L'entrée précoce en campagne présidentielle de Marine Le Pen jeudi s'explique par une volonté de tirer profit des élections locales intermédiaires et de préempter l'espace de la contestation, estime le politologue Pascal Perrineau.
Q: Une candidature plus de deux ans avant le scrutin est-elle habituelle ?
Réponse: "Pour un candidat important, c'est assez exceptionnel qu'on se prononce sur son désir d'y aller plus de deux ans avant. Alors que normalement les déclarations de candidatures ont lieu plus près de l'élection, parfois quelques semaines, quelques mois, ou un an avant, comme c'était le cas pour Marine Le Pen en 2016".
Q: Pourquoi Marine Le Pen part-elle si tôt en campagne ?
R: "Il y a une volonté de ne pas faire comme les autres, une stratégie de différenciation. +Les autres font semblant de ne pas être candidats, moi je vous parle vrai, je suis candidate+.
Elle veut aussi dire qu'elle prend très au sérieux la préparation, l'élaboration du programme. Et décrit aux Français un processus vertueux dans le but d'éviter ce qui a été considéré comme l'impréparation de Marine Le Pen à la dernière présidentielle.
Marine Le Pen veut surtout inscrire sa candidature dans sa stratégie du +localisme+, qui est nouvelle pour le RN. Jusqu'à présent le FN (devenu RN) avait une stratégie nationale, il méprisait assez largement les élections locales. Là, on change complètement parce que le calendrier est spécifique.
On va avoir trois élections locales (municipales en mars, départementales et régionales en 2021, NDLR) avant la grande échéance présidentielle. Marine Le Pen a complètement intégré ce scénario et va essayer de monter en puissance à partir des scènes locales: emporter plus de villes lors des municipales, perturber les départementales et peut-être acquérir un ou deux départements, et accéder au pouvoir aux régionales.
Le Parti socialiste français au début du XXe siècle, qui avait des problèmes parce qu'il faisait peur, avait inventé le socialisme municipal qui pouvait préparer à l'idée que ce qui était bon localement pouvait être bon nationalement. Dans les années 1980, le RPR avait développé une campagne sur le thème +reconquérons la France ville par ville+". C'est un peu pour le RN la même stratégie, on prépare le terrain national par des conquêtes locales".
Q: Marine Le Pen n'a-t-elle que des avantages à partir avant tout le monde ?
R: "Il faut faire attention au phénomène d'usure. Vous êtes davantage exposé, on vous demande de répondre à de multiples questions. Et vous pouvez décevoir. Sur les terrains de l'insécurité et de l'immigration, Marine Le Pen a un discours tout prêt. En revanche sur le terrain économique et social, ce sont purement des attitudes de rejet de l'existant. On ne sait pas très bien quel régime de retraites le RN voudrait précisément.
En outre la situation est tellement instable aujourd'hui que les sondages qui montrent un second tour Macron-Le Pen suscitent déjà l'envie d'un troisième candidat. Et Marine Le Pen sait très bien que peut apparaître un homme ou une femme qui, comme dans d'autres démocraties, viendra de nulle part et incarnera la protestation. Elle cherche donc à préempter l'espace de la contestation".