Les parlementaires macronistes, rassemblés dans les Yvelines pour leur rentrée, s’interrogent sur la position qu’ils doivent adopter face au nouveau Premier ministre Michel Barnier, dont ils ignorent encore le programme de réformes. Certains appellent à fixer dès à présent des lignes rouges avec, en creux, la possibilité d’un retrait en bloc du gouvernement, en cas de participation.
Pourquoi le projet de réforme des questions d’actualité de l’Assemblée pourrait créer des tensions avec le Sénat
Par François Vignal
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« Ça commence à circuler. Tout le monde est surpris, bien sûr ». Le sénateur LR Cédric Perrin, le tout nouveau président de la commission des affaires étrangères et de la défense de la Haute assemblée, donne le ton. « C’est sympa… Ils ont peut-être oublié que le Sénat existait… » ironise son collègue Jean-François Rapin, président LR de la commission des affaires européennes du Sénat.
Ce qui commence à « circuler » entre sénateurs, c’est le projet de réforme des questions d’actualité au gouvernement (QAG) de l’Assemblée nationale, qui pourrait bien, indirectement, concerner le Sénat. Plutôt que les deux longues heures – et souvent pour une bonne part ennuyeuses, de l’avis de tous – de questions, tous les mardis, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, planche avec les présidents de groupes sur une autre solution. Comme l’a révélé LCP-AN, l’une des pistes consiste à retirer 30 minutes le mardi. Et, « en contrepartie, la dernière demi-heure pourrait être déplacée au mercredi et réservée à des questions posées à la première ministre, sur le modèle anglais de la Chambre des communes », explique nos confrères, charge à la première ministre de répondre en personne. Cette séance de questions/réponses pourrait logiquement intervenir après le Conseil des ministres, qui a lieu tous les mercredis matin.
Risque de doublon avec les QAG du Sénat
Problème : le Sénat dispose aussi de sa séance hebdomadaire de questions d’actualité au gouvernement, tous les mercredis, à 15 heures, durant un peu plus d’une heure. Les deux moments viendraient se télescoper… ou plutôt, le premier couperait l’herbe sous le pied des QAG du Sénat. Pas génial pour mettre de l’huile dans les relations entre la Haute assemblée et l’exécutif, surtout au moment où le gouvernement cherche à s’appuyer sur le Sénat, face à la majorité relative de l’Assemblée. De plus, difficile de caser ces 30 minutes de questions. Le Conseil des ministres termine souvent tardivement, entre midi et 13 heures. Prévoir ces mini QAG à 14 heures, avant celle du Sénat, semble compliqué en termes de timing. Et les placer après risquerait de doublonner. Reste encore une solution : déplacer les QAG du Sénat…
S’il s’agit pour l’heure « d’une hypothèse de travail », l’idée recueille « l’intérêt des chefs de file des groupes », du moins presque tous, selon LCP-AN. Pour l’heure, rien n’est cependant encore acté. Contacté par publicsenat.fr, l’entourage de Yaël Braun-Pivet parle de « piste exploratoire ». D’autres idées sont sur la table, comme réduire le nombre de questions, ou réduire la durée des questions et des réponses à 1min30. Mais sans surprise, ça n’emballe pas vraiment les députés, pour ne pas parler de rejet pur et simple.
« Très mal venu », selon le sénateur LR Cédric Perrin
Sans surprise là aussi, l’hypothèse est perçue froidement du côté du Sénat. « Ça me semble plutôt très mal venu… » lâche Cédric Perrin, élu ce mercredi matin à la tête de la commission des affaires étrangères. « Pour nous, hors de question que le créneau du mercredi pour les QAG au Sénat soit modifié », prévient la sénatrice LR des Yvelines, Sophie Primas, nouvelle vice-présidente du Sénat.
« Chaque assemblée fonctionne comme elle veut mais ce n’est peut-être pas très correct. Ça mobiliserait la première ministre, qui au demeurant est assez assidue aux QAG au Sénat. Ce n’est peut-être pas génial », réagit Jean-François Rapin en apprenant la nouvelle. Le sénateur du Pas-de-Calais insiste : « Je considère, qu’au-delà de la liberté de chaque assemblée de fonctionner comme elle veut, que ce n’est sûrement pas un bon modèle ».
« Nous sommes très contents que notre séance de QAG soit le mercredi à 15 heures. Et vraiment, je n’ai aucune envie que cela change », prévient Patrick Kanner
Même réaction à gauche. « J’ai envie de dire à la présidente de l’Assemblée nationale que l’Assemblée a déjà changé son mode de fonctionnement des QAG, il n’y a pas si longtemps que ça, nous imposant de fait à changer notre propre fonctionnement. Je pense que s’il y a un respect, tout ceci se négocie avec le président Larcher », avance le président du groupe PS, Patrick Kanner (voir la vidéo ci-dessous). Sous la présidence de Richard Ferrand, les députés avaient en effet déjà revu leur dispositif, remplaçant la double séance d’une heure du mardi et du mercredi, par une seule, de deux heures, le mardi, en y ajoutant un droit de réplique, comme au Sénat. Les sénateurs, dont la séance de QAG était en alternance le mardi et le jeudi, ont donc accepté de se caler sur le dispositif du Palais Bourbon.
Aujourd’hui, pas sûr qu’ils soient aussi flexibles. « Nous, nous sommes très contents que notre séance de QAG soit le mercredi à 15 heures. Et vraiment, je n’ai aucune envie que cela change parce que l’Assemblée aurait décidé de revenir sur un système antérieur », prévient Patrick Kanner. L’ancien ministre de François Hollande ajoute :
Le communiste Pierre Ouzoulias conseille aux députés de s’inspirer des QAG du Sénat pour « gagner en qualité »
Même ligne avec le nouveau vice-président du Sénat, le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, selon qui « ça percute complètement notre dispositif. Ce serait mal venu ». Le sénateur PCF des Hauts-de-Seine « suggère » au passage une autre idée aux députés… « Venir au Sénat pour voir comment ça se passe », et s’en inspirer :
Aux yeux de Pierre Ouzoulias, au fond, « l’Assemblée a du mal avec le bicamérisme. Si en matière législative, ils ont le dernier mot, en matière de contrôle, on fait un travail équivalent. Et les commissions d’enquête qui ont montré des failles dans le travail de l’exécutif viennent du Sénat ».
« Il vaut mieux ne pas faire un jeu de dominos d’irritation institutionnelle. Le jeu n’en vaut pas la chandelle », tempère un ministre
Alors que la tendance est à l’apaisement dans les relations entre les deux chambres, une telle réforme des QAG remettrait une pièce dans la machine et contribuerait à relancer les tensions. « Ce n’est pas terrible. Et je n’ai pas l’impression qu’on a lancé de guéguerre de notre côté », s’étonne Jean-François Rapin. Le président de la commission des affaires européennes rappelle aussi que « le Sénat s’est plutôt adapté aux QAG du mardi de l’Assemblée, en faisant les siennes le mercredi, au lieu de l’alternance du mardi et du jeudi ».
Du côté du gouvernement, un ministre interrogé doute de la pertinence de l’idée. « Si ça doit gêner les sénateurs, je propose qu’on ne fasse rien qui gêne les sénateurs », avance prudemment ce ministre, qui ajoute : « Il vaut mieux ne pas faire un jeu de dominos d’irritation institutionnelle. Le jeu n’en vaut pas la chandelle ». De quoi rassurer les sénateurs ? Le fin mot de l’histoire reviendra sûrement à Matignon… et à l’Elysée.
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