Le texte s’est retrouvé au cœur d’une courte, mais intense polémique. Députés et sénateurs sont malgré tout parvenus à un accord, ce mardi, en commission mixte paritaire (CMP), sur le projet de loi sur les modalités d’organisation de l’élection présidentielle. A l’origine, un simple toilettage technique, qui a lieu avant chaque élection depuis 1988. Mais le dépôt, à la dernière minute, d’un amendement du gouvernement pour permettre le vote anticipé pour 2022, via des machines à voter et durant la semaine précédant le scrutin, a mis le feu aux poudres. Certains, comme le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, y ont vu « une magouille politicienne ». La mesure a été largement rejetée par le Sénat.
Lors de la CMP, députés et sénateurs n’ont pas repris l’amendement litigieux. Mais son sort était déjà scellé. En raison de la règle de « l’entonnoir parlementaire » (lire ici pour plus d’explications), le gouvernement n’aurait pas pu redéposer la mesure devant les députés. « Le mot de la fin vous appartient », avait anticipé la ministre Marlène Schiappa, lors des débats en séance.
« Le Président a tapé du poing sur la table »
« Avec le rapporteur LREM de l’Assemblée, Alain Tourret, on a tous les deux, convenu de la maladresse, si ce n’est plus, du gouvernement, sur ce fameux amendement retoqué au Sénat, où ni la forme ni le fond n’y étaient. L’Assemblée n’a pas très bien vécu cet épisode, comme le Sénat » explique le rapporteur du Sénat, le sénateur LR Stéphane Le Rudulier.
Le sénateur des Bouches-du-Rhône rappelle avoir « eu le ministre de l’Intérieur en ligne à 15 heures le lundi pour (le) prévenir, pour un dépôt le mardi à 11 heures… Mais c’est sûr que ça vient de l’Elysée. Je le sais de la bouche du ministre, qui avoue que c’était un des engagements du Président Macron. Or il s’était engagé sur le vote électronique, mais pas le vote par anticipation ». Pourquoi cette précipitation ? Un ministre raconte qu’Emmanuel Macron demandait « depuis des mois » des solutions pour « faciliter le vote ». « Mais le ministère de l’Intérieur, plus conservateur que lui… Pour eux, le système est bien », confie-t-il. Autrement dit, Beauvau a traîné des pieds. Puis « le Président a tapé du poing sur la table », continue ce ministre. Résultat, un amendement déposé trop tard, car après l’examen par les députés, sans consultation, ni étude d’impact, et qui fait la quasi-unanimité contre lui. Un joli flop.
Comptes de campagne : une décision qui arrange Xavier Bertrand
L’autre point d’achoppement portait sur le risque de chevauchement des comptes de campagne des élections régionales et de la présidentielle. Les comptes commencent un an avant le scrutin présidentiel habituellement, soit en avril 2021. Mais en raison du report des régionales de mars à juin, pour cause de covid-19, ces comptes seront concomitants.
Dans un premier temps, le gouvernement voulait éviter ce risque. « Ce sera la spéciale Bertrand ! » souriait-on du côté du gouvernement, en décembre dernier. Comme publicsenat.fr l’expliquait, l’exécutif, conscient de cette difficulté, était d’abord prêt à réduire la durée des comptes de campagnes, ce qui faisait les affaires de Xavier Bertrand, candidat dans les Hauts-de-France et possible candidat à la présidentielle. Mais après avoir consulté le Conseil d’Etat, ce dernier a rassuré le gouvernement : le chevauchement est possible et gérable par la commission nationale des comptes de campagne. Ce n’est pas l’avis des sénateurs, qui ont fixé le début des comptes pour la présidentielle au 1er juillet 2021, contre l’avis du gouvernement.
Eviter que les comptes du Président élu puissent être « invalidés »
Le sujet restait en discussion et vendredi, lors d’une réunion préparatoire à la CMP, le blocage semblait persister. Mais hier, nouvelle réunion avant la commission mixte paritaire, et les députés se sont rangés à l’avis du Sénat. « On a eu des débats sereins, approfondis sur la période de chevauchement. Et c’est la version du Sénat qui a été retenue » se réjouit Stéphane Le Rudulier, qui a mis en garde sur les difficultés potentielles pour différencier les dépenses liées aux régionales de celles de la présidentielle. « Il peut y avoir des incidences juridiques énormes, notamment des dépassements de plafond des comptes de la présidentielle car la commission des comptes de campagne pourrait réinjecter dans les comptes du candidat des dépenses qui venaient au départ de l’élection régionale. L’idée est d’avoir une clarification et d’éviter cet écueil et toute interprétation abusive de la commission nationale des comptes de campagne », explique le rapporteur.
Il imagine par exemple « un meeting d’un candidat qui parle de la crise sanitaire aux régionales. Si on réintroduit tout ou partie des dépenses, car on estime que c’est de la propagande de la campagne présidentielle, le risque est là ». Le pire serait que cela amène « à invalider, en raison d’un dépassement, les comptes du Président élu par le Conseil constitutionnel. On voulait éviter ça ».
« Ça arrangera aussi le président de la République »
Au final, la décision n’arrange pas que Xavier Bertrand. « Ça arrange Valérie Pécresse aussi, et tout autre candidat qui pourrait se présenter aussi à la présidentielle. Et ça arrangera bien aussi le président de la République car la période de financement ne court qu’à partir du 1er juillet. Ça veut dire que toute intervention du Président ne peut être interrogée, jusqu’à cette date, et ne peut être prise en compte dans les comptes de campagne. Ça arrange tout le monde cette affaire… C’est transpartisan », fait remarquer Stéphane Le Rudulier. Il est vrai qu’à chaque élection, l’opposition accuse à un moment le chef de l’Etat, s’il est candidat, de faire campagne avec les moyens de l’Etat.
La CMP a retenu encore d’autres apports du Sénat. Les candidats seront ainsi incités à rendre accessible aux personnes handicapées la propagande électorale. C’était un amendement du sénateur LR Philippe Mouiller.
Les médias seront « obligés » de publier les marges d’erreurs des sondages
Autre modification du Sénat conservée en CMP : l’obligation de publier les marges d’erreur des sondages. Il s’agit d’un amendement socialiste et une mesure défendue depuis longtemps par le sénateur PS Jean-Pierre Sueur. Les instituts de sondages n’avaient jusqu’ici l’obligation de publier la marge d’erreur des sondages que sur leur site Internet. Dorénavant, comme l’explique le rapporteur, tous les médias seront « obligés » de publier, aux côtés des résultats du sondage, ces marges d’erreur.
Elles sont essentielles pour la bonne lecture d’un sondage. Elles diminuent, plus on interroge de personnes, et elles varient selon les pourcentages. Par exemple, pour un sondage de 1.000 personnes, la marge d’erreur est plus faible quand on s’approche de 0 % ou de 100 %, avec généralement +/- 1,4 point pour un score de 5 ou de 95 %. En revanche, pour un résultat de 50 %, la marge d’erreur est de +/- 3,1 points. Soit, pour un candidat crédité de 50 % au deuxième tour par exemple, un score en réalité compris entre 46,9 % et 53,1 %, en prenant en compte la marge d’erreur. Ce qui change la lecture des sondages, surtout quand ils sont serrés… Un sondage donnant un résultat à 48/52 %, peut se traduire par une égalité, un écart plus grand mais aussi une inversion du résultat. A garder en tête.