercutera sur les missions d’intérêt général qu’elles mènent, et elles devront être remplies par l’Etat, ce qui coûtera plus cher et risque de détruire le tissu social », regrette Pauline Hery, « on a du mal à comprendre que les associations soient mises en première ligne des économies ». Éric Jeansannetas abonde : « Il y aura un retrait des collectivités territoriales des associations d’insertion sociale. Les politiques en direction des jeunes vont être sacrifiées dans ce budget qui va nous être présenté. Cela met en péril nos politiques publiques ». A l’heure où nous écrivons ces lignes, tout reste encore ouvert. La version finale du budget, s’il est voté en temps et en heure, a rarement été aussi imprévisible.

Le

PARIS, Conseil constitutionnel, Constitutional Council, Palais Royal
7min

Politique

Municipales : après le dépôt de plusieurs recours, l’avenir de la loi « Paris-Lyon-Marseille » entre les mains du Conseil constitutionnel

Adoptée le 10 juillet, la proposition de loi visant à « réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille » doit désormais passer sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel. Au moins deux recours ont été déposés sur ce texte, dont l’un porté par la droite sénatoriale. Passage en revue des points litigieux.

Le

Paris: Les Jeunes Republicains au Parc Floral de Paris avec Valerie Pecresse
11min

Politique

Entre House of Cards et Kill Bill : les dessous de la législative partielle qui pourrait opposer Rachida Dati à Michel Barnier à Paris

Rien ne va plus dans la 2e circonscription de Paris, où les prétendants de marque se bousculent pour la législative partielle prévue à la rentrée. L’ancien premier ministre LR, Michel Barnier, vise cette circonscription en or pour « revenir dans l’arène », tout comme la ministre de la Culture, Rachida Dati, qui pourrait en faire un « lancement de campagne » pour les municipales, sans oublier sa collègue du gouvernement, Clara Chappaz, pour Renaissance…

Le