« Pourquoi veut-il un deuxième mandat ? » : Emmanuel Macron et les équilibres politiques nationaux à l’épreuve de la crise

« Pourquoi veut-il un deuxième mandat ? » : Emmanuel Macron et les équilibres politiques nationaux à l’épreuve de la crise

L’épidémie du covid-19 a-t-elle bouleversé l’échiquier politique français ? À l’orée de la campagne présidentielle, Jean Garrigues, historien et président du Comité d’histoire parlementaire, et Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et politologue au Cevipof, dressent un bilan provisoire du paysage politique national et tentent de cerner les enjeux de 2022. 4e épisode de notre série « la démocratie sous covid ».
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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12 mars 2020. Première allocution solennelle dédiée au covid-19 pour Emmanuel Macron. « Nous ne sommes qu’au début de cette épidémie et partout en Europe elle s’accélère, elle s’intensifie ». Le chef de l’Etat ne croit pas si bien dire. Deux confinements et des dizaines de milliers de morts plus tard, le bout du tunnel de la crise épidémique, économique et sociale a du mal à poindre. Voilà de quoi profondément bouleverser un quinquennat et les équilibres politiques nationaux - déjà esquintés par l’irruption du macronisme -, entre brève union sacrée initiale et critique permanente de la gestion de crise par l’exécutif. Certains ont-ils su tirer leur épingle du jeu ? Des figures politiques ont-elles émergé ? Plutôt qu’un grand chamboulement, la crise a « figé » les espaces politiques décryptent le politologue Bruno Cautrès et l’historien Jean Garrigues.

Nouveau Premier ministre, renforcement du rôle présidentiel

Sur le plan politique, le premier constat coule de source : la crise épidémique a entraîné un changement de Premier ministre. Le 3 juillet 2020, Emmanuel Macron se sépare de son chef du gouvernement depuis le début du quinquennat, Édouard Philippe. Caracolant dans les sondages, ce transfuge de la droite juppéiste prenait de plus en plus la lumière et les tensions avec le chef de l’Etat s’exacerbaient au fil de la gestion de crise. La « feuille de papier à cigarette » entre les deux hommes s’est peu à peu épaissie, au point de débarquer Édouard Philippe au profit d’un autre transfuge de la droite… Le « Monsieur déconfinement », Jean Castex, alors maire LR de Prades (Pyrénées-Orientales) et grand organisateur de la sortie du premier confinement.

« Le départ d’Édouard Philippe est dû à la crise. Des divergences s’étaient fait jour, dans sa gestion. L’épidémie conduit Macron à concevoir un nouveau souffle et pour incarner ce nouvel élan il fallait une nouvelle équipe », analyse Jean Garrigues. « Ce n’est pas négligeable. Il y a eu un nouvel équilibre dans le couple exécutif », poursuit-il. Fini le Edouard Philippe VRP du macronisme à droite pour faire « travailler la poutre », place à Jean Castex, volontiers chantre des territoires.

« Dans la communication, il y avait du temps d’Édouard Philippe un certain effacement du président de la République derrière le Premier ministre. C’est toujours un équilibre ténu. Il faut que le Premier ministre soit à la fois un fusible et pas un boulet ». Pour l’historien, la « prééminence » du rôle présidentiel s’affirme et le nouveau chef du gouvernement, Jean Castex, est confiné à un rôle « d’exécutant ». « Et c’est un premier pas vers la campagne de 2022 ».

L’exercice « jupitérien » du pouvoir s’est notamment traduit par une mise sous cloche - selon les oppositions - du Parlement dans les premiers mois de la pandémie, avant que la concertation ne devienne petit à petit plus « dense » : « Il y a eu une correction de la trajectoire. La contestation venait de la multiplicité des Conseils de défense qui échappent au contrôle parlementaire. L’interrogation sur ce type de gouvernance est légitime : avant, ils étaient dévolus à des sujets de violences urbaines. Là, on est dans quelque chose d’inédit parce que c’est pour du sanitaire. Cela posait la question de l’autoritarisme présidentiel », explique Jean Garrigues.

Ni renforcé, ni affaibli, Emmanuel Macron et le paradoxe du « capitaine dans la tempête »

Pour une partie de l’opinion, le mandat d’Emmanuel Macron est une succession de crises : crise des Gilets Jaunes, crise de la réforme des Retraites, crise sanitaire. La figure d’Emmanuel Macron cristallise régulièrement la colère, alimentée à coups de petites phrases. Dans la gestion de l’épidémie, les critiques se sont abattues en trombes. Mais un paradoxe éclôt : le chef de l’Etat n’est - à ce jour - ni « gagnant », ni « perdant » dans l’opinion, observe Bruno Cautrès. Fin février, le « Baromètre politique » annuel du Cevipof relevait que 37 % des Français déclaraient avoir confiance en Emmanuel Macron. « On ne voit pas un exécutif mis à terre par la crise et en même temps, on observe qu’Emmanuel Macron est nettement moins bien évalué dans l’opinion par rapport à ses équivalents européens ». En comparaison, la chancelière allemande Angela Merkel recueille 62 % de taux de confiance.

« La perception de la gestion de la crise est paradoxale : il y a une critique majoritaire avec des taux de deux tiers d’insatisfaits. Mais la cote de popularité reste plus haute par rapport à ses prédécesseurs », note Jean Garrigues. Il l’explique par le « phénomène du capitaine dans la tempête » : les crises profitent à ceux qui sont en place, « c’est un phénomène très récurrent dans l’Histoire ». Mais cela peut aussi être « un trompe-l’œil par rapport à l’expression différée d’un mécontentement social », prévient-il. À ses yeux, il faut ajouter un élément de nuance : Marine Le Pen ne « cesse » de progresser dans les sondages et « polarise » la frange des mécontents qui « n’a pas diminué ». Pour le moment, il estime donc qu’Emmanuel Macron a « limité les dégâts ».

« Pourquoi je veux un deuxième mandat ? »

« Si on prend de la distance, la gestion de la crise va laisser des conséquences importantes dans deux segments de l’électorat : sa base, qui va penser qu’il a bien géré et ceux qui ne l’approuvent pas et qui se retrouvent confortés dans leur opinion », embraye Bruno Cautrès. Selon le politologue, la crise a sans doute accentué la perception d’un Emmanuel Macron « adaptable » mais « qui ne sait pas vraiment où il veut aller ». Dans la perspective de 2022, cela va « peser lourd », prédit-il « Il devra répondre à la question : pourquoi je veux un deuxième mandat ? Quels sont le programme et le package de politiques publiques que je présente aux Français ? ». En bref, Emmanuel Macron devra présenter son bilan - et éventuellement les leçons qu’il en a tirées - de la crise, et s’amender ou non par rapport à son projet de 2017. Remettre le cap sur les réformes ? Ou modifier à la marge en tenant compte des crises ?

Une autre problématique s’impose au chef de l’Etat dans la perspective de 2022, selon Bruno Cautrès : « Repartir en campagne avec qui ? Avec qui dans l’espace partisan et avec qui comme personnalité politique ? » Une partie des ministres importants, comme Bruno Le Maire, Gérald Darmanin ou Jean-Yves Le Drian auront - sauf retournement de situation - fait un quinquennat entier. S’ils étaient amenés à retrouver un poste au gouvernement lors d’un second mandat, il y aurait « une contradiction entre le message initial de renouvellement et une conservation des mêmes personnalités », relève-t-il. D’autre part, en termes d’équation politique, Emmanuel Macron pourrait se retrouver contraint de former une coalition avec Les Républicains pour conserver l’Elysée ou en cas de législatives favorables à la droite. Une petite musique qui monte ces derniers jours dans les rangs de LR, qui craint un ralliement de Nicolas Sarkozy, désormais condamné par la justice, au chef de l’Etat. « Il faudrait alors que cette coalition soit clairement assumée programmatiquement, presque au sens allemand du terme. Ou alors le pire scénario pour Emmanuel Macron : une cohabitation », résume Bruno Cautrès.

Pour l’heure, certains soutiens d’Emmanuel Macron aimeraient le voir reproduire le « coup de 2017 » : une candidature sans label pour rassembler gauche et droite. Ce que Marine Le Pen compte elle aussi reprendre à son compte. Jeudi 11 mars, sur le plateau de BFMTV, la présidente du RN a affirmé vouloir former un gouvernement d’« union nationale » si elle était élue. Elle s’est même dite prête à ouvrir la porte à Arnaud Montebourg, ancien ministre socialiste de François Hollande.

Une opposition à voix masquées, des signaux favorables pour le RN

Dans les premiers jours de la crise sanitaire, les oppositions avaient semblé former une union sacrée, refusant de vilipender à outrance le gouvernement. La concorde nationale s’est rapidement brisée sur les choix de l’exécutif : maintenir ou non le premier tour des élections municipales, le manque de masques, de tests, la centralisation du pouvoir et plus récemment la lenteur de la vaccination. La critique est devenue « permanente ». Mais au milieu de ce concert de louanges, aucun parti n’a su véritablement tirer son épingle du jeu. « La crise a un peu figé les choses », résume Bruno Cautrès. La droite a du mal à voir émerger un leader, la gauche reste divisée entre les socialistes, les Insoumis et les écologistes, et la majorité présidentielle continue de s’effriter. Certes, les Verts ont remporté des grandes villes lors des élections municipales 2020 (Lyon, Bordeaux, Marseille) mais « ils n’ont pas réussi à embrayer sur le fait que la crise sanitaire serait liée à la crise climatique. On n’a pas le sentiment que l’essai des municipales se transforme pour la présidentielle », objecte Bruno Cautrès.

L’historien et le politologue dressent néanmoins un même constat : « Tous les signaux sont au vert pour Marine Le Pen ». « Elle a une stratégie de communication beaucoup plus professionnelle. Elle fait passer le message qu’elle a compris ce que c’est qu’être candidate à la présidentielle. Depuis quelques semaines, elle multiplie les occasions de faire passer ce message », décrypte Bruno Cautrès. Jean Garrigues confirme cette tendance : « Marine Le Pen renforce sa normalisation, avec un discours beaucoup plus modéré, y compris dans la critique de la gestion de la crise sanitaire, parfois même avec un effacement par rapport aux critiques venues d’ailleurs. Elle capitalise sur la nature protestataire de son électorat. La situation est assez confortable pour elle. Elle n’a pas besoin de l’hystérisation dont se nourrissait le FN ». À l’écouter, comme lors de la crise des Gilets Jaunes, le RN fait « profil bas » et profite ainsi d’une « ascension tranquille et inexorable ».

Dans ce contexte, le duel Macron-Le Pen est-il inévitable, alors que le barrage républicain semble se fissurer ? « Non », répond Bruno Cautrès. « J’observe un maintien des positions mais pas de dynamique de premier tour pour Emmanuel Macron, on ne voit pas bien d’autres dynamiques pour les autres candidats. Cela veut dire qu’une partie de l’électorat n’a pas fait son choix. Ce sera une élection plus compétitive que 2017. On peut faire l’hypothèse que le candidat socialiste ne sera pas issu d’une primaire de dernière minute et qu’il n’y aura pas de PenelopeGate. C’est donc aux challengers de Macron de faire le boulot pour que la présidentielle devienne encore plus compétitive ».

L’Etat-providence, au cœur de la campagne de 2022

Si pour les principaux candidats, l’heure est au « dépassement » des clivages, certaines thématiques s’imposent avec plus de force à l’épreuve de la crise. Le sécuritaire, l’écologie… Mais surtout la nécessité d’un Etat souverain et protecteur pour répondre à la crise sociale. « L’Etat protecteur à la française va occuper une place majeure dans la présidentielle », prévoit Bruno Cautrès. « En termes de reconquête idéologique, il y a un regain de ces idées traditionnellement portées par la gauche. Mais la politique passe avant tout par une incarnation, il n’y a ni figure fédératrice ni programme fédérateur à gauche. C’était la force de Mitterrand d’avoir rassemblé des gauches différentes autour d’une stratégie de conquête du pouvoir », rappelle Jean Garrigues. L’historien poursuit : « À la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, l’expérience de la guerre a accéléré la construction de l’Etat-providence. Une crise comme la nôtre favorise la reconstruction d’un Etat-providence qui soit moins une adaptation à la mondialisation qu’une adaptation de la mondialisation à l’Etat-providence ».

Chaque parti, à sa manière, est sur cette « dynamique ». La capacité de chacun des partis à s’identifier à cette reconstruction sera un « critère de succès », préfigure-t-il. De la question du remboursement de la dette pour le RN au « quoiqu’il en coûte » de la majorité présidentielle, en passant par la droite traditionnelle qui s’interroge sur le revenu universel, les paradigmes changent. Jean Garrigues s’interroge : « Il y a une vraie bascule idéologique aujourd’hui : mais va-t-elle se traduire dans les programmes ? »

Mélenchon, Macron, Le Pen… En cas d’échec à la présidentielle, 2022 pourrait aussi acter des fins de parcours politique. L’année d’un grand « reset » de l’échiquier politique français ? Bruno Cautrès en convient : « Potentiellement, 2022 peut redistribuer les cartes ». Plus vigoureusement que 2020.

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