C’est dans une salle des conférences du premier sous-sol du célèbre siège du PCF, aux allures de bunker, dans le 19e arrondissement de Paris, que Fabien Roussel, le candidat communiste à la présidentielle, a choisi de dévoiler lundi 24 janvier son plan de bataille pour la France. Le lieu pourrait sembler tout désigné pour l’exercice, mais force est de constater que l’austère bâtiment imaginé par Oscar Niemeyer à la fin des années 1960, avec ses colonnes de béton brut et ses plafonds métallisés, tranche quelque peu avec le ton jovial que le député du Nord a voulu donner à sa campagne. En témoigne cette affiche électorale aux dominantes roses et violettes, où le slogan du candidat éclate en lettres jaunes : « Le défi des jours heureux ». Une référence assumée au programme du Conseil national de la Résistance - baptisé « Les Jours heureux » - mais aussi « l’envie de redonner de l’espoir à ceux qui n’y croient plus », explique Fabien Roussel. « Je propose des réformes positives, heureuses, il y en a marre des réformes punitives », lâche-t-il. « La France des interdictions, je n’en veux plus ! »
Le candidat a aussi quelques raisons de sourire. Car même si les sondages le donnent largement sous le seuil fatidique des 5 % d’intentions de vote, au moins reste-t-il au coude à coude avec Anne Hidalgo - c’est-à-dire autour des 3 %. De quoi laisser espérer une (légère) embellie pour un parti communiste qui n’a plus présenté de candidat à la présidentielle depuis 2007, et a été largement éclipsé dans le débat politique des quarante dernières années par l’hégémonie socialiste sur la gauche française. « Nous commençons à regagner un électorat. Tant mieux. Je veux aller plus loin. » Quant aux récentes désertions d’élus PCF pour rallier le camp de Jean-Luc Mélenchon, il les balaie en quelques mots : « Bien sûr, voir des amis, des camarades, aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte, c’est dommage. Mais comme on dit, un de perdu, dix de retrouvés ! » Même la polémique soulevée à gauche par ses propos sur la gastronomie française l’amuse : « J’ai mis les pieds dans le plat malgré moi - c’est le cas de le dire -, c’est ça la vie politique ! »
Trois axes déclinés en 180 propositions
Passage obligé de la course à l'Élysée, la présentation du programme marque généralement un moment d’accélération de la campagne, et surtout, dans le cas de Fabien Roussel, l’espoir d’installer une dynamique qui lui permette de creuser la distance, Yannick Jadot, Christiane Taubira et Jean-Luc Mélenchon restant en tête des candidatures de gauche dans les sondages, avec respectivement 5, 6 et 9 % des intentions de vote dans le baromètre Opinionway publié lundi. Et pour se faire le candidat a sorti l’artillerie lourde : 180 propositions, détaillées dans un fascicule de 124 pages, disponible en ligne, mais également tiré à 50 000 exemplaires, nous dit-on.
Ce programme s’articule autour de trois thématiques : l’emploi et le pouvoir d’achat ; la république sociale et laïque ; la paix en Europe et dans le monde. On y retrouve des thématiques chères aux communistes, comme la nationalisation de groupes stratégiques et de grandes enseignes du secteur bancaire, le maintien de l’industrie nucléaire ou encore le départ de la France de l’Otan. Surtout, Fabien Roussel entend mettre « la question du pouvoir d’achat et de la vie chère au cœur de la présidentielle ». Un objectif qui trouve écho dans l’actualité de ce début de semaine, puisque la crise sociale et le pouvoir d’achat apparaissent comme le principal enjeu de la campagne présidentielle pour 42 % des Français, selon un sondage Ipsos Sopra-Steria pour France Inter, publié dimanche soir.
Revaloriser les rémunérations
C’est essentiellement à travers les salaires que Fabien Roussel souhaite s’attaquer à cette question. Il promet une hausse généralisée des grilles de rémunération, ainsi qu’une hausse du Smic qui sera porté à 1500 euros net, (« tout de suite », promet le candidat - « rapidement », nuance la version écrite du programme). Il va ainsi légèrement plus loin que ses principaux concurrents de gauche, qui proposent dans leur ensemble un Smic autour des 1400 euros net. Le communiste veut fixer le minimum de la pension de retraite à 1200 euros net par mois, et rétablir la demi-part des veuves et des veufs.
« Le revenu universel, qui n’est rien d’autre qu’un revenu d’assistance, nous n’en voulons pas », martèle le député du Nord, qui assure pouvoir éradiquer le chômage, notamment avec la création de 500 000 emplois dans les services publics, en priorité dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de la justice ou encore « de la traque des fraudeurs fiscaux ». Une mesure qui le distingue des « candidats libéraux », notamment Valérie Pécresse, chez qui la règle est plutôt à l’élagage. Le versement des aides publiques aux entreprises sera conditionné à la présence dans leurs effectifs d’au moins 10 % de jeunes de moins de 25 ans.
Fabien Roussel promet par ailleurs le rétablissement de la retraite à 60 ans, ou encore le passage à la semaine des 32 heures.
Si le candidat ne veut pas du revenu universel, il propose néanmoins un revenu jeune de 850 euros par mois, qui pourra être porté à 1000 euros selon les situations. « Nous sommes une puissance économique qui maltraite ses enfants, nous voulons garantir à chacun de pouvoir étudier sans avoir à travailler à côté », soutient-il. La mesure fait également partie des promesses de campagne de Yannick Jadot et Christiane Taubira, avec un montant qui tourne aussi autour des 800 euros.
S’attaquer à la finance
Et pour parvenir à financer ces différentes mesures sociales, Fabien Roussel espère reprendre le pouvoir sur la finance. « Pour moi, c’est le cœur de la campagne, l’argent existe, il est là, il coule à flots ! », soutient-il. Il réclame une nationalisation des grandes banques « pour remettre la main sur le crédit bancaire et les assurances », l’instauration du prélèvement à la source pour les multinationales « avant que l’argent ne parte au Luxembourg, aux îles Caïman ou ailleurs… », mais aussi la mise en place d’un nouvel impôt sur les sociétés « qui sera modulé en le rendant plus élevé pour les groupes qui délocalisent, suppriment des emplois, se livrent à des opérations financières, occasionnent des pollutions. »
Fabien Roussel souhaite également la restauration de l’ISF, dont il veut « tripler » le montant, ce qui lui permettrait, selon ses calculs, de récupérer jusqu’à 10 % de la fortune des premiers contribuables. À rebours, il promet un impôt sur le revenu plus progressif, avec l’établissement de 15 tranches d’imposition.
Investir dans le nucléaire
Au-delà des batailles de chiffres, c’est sur le terrain de la transition énergétique que Fabien Roussel assume « une différence majeure » avec le reste de la gauche, puisqu’il entend conforter la place du nucléaire dans le mix énergétique, via de nouveaux investissements. « Pour avoir une électricité décarbonée, c’est soit l’hydraulique, soit du nucléaire. Il n’y a pas à tortiller ! Pour nous ce sera les deux ! » Son programme évoque ainsi la construction de six nouveaux EPR « au minimum ».
Sur le plan des institutions, deux mesures se distinguent. Elles visent à redonner au peuple la main sur le législatif. Avec « un droit de pétition » qui permettra de faire inscrire une proposition de loi à l’agenda du Parlement dès lors qu’elle récolte 500 000 signatures. Enfin, le recours au référendum ne sera plus une prérogative de l’exécutif ; il pourra être déclenché par « un million de citoyens répartis sur l’ensemble du territoire », sur des questions relatives aux pouvoirs publics, à la Constitution et aux traités internationaux.
« Ceux qui vont nous suivre vont se marrer ! Ça va être une campagne sympathique »
« Ce n’est pas un programme dogmatique, idéologique, c’est un programme de réponses concrètes, à court, moyen et long terme », assure encore Fabien Roussel devant la cinquantaine de personnes venues assister à sa présentation, parmi lesquels une majorité de journalistes qu’il a pris la peine - chose rare - de saluer un à un. « Ceux qui vont nous suivre vont se marrer ! Ça va être une campagne sympathique », poursuit le candidat qui laisse, une fois de plus, éclater sa bonhomie. Avant une ultime promesse, celle de « retourner boire des coups après des réunions comme celles-ci », dès que les restrictions sanitaires le permettront.