Prisons attaquées : « Jamais je n’aurais imaginé qu’une telle attaque concertée soit possible »
Le Parquet national antiterroriste a ouvert une enquête après une série d’attaques contre plusieurs établissements pénitentiaires. Le garde des Sceaux y voit la réponse du grand banditisme à la politique de lutte contre le trafic de stupéfiants conduite par le gouvernement. Auprès de Public Sénat, le rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic alerte sur le caractère « gravissime » de cette affaire.
Trois nuits d’attaques. Au moins dix établissements pénitentiaires à travers l’Hexagone ont été ciblés par des incendies de véhicules et, pour certains, par des tirs à l’arme lourde entre le 12 et le 16 avril. Ont également été visés l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire à Agen, les locaux de la protection judiciaire de la jeunesse à Marseille et le hall d’immeuble d’une surveillante pénitentiaire en Seine-et-Marne. À plusieurs reprises, le sigle « DDPF » a été tagué à proximité des lieux, il signifierait « Défense des droits des prisonniers français ». Un canal reprenant cette appellation a également été créé sur la messagerie chiffrée Telegram le 12 avril. Plusieurs messages et une vidéo de menaces à l’encontre du personnel pénitentiaire y ont été postés. « Sachez que nous ne sommes pas des terroristes, nous sommes là pour défendre les droits de l’homme à l’intérieur des prisons », peut-on notamment y lire.
Le Parquet national antiterroriste a annoncé l’ouverture d’une enquête même si, pour l’heure, la nature de ces actions reste floue. Un détenu en semi-liberté, soupçonné d’appartenir à ce groupe, a été interpellé dans l’Essonne et placé en garde à vue ce mercredi.
Faut-il y voir la marque d’un groupe d’ultra gauche, ou celle du grand banditisme ? « Certains cherchent à intimider nos personnels pénitentiaires et s’attaquent avec une violence inadmissible aux établissements. Ils seront retrouvés, jugés et punis », a promis le président de la République dans un message posté sur le réseau social X.
L’inquiétude des personnels et des syndicats
« On parle beaucoup de l’ultra-gauche, mais s’en prendre aux personnes ne fait pas vraiment partie de leurs méthodes. Quant aux narcotrafiquants, ont-ils vraiment intérêt à faire parler d’eux ? Plus ils sont discrets, mieux le business se porte. Il reste la piste des ingérences étrangères », commente auprès de Public Sénat Wilfried Fonck, secrétaire national UFAP-UNSa justice. « L’important pour nous est de mettre rapidement fin à cette situation. Depuis dimanche, on attend le service de nuit avec une certaine appréhension… », confie ce syndicaliste.
À Paris, la préfecture de police a demandé un renforcement de la surveillance et des rondes de police autour des établissements pénitentiaires d’Île-de-France. « Si demain quelque chose de grave venait à arriver à un gardien ou un membre de sa famille, les choses pourrait basculer très rapidement et un mouvement de grève se mettre en place », avertit Wilfried Fonck.
« Il y a manifestement des gens qui essayent de déstabiliser l’État en l’intimidant », a réagi Gérald Darmanin, le garde des Sceaux sur Europe 1. « Je pense qu’il faut prendre les choses avec beaucoup de fermeté, beaucoup de calme et beaucoup de détermination ». Le ministre de la Justice a notamment fait le lien entre ces attaques et la politique de lutte conduite depuis plusieurs mois contre le trafic de stupéfiants. « La République est confrontée au narcotrafic et prend des mesures qui vont déranger profondément les réseaux criminels. Elle est défiée et saura être ferme et courageuse », a-t-il posté sur son compte X.
« Le gouvernement doit être à la hauteur. Je me souviens d’attaques isolées contre des établissements pénitentiaires, mais je n’ai jamais rien vu d’équivalent. Nous sommes violemment attaqués de l’intérieur par une armée de l’ombre qui est en train de s’organiser, parler de guerre n’est pas trop fort », réagit auprès de Public Sénat le sénateur LR Etienne Blanc, rapporteur d’une commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic, et co-auteur de la proposition de loi évoquée plus haut. « Ce qui est en train de se passer est gravissime, jamais je n’aurais imaginé qu’une telle attaque concertée soit possible, ce qui veut dire aussi qu’il y a eu une faille dans nos services de renseignements », épingle l’élu.
Lorsque les pouvoirs publics commencent à gêner le narcotrafic, les chefs de gang optent plutôt pour une stratégie de l’évitement, par exemple en déplaçant les points de deal. Aller directement à la confrontation n’est pas une stratégie naturelle
Jérôme Durain, sénateur PS
Son collègue, le sénateur socialiste Jérôme Durain, second co-auteur de la proposition de loi contre le narcotrafic, ne cache pas non plus sa « surprise », mais appelle à la mesure. « Nous devons rester prudents tant que l’enquête n’a pas abouti. On ne sait pas encore ce qu’il y a derrière ces attaques », explique-t-il.
« Nous avons déjà assisté à des opérations coordonnées de la part du grand banditisme pour déstabiliser nos institutions, mais jamais à ce niveau de violence. En décembre dernier, par exemple, il y a eu une multiplication des demandes de remise en liberté de la part des trafiquants incarcérés, dont le but était clairement de saturer les greffes des tribunaux », se souvient Jérôme Durain. « Généralement, lorsque les pouvoirs publics commencent à gêner le narcotrafic, les chefs de gang optent plutôt pour une stratégie de l’évitement, par exemple en déplaçant les points de deal. Aller directement à la confrontation n’est pas une stratégie naturelle », explique-t-il.
Durant les travaux de la commission d’enquête du Sénat, les élus ont longuement débattu pour savoir si la France était devenue un narco-Etat, à l’image de certains pays d’Amérique latine ou d’Europe du Nord. « Ce qu’il se passe aujourd’hui me rappelle la situation des Pays-Bas ou de la Belgique, où les trafiquants s’en prennent directement aux forces de l’ordre et aux institutions politiques », ajoute le sénateur Durain.
Le rôle des prisons dans le narcotrafic
Les établissements visés se situent pour la plupart dans des territoires gangrenés par le trafic de stupéfiants, comme le relève le journal Le Monde. Auditionnée le 30 janvier 2024 au Sénat, Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire, avait décrit la prison comme une sorte de passage obligé pour les trafiquants, une manière de nouer de nouvelles alliances et d’élargir leur réseau. « Nous observons une grande porosité des gangs incarcérés ainsi que la reconstitution d’alliances mouvantes au sein des détentions, ce qui rend le phénomène extrêmement difficile à cartographier », avait-elle expliqué.
« À plusieurs reprises, au cours de nos auditions, nous avons évoqué les menaces que subissent les agents pénitentiaires et leur famille, mais aussi la mise sous surveillance des établissements par les narcotrafiquants eux-mêmes, à l’aide de drones », indique le sénateur Etienne Blanc.
Surpopulation carcérale
Ces évènements interviennent dans un contexte de surpopulation carcérale qui pèse sur les conditions de travail des personnels : avec 81 599 détenus recensés au 1er février, les prisons françaises n’ont jamais été aussi remplies, quand elles ne comptent que 62 363 places, soit un taux moyen d’occupation de 130 %.
Il ne faut pas que ces évènements viennent jeter le discrédit sur les alertes des associations et des juridictions internationales sur la situation des prisons françaises
Matthieu Quinquis, président de l'Observatoire international des prisons
« Le problème avec ce genre de moyenne c’est qu’elles ne sont pas toujours pertinentes », observe Matthieu Quinquis, le président de l’Observatoire international des prisons. « Dans le détail, le taux d’occupation grimpe à 160 % sur les seules maisons d’arrêt, et 90 établissements présentent une densité carcérale supérieure à 150 % ». La situation des prisons françaises a déjà valu à Paris deux condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme, en 2020 et en 2023, pour « traitements inhumains ».
« Nous condamnons fermement ce qu’il s’est passé ces derniers jours. Aujourd’hui, le lien qui est fait entre ces attaques et les conditions d’incarcération nous semble préjudiciable à la défense des droits humains en prison. Il ne faut pas que ces évènements viennent jeter le discrédit sur les alertes des associations et des juridictions internationales sur la situation des prisons françaises », alerte le président de l’Observatoire international des prisons.
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