Pouvoir d’achat : « Effet d’annonce », « soutien cosmétique » … la commission des Finances du Sénat critique la loi du gouvernement
La commission des Finances a démarré ce lundi ses travaux sur les mesures de soutien aux salaires et les revalorisations des prestations sociales contenues dans le projet de loi pouvoir d’achat du gouvernement. Si certains dispositifs, comme la Prime « Macron » ont simplement été précisés, le rapport de Christine Lavarde s’est montré beaucoup plus critique avec le cap général fixé par cette loi.

Pouvoir d’achat : « Effet d’annonce », « soutien cosmétique » … la commission des Finances du Sénat critique la loi du gouvernement

La commission des Finances a démarré ce lundi ses travaux sur les mesures de soutien aux salaires et les revalorisations des prestations sociales contenues dans le projet de loi pouvoir d’achat du gouvernement. Si certains dispositifs, comme la Prime « Macron » ont simplement été précisés, le rapport de Christine Lavarde s’est montré beaucoup plus critique avec le cap général fixé par cette loi.
Louis Mollier-Sabet

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Alors que le marathon législatif de l’été continue au Parlement, le Sénat va se pencher cette semaine sur le projet de loi pour le pouvoir d’achat du gouvernement. Les commissions se réunissaient ainsi aujourd’hui pour travailler sur la version du texte transmise par l’Assemblée. La commission des Affaires sociales, d’abord, « saisie au fond » sur ce texte, c’est-à-dire cheffe de file des travaux sur la majorité des dispositions de la loi, mais aussi la commission des Affaires économiques, du Développement durable et des Finances. Christine Lavarde (LR) a rédigé un « rapport pour avis » au nom de cette-dernière, sur plusieurs articles « compte-tenu de leur impact sur les finances publiques », et principalement sur les mesures du texte en faveur des salariés et les revalorisations des prestations sociales. Christine Lavarde s’inquiète notamment dans ce rapport du dispositif de « prime de partage de la valeur », qui pérennise la prime dite « Macron », créée après la crise des Gilets Jaunes. Une prime qui, dans l’état actuel du dispositif, « suscite plus d’interrogations sur ses effets que de garanties sur un réel gain de pouvoir d’achat », d’après la rapporteure, qui a donc déposé des amendements pour modifier son fonctionnement.

Une refonte de la prime « Macron »

Dans la version de l’Assemblée, l’article 1er du projet de loi créée « deux primes de partage de la valeur », l’une est une prime exceptionnelle de maximum 3000 euros, exonérée d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales, que toute entreprise pourra verser à un salarié gagnant moins de trois fois le SMIC jusqu’au 31 décembre 2023. L’autre est une prime pérenne du même montant, mais qui ne sera exonérée que de cotisations sociales – et donc assujettie à l’impôt sur le revenu – et sans plafond de salaire. Elle pourra donc concerner tous les salariés et pourra même atteindre 6000 euros en cas de signature d’un accord d’intéressement dans l’entreprise. Enfin, si la version de l’Assemblée subsiste, parce que Christine Lavarde a déposé un amendement qui renomme cette prime pérenne de partage de la valeur « prime de pouvoir d’achat », et limite le dispositif au 31 décembre 2023, comme pour la prime exceptionnelle totalement exonérée d’impôts et de cotisations, sauf pour les entreprises de moins de 50 salariés, où la prime pérenne sera maintenue.

Le but, d’après la rapporteure, est d’éviter une « cannibalisation » des mécanismes d’intéressement dans les grandes entreprises, qui pourraient préférer cette prime aux dispositifs déjà existants. Or, explique Christine Lavarde, les mécanismes d’intéressement déjà en place sont, eux, « structurels » et mis en place dans une « approche de long terme », et pas des primes distribuées au bon vouloir de l’employeur en réponse à « une crise conjoncturelle. » Pour les entreprises de moins de 50 salariés en revanche, l’enjeu est tout autre, puisqu’en 2020, elles n’étaient que 4,2 % à avoir signé un accord de participation et 8,8 % pour les accords d’intéressement. De plus, ce sont les entreprises qui ont versé le montant moyen de prime dite « Macron » le plus élevé en 2019. La rapporteure de la commission des Finances du Sénat a donc estimé que ce dispositif était pour elles « plus flexible et plus aisé à mettre en œuvre » qu’un accord d’intéressement.

Christine Lavarde a ensuite modifié le dispositif à la marge, en incluant notamment la possibilité pour un salarié bénéficiaire de cette prime de la placer sur un dispositif d’épargne salariale. D’après elle, cela permettrait aux salariés en difficulté de toucher cette prime directement, tout en offrant la possibilité à ceux qui auraient moins besoin « d’un soutien immédiat » de « se constituer une épargne de long terme. » La version de l’Assemblée nationale prévoyait déjà que cette prime ne pourrait pas être versée mensuellement, mais Christine Lavarde a déposé un amendement précisant que la prime de partage de la valeur ne pourrait pas être versée en plus de 4 fois sur l’année, pour limiter le risque qu’elle se substitue à des augmentations salariales, ce qui est déjà « l’un des principaux risques liés à l’instauration d’une prime de pouvoir d’achat. » Enfin, concernant la prime exceptionnelle exonérée de cotisations et d’impôt sur le revenu, la rapporteure pour avis a tenu à ce que cette exonération d’impôt tienne compte, non pas simplement des revenus du salarié concerné, mais aussi de son conjoint dans le cas d’une imposition commune. En clair, pour être éligible à cette prime, il faudra non pas que le salaire perçu soit inférieur à 3 fois le SMIC, mais que l’ensemble des revenus du ménage soient inférieurs à 6 fois le SMIC.

« Soutien cosmétique à la revalorisation des grilles salariales », « décalage par rapport à la défense de la valeur travail affichée », des mesures non financées…

Le rapport n’est par ailleurs pas tendre avec la stratégie d’ensemble et les équilibres financiers de la loi pour le pouvoir d’achat proposée par Emmanuel Macron. À propos des renégociations des accords de branche dont les grilles salariales démarrent en dessous du SMIC (120 branches sur 171, Christine Lavarde déplore en effet un « soutien cosmétique à la revalorisation des grilles salariales », par des mesures « dépourvues de valeurs normatives, voire inefficientes. » Le texte prévoyait notamment de renforcer les pouvoirs des ministres en matière de fusion de branche afin d’inciter celles-ci à ouvrir des négociations.

De même pour ce qui est des revalorisations des prestations sociales, entre 3,5 % et 4 % selon les prestations, la rapporteure pointe que « le taux retenu reste inférieur à celui de l’inflation prévu par l’Insee (+5,5 %) », tout en regrettant qu’au sein de ces prestations, la majoration de 4 % du RSA soit un « gain de pouvoir d’achat supérieur » à celui enregistré par les indépendants en cas d’allègement des cotisations sociales et par les fonctionnaires avec la revalorisation du point d’indice de 3,5 %. « Un décalage par rapport à la défense de la valeur travail affichée par ailleurs », tacle Christine Lavarde, pour qui les dispositifs de soutien à « certaines catégories » de la population ne doivent pas « diminuer le coût d’opportunité de ne pas prendre un emploi dans un contexte marqué par de fortes tensions sur le marché du travail. »

Cette « poursuite du quoiqu’il en coûte » devrait se chiffrer autour de 7,2 milliards d’euros, d’après les estimations de la rapporteure de la commission des finances, dont 6,6 milliards liés aux revalorisations des prestations sociales. Plus de la moitié des dépenses seraient « supportées » par la Sécurité sociale (4,6 milliards d’euros) et 120 millions par les collectivités au titre du financement du RSA, qui seront finalement compensés par l’Etat. Resteraient ainsi 2,5 milliards d’euros à financer pour l’Etat. La rapporteure attire l’attention sur « l’effet de substitution » dû à l’élargissement de la prime « Macron », qui pourrait remplacer des augmentations salariales. Or celles-ci, à l’inverse de la prime Macron, sont soumises aux cotisations sociales, et leur remplacement constitue donc une perte de recettes pour la Sécu qui n’est pas prise en compte dans ce projet de loi. De même, le budget rectificatif, « déposé en même temps que le présent projet de loi et censé en tirer les conséquences financières, ne comporte pour l’heure aucune disposition en ce sens », déplore Christine Lavarde. Au niveau financier, la majorité sénatoriale semble pour le moins peu enthousiaste face au projet de loi pour le pouvoir d’achat du gouvernement. L’examen du texte au Sénat permettra donc de voir quels compromis se dégagent de positions pour le moment éloignées.

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