Pas d’évolution chez les Républicains. Après une réunion à la présidence de la République, qui a réuni tous les principaux partis (à l’exception du RN et de LFI), Laurent Wauquiez maintient ses conditions pour un futur gouvernement, avec une ligne rouge : « pas la France insoumise, pas le programme du NFP, qui est un programme de régulation de l’immigration, un programme d’augmentation des impôts, et un programme de laxisme sur les questions de sécurité ». À l’issue de près de trois heures d’échanges avec les autres forces, le président du groupe La Droite républicaine à l’Assemblée nationale « espère qu’il peut y avoir un accord pour au moins ne pas faire tomber un gouvernement ». Pour autant, le député et ses troupes excluent un accord de gouvernement avec la gauche. « Nous ne croyons pas à la possibilité de discuter un contrat de gouvernement avec des gens qui ne partagent pas la même vision de ce qu’il faut faire pour la France ». Pour la députée LR Michèle Tabarot, la discussion programmatique ne pourra venir qu’après la désignation du Premier ministre par le président de la République. « C’est à ce moment que nous échangerons au niveau des sujets qui sont chers pour nos électeurs et pour les Français. » « C’est l’esprit de nos institutions », insiste le président du groupe LR au Sénat, Mathieu Darnaud.
Prisons indignes : une proposition de loi du Sénat prend les devants
Par Pierre Maurer
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Ténor du barreau avant de devenir ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti connaît ses classiques. « Une société se juge à l’état de ses prisons », a-t-il coutume de rappeler, en référence à Albert Camus. L’amélioration des conditions détention, le nouveau garde des Sceaux en a fait l’un des axes prioritaires de son ministère. En juillet dernier, lors de sa prise de fonction, Éric Dupond-Moretti avait ainsi eu un mot pour les « conditions de vie inhumaines et dégradantes » des prisonniers et avait même réservé son premier déplacement à la prison de Fresnes. Et c’est peu dire que le chantier en France est important, si ce n’est gigantesque.
Depuis des années, la France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour sa surpopulation carcérale et ses mauvaises conditions de détention. Malgré une baisse due à la crise du covid-19, le taux d’occupation carcéral a augmenté depuis 6 mois avec 62 673 détenus au 1er janvier 2021 contre 58 695 au 1er juillet 2020 selon les chiffres de l’Observatoire international des prisons (OIP). Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel a décidé le 2 octobre dernier que le gouvernement devait produire une loi permettant aux personnes placées en détention provisoire de faire respecter le droit à être incarcéré dans des conditions dignes avant le 1er mars 2021. Mais voilà, pour le moment, aucun texte du gouvernement n’est arrivé. « Le Conseil constitutionnel a jugé que c’était tellement important qu’il a décidé le 2 octobre que le gouvernement devait produire une loi pour le premier mars. L’ennui c’est que le gouvernement a perdu du temps. Ils ont essayé de faire un texte en raccrochant une mesure à la loi sur le parquet européen mais l’Assemblée nationale n’en a pas voulu en disant que c’était un cavalier législatif (article de loi qui introduit des dispositions qui n’ont rien à voir avec le sujet traité par le projet de loi). L’exécutif se trouve donc pris par le temps », observe Jean-Pierre Sueur, sénateur socialiste de la commission des lois et fin connaisseur du dossier. Il a notamment averti le ministre à cinq reprises sur la problématique des mauvaises conditions de détentions et de la nécessité d’une loi et a récemment posé une question en ce sens lors des questions d’actualité au gouvernement.
« Cela paraît très difficile que ce soit adopté pour le 1er mars »
Face à l’absence de texte, les sénateurs sont donc à l’initiative. Le président de la commission des lois, François-Noël Buffet (Les Républicains), a déposé une proposition de loi le 11 février. « Je considère qu’on ne peut pas laisser la situation en l’état, on fait prendre un risque à nos juridictions », alerte-t-il. « À force d’avoir soulevé le sujet, la conférence des présidents du Sénat s’est mise d’accord mercredi dernier pour que la commission des lois prenne en main la chose et fasse une proposition de loi », rapporte Jean-Pierre Sueur, ajoutant que même avec une procédure accélérée « cela paraît très difficile que le texte soit adopté pour le premier mars. Le plus vite sera le mieux. » Le ministre chargé des relations avec le parlement Marc Fesneau « a exprimé un accord de principe », assure de son côté François-Noël Buffet, « tout en disant qu’il devait en référer au garde des Sceaux. Mais ma décision était déjà prise de déposer ce texte ».
Composée d’un article unique, la proposition de loi dispose que « toute personne détenue se plaignant de conditions indignes de détention aurait le choix de saisir soit le juge des référés, qui dispose d’un pouvoir d’injonction, soit le juge judiciaire, qui n’a pas un tel pouvoir mais qui peut ordonner sa remise en liberté ». Si le problème n’a pas été résolu par l’administration pénitentiaire dans le délai prescrit, elle offre au juge trois possibilités. Il pourra : « Ordonner le transfèrement de la personne détenue ; ordonner la mise en liberté de la personne placée en détention provisoire, éventuellement assortie d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence sous surveillance électronique ; ou ordonner un aménagement de peine, si la personne est éligible à une telle mesure ».
Une procédure qui permettrait à des détenus « éventuellement de se plaindre de leurs conditions d’incarcération. La procédure n’existe pas aujourd’hui et il faut qu’elle existe afin qu’il y ait un juge qui puisse prendre une décision. La décision du juge n’est pas systématiquement la remise en liberté. C’est par exemple, demander à l’administration pénitentiaire un état des lieux, ça peut être aussi la proposition d’un transfert dans une autre maison d’arrêt », détaille le président de la commission des lois. Il s’est d’ailleurs entretenu du sujet avec son homologue de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui partage « ce souci commun », assure-t-il.
Faute de loi au 1er mars, « on s’attend à des recours nombreux », indiquait la semaine dernière Céline Parisot, présidente l’Union Syndicale des Magistrats.
À l’origine, une condamnation de la CEDH
L’injonction du conseil constitutionnel découlait d’une condamnation de la CEDH de janvier 2020. Saisie par 32 détenus et anciens détenus dans les prisons de Nice, Nîmes, Fresnes, Ducos (Martinique) et Nuutania (Polynésie), la Cour européenne condamnait la France en raison de conditions de détention dégradantes et inhumaines, et pour l’absence de recours effectif à même de prévenir ou de faire cesser ces atteintes en droit interne. En juillet, la Cour de cassation rendait un arrêt, qui faute de disposition législative depuis, devrait faire jurisprudence en matière de détention provisoire. « La Cour de cassation a souscrit pleinement à la condamnation de la CEDH parce que quand des détenus, notamment des détenus en détention provisoire sont dans des conditions indignes - comme quatre personnes dans une cellule dont une qui dort sur un matelas -, le détenu n’a aujourd’hui pas les moyens effectifs de saisir la justice. Il peut saisir le tribunal administratif mais ça n’a pas de conséquences », explique Jean-Pierre Sueur.
Dans son arrêt, la Cour renvoyait une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil constitutionnel, car elle jugeait « sérieuse l’éventualité d’une inconstitutionnalité des articles du Code de procédure pénale, qui ne prévoient pas que le juge judiciaire puisse mettre un terme à une atteinte à la dignité de la personne incarcérée résultant de ses conditions matérielles de détention ».
Puis le Conseil constitutionnel a estimé qu’il incombait au législateur « de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne, afin qu’il y soit mis fin ». Et donc qu’une nouvelle loi soit votée. « Ce qu’ont dit la CEDH, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel dans des QPC, c’est qu’il fallait que les personnes qui sont détenues dans des conditions indignes puissent saisir le parquet, le juge judiciaire », résume Jean-Pierre Sueur.
« Il ne s’agit pas de remettre des personnes en liberté »
« C’est positif que le Sénat prenne l’initiative, c’est aussi son rôle de veiller à ce que notre droit soit parfaitement efficient, et de veiller à ce qu’on n’ait pas un risque de détenus qui soient remis en liberté parce qu’il y a une carence au niveau du gouvernement », note François-Noël Buffet. Cette nouvelle voie de recours permettrait ainsi « de satisfaire aux principes posés par la jurisprudence européenne et nationale tout en l’assortissant des garde-fous nécessaires à la sauvegarde de l’ordre public. Elle ne dispenserait pas l’État de poursuivre le programme de construction et de rénovation de places de prison dont notre pays a besoin pour assurer une exécution dans des conditions satisfaisantes des peines d’emprisonnement prononcées par les juridictions pénales », est-il écrit dans la proposition de loi. « Cela s’adresse à tout le monde, avec des conditions extrêmement strictes dont le seul objectif est de vérifier si les allégations faites sont réelles, et d’y remédier. Mais qu’en aucun cas, ce soit la liberté au bout du compte et qu’il y ait un détournement de procédure de la part des détenus », prévient le sénateur du Rhône.
Les conditions indignes, c’est un sujet dont on parle « depuis longtemps », convient Jean-Pierre Sueur, qui rappelle sa loi co-produite avec Jean-René Le Cerf il y a quinze ans. « La priorité c’est sans doute de rénover un certain nombre d’établissements et aussi de soutenir les peines alternatives à la détention : le travail, le bracelet électronique. Elles sont aussi efficaces et utiles que la détention », affirme-t-il. « Il manque des places de prison, et le gouvernement n’a pas tenu les engagements qu’il avait pris. C’est un drame. Nous savons qu’il faut construire des places de prison », pousse pour sa part François-Noël Buffet. « Tout cela pose la question de la préparation des décisions, des alternatives éventuelles à la détention. Malheureusement à ce stade, les choses n’ont pas beaucoup bougé ces dernières années alors que nous avons fait des propositions au Sénat… », regrette-t-il.