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Présidentielle : de 1995 à 2022, que donnaient les sondages plus d’un an avant l’élection ?

Edouard Balladur élu en 1995, DSK en 2012, Alain Juppé en 2017… Et Jordan Bardella en 2027 ? Voici les résultats des élections présidentielles, si l’on était dans un monde parallèle. Celui des sondages, à 18 mois environ du scrutin. Car si les sondages peuvent donner la tendance du moment, ils ne sont pas des prédictions, l’histoire nous l’a monté. Mais parfois, ils ont aussi vu juste, très en amont…
François Vignal

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C’est un sondage qui a été remarqué. Notre enquête Odoxa pour Public Sénat et la presse quotidienne régionale a fait l’effet d’un pavé dans la mare. Portant sur la présidentielle 2027, il donne Jordan Bardella au plus haut au premier tour. Pas vraiment une surprise. C’est le second tour qui a fait l’effet d’une bombe. Le candidat du RN est donné gagnant dans tous les cas de figure, quel que soit le candidat en face de lui, ouvrant la possibilité d’une victoire de l’extrême droite en France.

Mais on le sait, les sondages, y compris le nôtre, peuvent se tromper. Surtout à 18 mois de l’élection présidentielle. Certains jugent même que les sondages sur la présidentielle n’ont pas de sens, lorsqu’ils sont réalisés si loin du but. Mais il est utile de rappeler que les sondages ne sont jamais des outils prédictifs. Il faut davantage les voir comme une photographie, à un instant T, de l’état de l’opinion. Ils permettent aussi d’observer des tendances. Et aujourd’hui, le RN se maintient à des scores très élevés.

Reste que les intentions de votes, surtout aussi loin de l’échéance, peuvent être biaisées par de multiples facteurs : on ne connaît pas encore, et de loin, tous les candidats. L’offre politique n’est donc pas stabilisée. On ne répond donc pas de la même manière à une question, selon le nom des candidats. Par ailleurs, beaucoup de choses peuvent se passer, surtout en cette période instable au plan national comme international. Des événements, encore inconnus par définition, peuvent potentiellement influencer le vote.

Autre écueil : les gens ne s’intéressent pas encore à la présidentielle, un an et demi avant. Si médias et politiques y pensent (un peu trop), beaucoup de Français sont très loin du microcosme. En conséquence, lorsqu’on interroge une personne sur une question qu’il ne se posait pas jusqu’à présent, il est possible que sa réponse ne soit pas encore mûre. Son choix peut donc encore changer, à l’avenir.

On peut aussi évoquer l’honnêteté des sondés : c’est sûrement moins vrai aujourd’hui, mais auparavant, un certain nombre de personnes n’osaient pas dire qu’elles votaient pour l’extrême droite. C’est pourquoi les sondeurs appliquaient un coefficient multiplicateur pour corriger le score brut, selon notamment les résultats passés et déjà connus. Mais les instituts ne jouent pas la transparence sur la façon précise de corriger ces scores, au risque de donner l’impression d’une tambouille des sondeurs.

Résultat ? Quand on remonte un peu dans le temps, on constate que les sondages réalisés environ 18 mois avant la présidentielle ont plusieurs fois été loin de la réalité du résultat final… mais ont aussi vu juste, avec des paysages politiques qui ont parfois peu évolué au fil des mois, malgré la campagne.

  • Présidentielle 2022 : le duel Macron-Le Pen déjà bien installé à l’avance

Si les sondages n’ont pas toujours vu juste en amont du scrutin, l’élection présidentielle 2022 est l’une des exceptions. En octobre 2020, soit un an et demi avant le jour J, un sondage Ifop pour le JDD et Sud Radio donne Marine Le Pen (entre 24 et 27 %) et Emmanuel Macron (entre 23 et 26 %) au coude à coude au premier tour, et donc qualifié pour le second. Ils sont alors loin devant les autres candidats. Jean-Luc Mélenchon n’est alors donné qu’à 11 % et Anne Hidalgo à 9 %. Onze configurations différentes avaient été testées.

Au final, Emmanuel Macron arrive en tête, avec 27,85 % des voix, devant Marine Le Pen (23,15 %), Jean-Luc Mélenchon (21,95 %). Anne Hidalgo ne fera que 1,75 % des voix. Au second tour, le président sortant l’emporte avec 58,55 % des voix, devant la leader d’extrême droite qui réalise 41,45 %.

  • Présidentielle 2017 : second tour Juppé-Le Pen, Emmanuel Macron pas encore sondé fin 2015

Pour le scrutin de 2017, les résultats des sondages, à 18 mois du scrutin, sont encore très loin de ce qu’il va se passer. A les écouter, on aurait alors eu Alain Juppé comme prochain président. Mi-décembre 2015, un sondage Ifop donne Alain Juppé à 30 %, s’il était désigné candidat de la droite, contre 26 % pour Marine Le Pen, suivie du président sortant, François Hollande, encore donné à 20,5 %. Dans l’hypothèse où Nicolas Sarkozy était candidat, Marine Le Pen arrive en tête (27 %), suivie de François Hollande (22 %) puis Nicolas Sarkozy (21 %).

On connaît la suite, faite de rebondissement : Alain Juppé perd lors de la primaire interne aux LR, face à un François Fillon que les sondages n’ont pas vu venir. Difficile de sérieusement sonder un corps électoral aussi restreint et spécifique que les adhérents LR à jour de cotisation. Puis c’est la météorite Macron qui débarque. Beaucoup n’y croient pas encore, mais c’est ce que certains qualifieront ensuite de « hold-up », qui se prépare. Sondé pour la première fois début 2016, s’en suivra son irrésistible ascension, aidée par une large couverture médiatique puis par le retrait de François Bayrou, qui lui donnera le coup de boost décisif, sans oublier l’explosion en vol de François Fillon, emporté par les affaires, sans qui rien de tout cela n’aurait été possible. Un alignement des planètes qui a permis à Emmanuel Macron d’être élu, surfant, dans une campagne marketée, sur la vague de l’antisystème, tout en en étant l’émanation. Chapeau l’artiste.

  • Présidentielle 2012 : DSK élu haut la main en écrasant Nicolas Sarkozy

C’est l’exemple type de sondages qui testent une situation qui est à mille lieues de ce qu’il va se passer. A savoir, l’empêchement d’un candidat, en l’occurrence Dominique Strauss Kahn, qui va rebattre les cartes. Fin novembre 2010, Le Nouvel Obs titre « Quand DSK écrase Sarkozy ». Sondage TNS-Sofres à l’appui, l’hebdomadaire explique que celui qui est encore directeur général du FMI « réaliserait (au second tour) une performance hors norme : 62 % ». Même tendance, en janvier 2011, avec un sondage de l’institut BVA. 64 % des personnes interrogées voteraient alors pour DSK, contre 36 % pour Nicolas Sarkozy.

Mais d’autres candidats potentiels du PS sont aussi testés dans l’enquête TNS-Sofres, dont un certain François Hollande, qui lui aussi l’emporterait face à Nicolas Sarkozy, par 55 % contre 45 %. Le 6 mai 2012, François Hollande, désigné candidat après l’affaire Strauss Kahn, qui le poussa à jeter l’éponge, l’emportera, avec 51,64 % des voix, contre 48,36 % pour le président sortant.

  • Présidentielle 2007 : le duel Sarkozy-Royal annoncé

Comme pour le scrutin 2022, les études d’opinion sur la présidentielle 2007 ont donné la tendance très en amont. Ou plutôt, le paysage politique s’est fixé assez tôt et a peu évolué. Ainsi, un sondage BVA d’octobre 2005 crédite Nicolas Sarkozy d’un score compris entre 28 et 30 %, largement en tête. Pour le PS, c’est Ségolène Royal qui réalise alors le meilleur résultat, avec 22 %, contre 19 % pour DSK et 16 % pour Laurent Fabius. C’est bien elle qui remporta la primaire socialiste, sûrement aidée par les bons sondages. Selon cette étude, celui qui est alors ministre de l’Intérieur et président de l’UMP gagne l’élection au second tour, avec 53 % des voix face à l’ex-présidente de la région Poitou-Charentes.

Au second tour, le candidat de droite, qu’il s’agisse de Sarkozy ou Villepin, l’emporterait face à chacun des trois candidats de gauche proposés. Le patron de l’UMP gagnerait avec 53 % des voix face à Ségolène Royal.

Mais ensuite, durant l’année 2006, plusieurs sondages vont donner Ségolène Royal gagnante face au candidat de la droite, suscitant l’espoir à gauche. Ensuite, hormis quelques cas où ils sont au coude à coude, les études d’opinion de 2007 donneront tous Nicolas Sarkozy gagnant, mais parfois dans la marge d’erreur. Au soir du second tour, pas de surprise : c’est Nicolas Sarkozy qui l’emporte avec 53,06 % des voix, contre 46,94 % pour Ségolène Royal.

  • Présidentielle 2002 : Chirac-Jospin en haut de l’affiche, Jean-Marie Le Pen encore très loin derrière

L’élection présidentielle de 2002 restera comme un naufrage pour les instituts de sondages. Aucun sondage n’avait donné la présence, pour la première fois, du candidat d’extrême droite, Jean-Marie Le Pen, au second tour. Mais pour être juste, dans la dernière ligne droite de la campagne, on pouvait voir le candidat FN progresser et celui du PS reculer, les courbes se rapprochant. Si bien qu’un accident industriel pouvait éventuellement être envisagé, en prenant en compte la marge d’erreur, qui était à cette époque moins mise en avant. Mais personne, au PS, ne pouvait ou ne voulait alors sérieusement y croire.

Avant cela, vers la fin 2000 et début 2001, la tendance des études d’opinion est alors claire. Jacques Chirac, président sortant, est donné entre 23 et 28 %, quand le socialiste Lionel Jospin, son premier ministre, est au plus haut, entre 25 et 30 %. Jean-Marie Le Pen est donné entre 7 et 10 %, voire à seulement 5 %, soit très loin derrière…

Au soir du premier tour, Jacques Chirac arrive en tête, avec 19,88 %, contre 16,86 % pour Jean-Marie Le Pen, qualifié pour le second. Lionel Jospin échoue juste derrière, à la troisième place, avec 16,18 % des voix.

  • Présidentielle 1995 : l’affiche Delors-Balladur s’installe

L’élection présidentielle de 1995 ne sera pas non plus très heureuse pour les instituts de sondage. En octobre 1994, soit ici six mois avant le scrutin, un sondage Sofres donne Jacques Delors, possible candidat socialiste et alors président de la Commission européenne, à égalité avec le premier ministre Edouard Balladur, avec 50 % chacun. Dans le cas où Jacques Chirac, l’autre candidat d’une droite divisée, arrivait au second tour, Jacques Delors l’emporterait avec 56 % des voix.

Ce n’était pas un sondage d’intentions de vote, mais selon une étude Sofres de novembre 1993, 39 % des sondés souhaitaient qu’Edouard Balladur soit candidat, devant Jacques Delors (27 %) et Jacques Chirac (24 %). Selon 38 % des sondés, le premier ministre avait le plus de chances d’être élu, devant l’ancien maire de Paris (21 %) et le socialiste (9 %).

Lors du premier tour, c’est finalement Lionel Jospin qui aura été désigné candidat du PS après la décision de Jacques Delors de ne pas y aller. Le socialiste arrive en tête, avec 23,30 %, suivi de Jacques Chirac (20,84 %). Edouard Balladur, troisième, avec 18,58 %, est éliminé. Jean-Marie Le Pen fait 15 %.

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