Présidentielle : au Havre, sur la trace des abstentionnistes
On parle peu des abstentionnistes, ils vont pourtant jouer un rôle pivot dans la présidentielle. Le taux d’abstention pourrait connaître un record. Entre désillusion, rejet ou désintérêt, les abstentionnistes sont loin d’avoir un profil unique. Au Havre, rencontre avec ces Français qui ne voteront pas.
Il flotte un petit parfum d’été sur le bassin Vauban. Le Havre, en ce jeudi de fin mars, baigne sous le soleil. Le parking des anciens docks, reconvertis en centre commercial, est plein. Les bateaux y déversaient leurs cargaisons de café autrefois. Aujourd’hui, ce sont les caddies qu’on remplit.
Rezki, 31ans, traverse la passerelle qui relie le quartier de la gare aux docks Vauban. Cette native du Havre n’ira pas voter le 23 avril prochain pour le premier tour de l’élection présidentielle. Ni pour le second. « Ils parlent, ils parlent… Ils ont de belles paroles, mais dès qu’ils passent, il n’y a plus rien. Ils sont un peu tous pareil » pense Rezki, agent d’entretien et de restauration. « Ni de gauche, ni de droite », la dernière fois qu’elle s’est déplacée pour voter, c’était pour Nicolas Sarkozy, en 2007. La veille, Jean-Luc Mélenchon était en meeting dans la ville normande. « J’y suis allé, je voulais voir. Si je votais, ce serait lui. Mais je n’irai pas » affirme-t-elle. « Pas dégoutée de la politique », on la sent plutôt désabusée.
Rezki, 31 ans.
Photo : François Vignal
Rezki est comme plusieurs millions de Français qui ne se rendront pas dans l’isoloir. L’armée des pêcheurs à la ligne devrait avoir du renfort le 23 avril prochain. On évoque un taux d’abstention record de 32% voire 38%, selon les études. En 2002, quand Jean-Marie Le Pen s’était qualifié pour le second tour, ce taux avait atteint les 28,4%. En 2012, il était de 19,6% pour l’élection de François Hollande. Le niveau d’abstention est aujourd’hui une des clefs du scrutin. Les abstentionnistes et leur nombre feront en partie l’élection.
Quai de Marseille, au Havre.
Photo : François Vignal
Au Havre, le taux d’abstention était de 63% au premier tour des dernières régionales. La cité portuaire, située à l’embouchure de la Seine, est restée aux mains des communistes pendant 30 ans, avant de passer à droite en 1995. Elle est aujourd’hui dirigée par le juppéiste Edouard Philippe. Le taux de chômage de la zone d’emploi de la ville est supérieur à la moyenne nationale, avec 12,6% en 2015.
La grande famille des abstentionnistes est plurielle
La grande famille des abstentionnistes est plurielle. Dégoût de la politique, lassitude, simple désintérêt, discrédit de la parole politique, absence de sens donné au vote ou sentiment que ça ne sert à (plus) rien, de ne pas être pris en compte, ou raison plus conjoncturelle avec une élection où aucun candidat ne fait l’affaire… Chacun a sa motivation pour ne pas voter.
Photos : François Vignal
Sébastien, pull camionneur et jean, arrive à son tour au centre commercial. Il fait partie de ceux qui rejettent en bloc les élus. « Carreleur au chômage » de 42 ans, la simple prononciation du mot « politique » crée une réaction épidermique, voire violente, chez lui : « Ce sont des voleurs, des menteurs et tout ce qui s’en suit ! Ce n’est même pas la peine de me parler de politique ! » « Jamais de la vie », il n’ira voter. « La politique, c’est la cour d’école. Ils devraient passer un peu moins à la télé. J’aimerais un candidat qui ne soit pas riche, qui comprenne nos problèmes » s’énerve-t-il, avant de continuer.
Francis, 58 ans, est manutentionnaire de profession. Il porte des chaussures de marche, un gilet vert qui laisse découvrir un t-shirt arborant des formules 1 et s’aide d’une canne. « Je ne voterai pas. Ça ne m’intéresse pas. Ou alors je voterai blanc. Je suis indécis » explique Francis. « Les politiques disent beaucoup de palabres pour pas grand-chose ». La dernière fois qu’il a voté, c’était en 2012, pour les législatives.
On continue vers le sud. Après avoir longé l’antenne du Havre de Sciences Po Paris, ouverte en 2012 dans un bâtiment moderne, et le complexe aquatique des Bains des docks, dessiné par les ateliers Jean Nouvel, on rejoint la zone du grand port maritime du Havre, deuxième de France après celui de Marseille, premier pour les conteneurs. Les grues et les deux immenses cheminées de la centrale à charbon d’EDF dessinent l’horizon. Le va-et-vient des camions fait la bande son.
Le Havre est le premier port de conteneurs de France.
Photo : François Vignal
Au milieu des conteneurs empilés comme des Lego, des claquements métalliques résonnent au loin. Des engins de manutention aux bras télescopiques changent de place ces briques géantes et semblent s’animer, comme de vrais êtres, donnant à la scène des airs de film de science fiction.
Conteneurs, au port du Havre.
Photo : François Vignal
Dans ce paysage de bitumes et de ferraille où les piétons sont absents, Jean-François fait son apparition, accompagné d’un ami. Sac à dos avec enceinte sur le dos, il répond de sa voix caverneuse et cassée. Jean-François a vécu dans la rue. « J’ai tout perdu suite à un divorce. Je suis passé de foyer en foyer. Mais depuis quelques mois, j’ai un toit » raconte cet homme de 46 ans, métallier à la recherche d’un emploi. « En 2012, je n’ai pas voté, j’étais dans la rue. Aujourd’hui, j’ai demandé ma carte d’électeur, comme tout le monde. Mais je ne suis pas sûr d’y aller. Je suis la politique de loin. Franchement, je suis perdu dans ce milieu là. Je voterai peut-être blanc » se dit Jean-François.
Jean-François, 46 ans.
Photo : François Vignal
« Si j’avais le temps, j’irais voter »
On repasse le canal de Tancarville pour rejoindre le quai de la Saône, réaménagé en espace vert. Sous le soleil, c’est l’heure de la pause déjeuner au bord de l’eau. Marine et Marine, 27 et 26 ans, discutent. « Je ne sais pas pour qui voter. Ils ne donnent pas envie… J’hésite entre voter blanc et ne pas voter. En même temps, c’est affreux de ne pas voter » dit la première, salariée dans l’import/export. « Si j’avais le temps, j’irais voter » ajoute sa copine, « mais en même temps, c’est un droit, il faut y aller ». Marine, la première, ne se détourne pas de la politique. Au contraire. Elle a même voté lors de la primaire de droite et a « regardé le débat télé » entre les cinq candidats à la présidentielle. « Mais tout ça me dégoute. Et là, c’est du grand n’importe quoi, entre les affaires de Fillon et Valls qui soutient Macron alors qu’il devait soutenir Hamon… Les politiques sont censés être là pour nous. Or ce sont des gens qui disent à un smicard de se serrer la ceinture. Mais avec ce qu’on entend derrière, ça me fait un peu rire… » lâche Marine.
Marine, 27 ans.
Photo : François Vignal
Deux bancs plus loin, Julien, 24 ans, cheveux gominés et bouc, termine sa canette de Coca Cherry. « Je ne vais pas voter » dit-il direct. « Il n’y aucun candidat qui m’intéresse ». En 2012, il a voté François Hollande. La seule fois où il a voté de sa vie. « Je suis déçu, il n’a rien fait pour les gens » pense Julien, qui travaille dans la sécurité. « Le moins mauvais pour moi, c’est Mélenchon », qui semble jouir d’une bonne image chez les abstentionnistes du Havre. « Enfin, il a l’air moins dans l’escroquerie ». Hamon ? « Je ne le connais pas trop, je n’ai pas écouté son programme. Mais apparemment, il propose plein de mesures difficiles à faire. C’est ce que j’ai vu dans les médias ». Toujours est-il qu’il ne se déplacera pas à son bureau de vote. « Je n’en ai rien à foutre, franchement. Il n’y a qu’à voir les scandales. Et encore, l’iceberg en dessous est immense. Pour moi, aller voter ne rime à rien ».
Julien, 24 ans.
Photo : François Vignal
« Moi, rien à foutre. Je ne vote pas »
A l’autre bout du quai, Cécilia, Samira et ses deux petits enfants qui jouent à côté, se sont installées avec chips et chaise pliante. « J’ai 26 ans et je n’ai jamais voté » commence Samira. Elle travaille dans la restauration, comme sa copine. Maillot de Manchester United, casque Beat autour du cou et Nike aux pieds, Cécilia enchaîne : « J’ai déjà voté, ça ne m’a rien apporté. On n’a pas l’impression que ça change. Plus on travaille, plus on a l’impression de devoir payer, payer, payer… » Lancée, elle ne s’arrête plus : « J’ai fait le G8 à Deauville en 2011. Il y avait Obama, Sarkozy. Je l’ai servi ! Mais on était pris comme de la merde ». « Pour ceux qui ont de l’argent, on est des merdes » confirme Samira. « Il faudrait un peu plus de solidarité » pense Cécilia, « même si on est bien aidé par rapport à certains pays ».
Sarah, 24 ans, et Samira, 26 ans.
Photo : François Vignal
Elles n’ont qu’un vague avis sur les candidats. Samira : « Il y en a plein qui disent que Madame Le Pen va passer. Des gens disent qu’elle parle bien. D’autres qu’elle est raciste ». Cécilia : « Le Pen, la première frontière qu’elle ferme, ce sont les Belges, non ? Pour la drogue je crois. Tout le monde me parle de Mélenchon aussi ». Samira : « Apparemment, il veut augmenter les paies ».
Sarah, 24 ans, également serveuse, a rejoint ses copines. « Moi je vais voter. Je suis obligée pour ma conscience. Mais je sais que ça ne servira à rien… » Samira n’en démord pas : « Moi, rien à foutre. Je ne vote pas. Ce sont des menteurs ».
Centre-ville du Havre vu depuis le bassin du commerce. Au fond, le « Volcan » et le clocher de l'église Saint-Joseph.
Photo : François Vignal
Changement de quartier, changement de décor. Le centre-ville du Havre est un grand plan aux rues perpendiculaires, un peu froides mais pas dénuées d’un certain charme d’une autre époque. Rasé pendant la guerre, l’architecte Auguste Perret a redessiné le centre et utilisé largement le béton armé, matériau innovant à l’époque. Il est classé depuis 2005 au patrimoine mondial de l’UNESCO. La pointe de l’église Saint-Joseph, conçue aussi par l’architecte, domine la ville. Le Volcan, geste architectural du brésilien Oscar Niemeyer, tranche par ses courbes avec les angles droits voulus par Perret. Surnommé « le pot de yaourt » par les Havrais, il abrite une scène nationale réputée.
Rue de Paris, dans le centre-ville du Havre, conçu par l'architecte Auguste Perret.
Photo : François Vignal
A deux pâtés de maison, le tramway, en service depuis 2012, fait un stop devant la mairie. Guy, fonctionnaire de 60 ans, se tient derrière la station. « Je n’étais pas vraiment décidé à voter » dit-il. « Mais TF1 a décidé de limiter son débat à cinq candidats, c’est de la manipulation ! Donc finalement je vais voter pour un des petits. Mais je ne sais pas lequel ».
La mairie du Havre.
Photo : François Vignal
Madeleine avance à petits pas sur le parvis de l’hôtel de ville, du haut de ses 86 ans. Si les personnes âgées ont tendance à davantage voter, ce n’est pas son cas. « C’est tous des cons » tranche-t-elle de sa petite voix. Elle a voté Sarkozy en 2007, mais c’est terminé. « Ils disent tous des conneries. Mon fils me dit qu’il faut voter pour ne pas laisser la place à celui que tu n’aimes pas ». Madeleine n’est pas convaincue. Tout juste reconnaît-elle que « celui qui est bien, c’est Mélenchon », décidément populaire dans la ville. Ancienne femme de ménage et vendeuse, cette native du Havre, qui a vécu la guerre, a la nostalgie de de Gaulle. « On était bien de son temps. Il a donné du travail aux ouvriers ».
Dans le centre-ville du Havre.
Photo : François Vignal
« Pour la première fois, je ne voterai pas. J’allais voter pour Fillon. Mais après toutes les affaires… »
Sur la large avenue Foch, qui mène jusqu’à la plage, les élégantes baladent leur petit chien. Alexandre remonte le large trottoir. Il se balade avec un T-shirt « resist ». « J’ai toujours voté. Mais pour la première fois, je ne voterai pas. Il y a 90% de chance que je n’y aille pas ». Il comptait pourtant se rendre aux urnes. Mais tout a changé. « J’allais voter pour Fillon. Mais après toutes les affaires, ce n’est juste plus possible » explique Alexandre, qui a voté Sarkozy en 2007 et 2012. Quant à « Emmanuel Macron, il ne représente rien. Il change de position tous les jours. Il est à la tête de sa propre secte » raille ce chef d’entreprise.
Alexandre, 42 ans.
Photo : François Vignal
Au bout de l’avenue, la mer. Les collégiens ont terminé leurs cours en cette fin d’après-midi et se ruent à la plage profiter du beau temps. Assise sur les galets, Flora, aide à domicile de 50 ans, regarde la mer, casque rouge sur les oreilles, avant de retourner travailler. « Je ne vais pas voter. Il va servir à quoi mon vote ? » se demande-t-elle. Flora vit au havre depuis huit mois. Mais c’est sa « première fois à la plage ». Elle n’a voté qu’à deux reprises dans sa vie, « en 1988 pour Mitterrand et en 2002 pour Chirac, contre Le Pen ». Mais cette fois, elle passe son tour. « Quand je vois tout ce qui se passe… Ils ne vont pas s’occuper de nous ». « Le monde a changé » regrette Flora, « les gens sont plus égoïstes. Dans la rue, tout le monde baisse la tête, même pas un sourire… »
Flora, 50 ans.
Photo : François Vignal
Paul s’est posé un peu derrière. Il vient de faire son sport. Au premier tour, ce salarié d’une compagnie maritime est bien décidé à voter Hamon. Mais au second, la perspective d’un duel Macron/Le Pen lui donnerai presque envie de ne pas se déplacer. Mais pour faire son devoir, il irait quand même « voter blanc ». « Macron il se dit de gauche, mais il est de droite. Que ce soit lui ou Le Pen, ça ne changerait pas grand-chose » lance Paul.
Paul, 27 ans.
Photo : François Vignal
Sur le front de mer, on se balade en famille, comme Fabienne, sans profession, et Sébastien, électricien, accompagnés de leur fille de 21 ans, Marine. Dimanche 23 avril, elle ne compte pas se lever. « Je suis inscrite sur les listes, mais ça ne m’intéresse pas » dit la jeune fille. « Mais les bureaux de vote sont ouverts jusqu’à 19 heures » tente de convaincre sa mère.
Fabienne et Sébastien, et leur fille Marine (au centre).
Photo : François Vignal
La famille habite Notre-Dame-de-Gravenchon, à l’est du Havre. « Pour inciter les jeunes à aller voter, la mairesse propose deux places de ciné gratuites. Mes jumeaux de 18 ans vont aller voter. Pour ne pas vous mentir, c’est plus pour les places ! Mais ça va peut-être leur donner le goût » espère Fabienne.
Mangeurs de glaces sur le front de mer du Havre.
Photo : François Vignal
Entre la route et la plage, de nombreux jeunes sont rassemblés autour du skatepark. Ils multiplient les figures et font le spectacle. Devant la camionnette du marchand de glace, on fait la queue. Il peut dire merci au soleil. Si le 23 avril il fait aussi beau, ils seront sûrement nombreux à préférer la plage.
Les hausses d’impôt ciblées sur les grandes entreprises et les plus fortunés, annoncées par Michel Barnier, continuent de diviser la majorité relative. Frondeur en chef, Gérard Darmanin continue de profiter de sa liberté retrouvée en jouant sa propre partition, au risque d’affaiblir le premier ministre. Tous ne ferment pourtant pas la porte à la hausse de la fiscalité.
Le Premier ministre a indiqué que la réforme constitutionnelle sur le corps électoral de Nouvelle-Calédonie, élément déclencheur des violences dans l’archipel, « ne sera pas soumise » au Congrès. Si cette annonce a soulevé la colère de certains membres du camp présidentiel, de nombreux élus, indépendantistes ou loyalistes, saluent la volonté d’apaisement affichée par le nouveau gouvernement.
Les sénateurs Les Républicains vont publier une tribune en soutien à Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, après la polémique sur l’Etat de droit qui ne serait « pas intangible, ni sacré ». Roger Karoutchi, sénateur LR des Hauts-de-Seine, l’a co-signée. Pour lui, l’Etat de droit « n’est pas immuable » et « l’expression populaire peut le faire évoluer ».
Depuis un forum à Berlin, Emmanuel Macron a estimé mercredi qu’une « taxation exceptionnelle sur les sociétés », telle qu’annoncée par le gouvernement de Michel Barnier, était « bien comprise par les grandes entreprises » mais qu’elle devait être « limitée ». La veille, Michel Barnier avait annoncé aux députés, lors de son discours de politique générale, qu’une participation serait demandée aux « grandes entreprises qui réalisent des profits importants » et aux « Français les plus fortunés », au nom de la « justice fiscale ». Cette taxation exceptionnelle a été confirmée par le Premier ministre au Sénat, ce mercredi. A la sortie du discours de politique générale, le président du groupe écologiste du Sénat, Guillaume Gontard reste prudent. « On verra le montant et l’orientation de cette mesure. Mais une taxation sur les superprofits, c’est quelque chose qu’on a portée et qu’on continue à porter. Que de temps perdu pour se rendre compte qu’on avait besoin d’un peu de justice fiscale », a-t-il regretté sur le plateau de Public Sénat. A ses côtés, la présidente du groupe communiste, Cécile Cukierman s’interroge sur le rôle joué par Emmanuel Macron en cette période inédite. « Ce qui est étonnant, c’est que le Président donne son avis sur un débat qui doit se dérouler entre le gouvernement et le Parlement. Ce serait bien qu’il ne commente pas chaque mesures qui n’ont pas été encore votées d’ailleurs et qui laisse le Parlement faire son travail ».