Présidentielle : pour éviter une élection « faite par les sondages », un sénateur propose leur interdiction deux semaines avant le scrutin

Présidentielle : pour éviter une élection « faite par les sondages », un sénateur propose leur interdiction deux semaines avant le scrutin

Alors que les sondages réalisés au cours de la présidentielle sont passés de 157 en 1995 à 560 en 2017, certains élus dénoncent l’importance excessive de ceux-ci dans les débats liés à cette élection, considérant qu’ils influencent le scrutin. C’est le cas du sénateur LR Damien Regnard. Il souhaite interdire les sondages deux semaines avant le premier tour de cette élection.
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Par Klara Durand

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S’il y a bien un élu qui considère que les sondages influencent l’élection présidentielle, c’est Damien Regnard. Le sénateur LR déposera cette semaine une proposition de loi, visant à interdire la publication et la diffusion de sondages à moins de deux semaines du premier tour de l’élection présidentielle, dans un contexte ou ceux-ci sont de plus en plus pointés du doigt par les politiques, mais aussi par certains journalistes. A titre d’exemple, le journal Ouest-France a pris la décision lors de la présidentielle 2022 de ne pas publier de sondages politiques, considérant que ceux-ci sont pris « pour argent comptant » et le temps passé à les analyser « détourne les personnalités politiques et les médias de l’essentiel : la rencontre avec les citoyens, l’échange approfondi, le débat d’idées, l’écoute de ce que vivent les gens au quotidien, de leurs inquiétudes, de leurs espoirs », avait expliqué dans un éditorial son rédacteur en chef François-Xavier Lefranc.

Une position largement partagée par le sénateur LR : « C’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué pendant cette campagne, le sondage et la position où se trouvait le candidat interviewé par rapport à celui-ci, devenait pratiquement le seul sujet de discussion de l’émission. Ça prenait une large part de l’échange, le temps que le candidat expose sa position, voire démente parfois avec un autre sondage contradictoire », expose Damien Regnard à propos de sa proposition de loi. L’élu, qui a vécu pendant plus de 26 ans aux Etats-Unis, s’inquiète tout particulièrement de voir la France reproduire les logiques sondagières américaines : « Aux Etats-Unis, au travers des primaires, on voit bien que la sélection des candidats débatteurs est cantonnée aux sondages. On assiste de plus en plus au même phénomène en France, où les petits candidats sont écartés de certaines émissions sous prétexte qu’ils sont à 1 ou 3 % dans les sondages. Ça ne respecte pas le principe d’égalité selon moi. »

Une croissance exponentielle des sondages depuis 1995

Damien Regnard souhaite donc cette interdiction de la publication et la diffusion de sondages deux semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle, afin de remédier « au vote utile » qui « crée un côté artificiel et la montée de certains candidats peu avant le vote », ajoutant que ce phénomène s’accompagne : « D’une croissance exponentielle des sondages, avec des méthodes qui ne sont pas identiques », commente-t-il.

En effet, les sondages réalisés à l’occasion de la présidentielle n’ont cessé de croître ces dernières années, comme le constate le site vie-publique.fr, s’élevant respectivement à 409, 293, 193 et 157 lors des élections de 2012, 2007, 2002 et 1995, pour atteindre le nombre record de 560 lors de l’élection présidentielle en 2017. « Cette profusion est dangereuse », note le sénateur avant de préciser : « Elle peut entraîner des dérives, comme, par exemple, qu’un jour, on décide de ne plus réaliser des sondages que sur les trois candidats qu’on estime majoritaires, une situation que l’on le voit déjà s’installer aux Etats-Unis. » A l’heure actuelle, les sondages sont encadrés par la loi du 19 juillet 1977, relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion visant à empêcher que la publication de sondages électoraux ne vienne influencer ou perturber la libre détermination du corps électoral. Cette loi, modifiée plusieurs fois, interdit aujourd’hui la diffusion de sondages la veille et le jour du scrutin.

L’interdiction de diffuser les sondages une semaine avant le scrutin retoquée en 2002 par le Conseil Constitutionnel

Afin d’y remédier, Damien Regnard souhaite que sa proposition de loi soit discutée le plus rapidement possible. « L’idée c’est vraiment de limiter la diffusion des sondages deux semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle. En revanche, pour le second tour, je ne vois pas de freins à ceux-ci, les deux candidats s’affrontant ont eu le temps de faire leur campagne », considère le sénateur.

Pourtant, la loi du 19 juillet 1977 prévoyait, initialement, l’interdiction de la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage pendant : « la semaine qui précède chaque tour de scrutin ainsi que pendant le déroulement de celui-ci ». Toutefois, ce passage a été retoqué par le Conseil Constitutionnel en 2002, comme le rappelle un article de Francetvinfo.fr. Celui-ci explique que dans les années 1990, des organes de presse ont commencé à publier des sondages pendant la période d’interdiction d’une semaine, engendrant des poursuites judiciaires. L’affaire va jusqu’à la Cour de Cassation. Elle estime, en septembre 2001, que l’interdiction constitue une atteinte à la liberté de recevoir et de communiquer des informations. Suite à cette décision rendue par la Cour, la loi est revue au travers d’un nouveau texte datant du 19 février 2002, qui limite désormais la diffusion et la publication de sondages simplement à la veille et au jour du scrutin.

 

Une modification qui s’accompagne, depuis 2016, d’une clarification autour de ce qui est considéré ou nom comme un sondage, désormais définit comme une « enquête statistique visant à donner une indication quantitative des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d’une population par l’interrogation d’un échantillon. » Toute mesure d’intention de vote, de popularité ou simplement d’opinion sur un sujet particulier tombe donc sous la définition légale de sondage et est donc assortie de certaines obligations. Ainsi, même au-delà des périodes électorales, tous les sondages d’intention de vote ou d’opinion sur les candidats sont soumis à ces règles. De fait, avant même la publication d’un sondage, un certain nombre d’éléments doivent être transmis à la Commission des sondages qui encadre et contrôle a priori la méthode employée pour réaliser l’enquête d’opinion. Les instituts de sondage fournissent donc une « notice » à cette commission où figurent : l’objet du sondage, la méthode de sélection et la composition de l’échantillon, les conditions dans lesquelles l’échantillon a été interrogé (questionnaire auto-administré sur internet, entretien avec des enquêteurs…), la proportion des non-répondants, les critères de redressement des résultats bruts du sondage et la gratification reçue par les personnes interrogées. Enfin, une fois qu’une enquête a été validée par la Commission des sondages, la publication du sondage doit être accompagnée d’indications supplémentaires comme, entre autres, le nom de l’organisme de sondages ou encore le nom de l’acheteur ou du commanditaire du sondage.

 

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