Comment mieux partager les bénéfices lors de la réutilisation en ligne d'articles ou images? L'Assemblée nationale a donné jeudi son feu vert à une proposition de loi pour rééquilibrer les relations entre les géants du numérique comme Google et Facebook, et la presse.
- D'où vient ce nouveau droit?
Après plus de deux ans de débats acharnés, les députés européens ont adopté fin mars une réforme du droit d'auteur pour adapter la législation, datant de 2001, à l'ère numérique.
La directive européenne prévoit de renforcer la position de négociation des créateurs et ayants droit (compositeurs, artistes...) face aux plateformes comme YouTube ou Tumblr, qui utilisent leurs contenus. Et de créer un "droit voisin" du droit d'auteur pour les éditeurs et agences de presse, lors de la reproduction de leurs articles ou photos par des agrégateurs comme Google News, ou des réseaux sociaux, comme Facebook.
Les Etats membres de l'UE ont deux ans pour transposer les nouvelles règles dans leurs législations. Les députés MoDem ont fait adopter à l'Assemblée une proposition de loi socialiste, validée par le Sénat en janvier, créant un droit voisin.
- Quel est l'enjeu?
Editeurs et agences de presse, comme l'Agence France-Presse (AFP), devront négocier avec les plateformes comment et à quels prix leur production, protégée pendant deux ans après publication, pourra être utilisée.
Les enjeux financiers sont importants, à l'heure de la crise de la presse. "Seule une personne sur dix en France paie pour accéder à l'information", rappelait le sénateur David Assouline (PS) en début d'année. Le marché de la publicité numérique était estimé à 3,5 milliards d'euros en France en 2016, dont 2,4 milliards d'euros pour les seuls Facebook et Google. Les éditeurs ne capteraient que 13% de la valeur totale créée par le marché français de la veille et des agrégateurs de contenus.
"L'information a un coût, élevé", et "sans les médias, il n'y a pas de démocratie", fait valoir le ministre de la Culture Franck Riester, qui souhaite une entrée en vigueur rapide. Halte au "pillage": rapporteur à l'Assemblée, le président du groupe MoDem Patrick Mignola évoque avec ce droit voisin un "troisième pilier" dans la régulation des Gafa (Google, Amazon, Facebook et Apple), avec leur taxation et la lutte contre les "fake news".
- Consensus politique?
La plupart des groupes politiques ont soutenu la proposition de loi. "Il ne s'agit pas d'opposer" géants du net et éditeurs, estime Fannette Charvier (LREM): l'objectif est que "ceux qui mettent les moyens pour créer des contenus soient rétribués justement par ceux qui les diffusent et les valorisent".
La gauche de la gauche pointe des "risques". La rémunération des éditeurs se faisant "au clic", "c'est une incitation à produire toujours plus et pas forcément mieux", d'après la communiste Elsa Faucillon. M. Mignola assure que l'audience ne sera pas le seul paramètre de rémunération. L'Insoumis Michel Larive, seul député à avoir voté contre, y voit "une reddition" devant les Gafa.
Les plateformes devront garantir aux éditeurs et agences une transparence sur l'utilisation des publications par leurs usagers, afin de mieux évaluer le partage de la valeur, avaient précisé les députés en commission. Et ont notamment été exclus du paiement d'un droit voisin les actes d'hyperlien (renvoi vers une page web grâce à un clic sur un mot dans un article) ou l'utilisation de très courts extraits.
- Et après?
Le texte devra repasser devant le Sénat pour être adopté définitivement. M. Riester voit déjà la France être le "premier pays de l’UE à transposer".
Le rapporteur appelle éditeurs et agences à faire front commun pour négocier avec les plateformes. Facebook et Google "ont donné le sentiment qu'ils entendaient bien appliquer la loi", a relevé M. Mignola. Avant la directive, il n'en était pas ainsi dans les pays ayant légiféré: "en Espagne, Google News a déréférencé tout le monde", "en Allemagne, ils ont multiplié les contentieux".
Le texte prévoit en outre que journalistes et photographes devront toucher "une part appropriée et équitable" de la rémunération, que rétrocéderont leurs employeurs. Cela fera l'objet d'autres négociations, et les députés ont prévu une commission administrative de recours en cas d'échec. Les syndicats de journalistes réclament "un partage égal" des revenus.