Poutine, l’héritier de l’URSS ?

Poutine, l’héritier de l’URSS ?

Le 18 mars prochain, la Fédération de Russie élira son nouveau président, et Vladimir Poutine, candidat à sa réélection, est déjà  en campagne pour son quatrième mandat. Le président incarne un pouvoir fort et prône un retour à une « Grande Russie ». Mais dans les faits, quelles ruptures et quelles continuités entre la Russie soviétique et la Russie contemporaine ?
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Par Amélia Morghadi

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Vladimir Vladimirovitch Poutine, commence tout en bas de l’échelle du KGB, le service de renseignement de l’URSS, et gravit les échelons pas à pas jusqu’à se retrouver directeur du Service fédéral de sécurité, désormais FSB, en 1998. Il aura une ascension fulgurante au pouvoir, propulsé sur le devant de la scène par Boris Eltsine, président russe de l’époque.

Poutine, de « marionnette » à « marionnettiste » ?

Pour l’historien Stéphane Courtois, dès le début : « Poutine a été envoyé en mission [NDLR par Eltsine] ». Une marionnette qui aurait très vite renversé la balance pour se retrouver marionnettiste.

Une analyse que ne partage pas le géopolitologue de la Russie Jean Radvanyi: « ce n’était pas une marionnette, il était premier adjoint du maire réformateur de Saint-Pétersbourg Anatoli Sobtchak », un poste clé dans le système russe. « On sait comment il a sauvé Eltsine et comment il a obtenu son poste » renchérit Stéphane Courtois, «  avec une opération de chantage sexuel et de cassette à la télévision ».  Début 1999, Youri Skouratov,  procureur général de Russie, qui enquêtait alors sur des soupçons de corruption autour d’Eltsine sera limogé après la diffusion d’une vidéo censée le montrer au lit avec deux prostituées. Vladimir Poutine, alors directeur du FSB, présente la vidéo directement à la télévision russe pour attester de sa véracité. L’utilisation du « kompromat », la révélation de documents compromettants, est  une de ses techniques favorites.

 

Pour Stéphane Courtois "Poutine a été envoyé en mission " #UMED
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La clé de compréhension de la politique russe actuelle, réside avant tout selon l’historien Stéphane Courtois, dans l’analyse de la personnalité complexe du président. Un personnage au départ inconnu du grand public, qui s’est retrouvé au sommet il y a 19 ans et qui y est toujours.  

De Pierre le Grand à Staline

« Celui qui ne regrette pas l’Union soviétique n’a pas de cœur, celui qui souhaite son retour n’a pas de tête ». Avec ces mots Vladimir Poutine décrit la relation ambivalente qui le lie au passé de la Russie.  Malgré l’ouverture et la politique libérale du pays, il continue de faire régulièrement référence à la période communiste.

« Il devait redresser un grand pays qui s’est effondré. Il veut reconstituer une espèce de fierté russe », témoigne l’historien du communisme Stéphane Courtois.

« Celui qui ne regrette pas l’Union soviétique n’a pas de cœur, celui qui souhaite son retour n’a pas de tête »

Le documentariste Jean-Michel Carré, explique la complexité de la mémoire en Russie sur la période soviétique : « Aujourd’hui il y a toujours 17% de votes pour les communistes à chaque élection, et, il y a régulièrement des manifestations avec des portraits de Staline. Il y a dans l’âme russe des souvenirs ».
Lors de la commémoration des 75 ans de la bataille de Stalingrad , Poutine a réaffirmé son attachement particulier à cet évènement : « Les défenseurs de Stalingrad nous ont laissé un grand héritage : l’amour de la patrie, la volonté de défendre ses intérêts et son indépendance et la capacité d’être forts face à toutes les épreuves. ».

Mais pour Jean Radvanyi, codirecteur du CREE (Centre de recherches Europes-Eurasie) à l'INALCO, la volonté de Vladimir Poutine d’un retour à une « Grande Russie », n’est pas une forme de résurrection de l’URSS. «Poutine, en essayant de stabiliser la Russie d’aujourd’hui qui n’est plus l’URSS, utilise des instruments divers : le sport, l’olympisme, la nature, la religion et l’histoire. ». Selon le géopolitologue, ce ne sont donc pas des choix idéologiques : « Il veut glaner dans toutes les périodes de la Russie ce qui lui paraît de nature à consolider la société russe. Il prend des choses dans le régime tsariste et dans le soviétique, y compris dans la période stalinienne » observe Jean Radvanyi.

 

"Poutine veut glaner dans toutes les périodes de la Russie ce qui lui paraît de nature à consolider la société russe" #UMED
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Il souligne aussi la réelle rupture qui existe avec l’URSS,  autant sur le plan économique que politique : « Les Russes peuvent voyager dans le monde sans visa de sortie, il y a vraiment des choses qui ont changé. Ce n’est plus un pays socialiste planifié, c’est autre chose. ». Mais le régime politique de la Russie actuelle est-il pour autant démocratique ?

La Russie, une démocratie ?

L’association Human Rights Watch dénonce pour 2017 une « année sombre » pour la liberté en Russie. « Ce n’est pas une vraie démocratie, du moins ce n’est pas une démocratie au sens européen, occidental du terme » assure le géopolitologue Jean Radvanyi.

« Poutine appelle ça « la démocratie dirigée » », s’amuse le documentariste Jean-Michel Carré. En tout cas pour l’historien Stéphane Courtois, une chose est sûre :« Ce n’est plus un régime totalitaire ».

Le 18 mars prochain se tiendra la 7e élection présidentielle en Russie depuis la fin de l’ère soviétique, et huit candidats sont en lice, dont le président sortant Vladimir Poutine. Les précédentes élections avaient été marquées par une abstention record depuis la fin de l’URSS, un phénomène qui inquiète pour les élections du 18 mars 2018.

Alexeï Navalny, le principal opposant, a été  évincé de la course, accusé de condamnations pénales qu’il réfute. « Poutine est un ancien du KGB, le FSB d’aujourd’hui, et il va redonner toute sa puissance à cette organisation qui était redoutable» confie l’historien Stéphane Courtois.

 

 

Retrouvez l'émission Un monde en Docs "De l'URSS à la Russie: quel héritage?",  samedi 17 février à 00h20, dimanche 18 janvier à 10h45 et dimanche 25 février à 18h50 sur Public Sénat.

Pour aller plus loin :

  • « Lénine, l’inventeur du totalitarisme » de Stéphane Courtois,  aux éditions Perrin, septembre 2017
  • « Au cœur du Kremlin : des tsars rouges à poutine » de Vladimir Fédorovski, éditions Stock, sors le 14 février 2018
  • « Retour d'une autre Russie. Une plongée dans le pays de Poutine » de Jean Radvanyi aux éditions Le Bord de l'eau en 2013
  • « Le Système totalitaire : les origines des totalitarismes tome 3» de Hannah Arendt, écrit en 1951, réédité en français aux éditions Le Seuil en 2005.
  • « Le communisme, une passion française » de Marc Lazar, publié en 2002, éditions Perrin, Tempus.
  • « La petite communiste qui ne souriait jamais » de Lola Lafon, éditions Actes Sud, 2014
  • Le numéro juin/juillet 2017 de la Revue « Le Mouvement social » : « La Présences du passé soviétique dans la Russie contemporaine », sous la direction de Laurent Coumel, Benjamin Guichard et Walter Sperling

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