La liberté de l’électeur est-elle préservée, lorsqu’un élu est immédiatement privé de son droit d’éligibilité, avant un jugement définitif et épuisement de tous les recours ? C’est ce type de questionnement que le Conseil constitutionnel devra trancher dans les prochaines heures. Sa réponse, qui sera rendue ce vendredi 28 mars à 10 heures, sera scrutée avec attention par plusieurs élus et le monde politique.
Les Sages ont en effet été saisis d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au sujet de l’inéligibilité avec exécution provisoire, déposée par un conseiller municipal de Mayotte. En juin 2024, Rachadi Saindou avait été condamné à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire, autrement dit, avec application immédiate. Sa défense avait fait appel dès le lendemain, mais le préfet l’a déclaré d’office démissionnaire. Selon l’un de ces avocats, cette peine est « disproportionnée » et « irrémédiable » de fait, puisque l’élu ne retrouvera probablement pas son mandat, s’il était innocenté en appel.
A priori, aucun lien entre cet élu local mahorais et l’ancienne présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen. Et pourtant, la décision du Conseil constitutionnel intéressera au premier chef l’ancienne candidate à l’élection présidentielle dans sa défense. La députée saura en effet le 31 mars si le tribunal correctionnel de Paris suit, ou non, la peine d’inéligibilité (5 ans) immédiate requise par le parquet dans l’affaire des assistants d’eurodéputés RN.
Car une telle peine, même si elle faisait appel, contrecarrerait ses ambitions présidentielles pour 2027. « C’est ma mort politique qui est réclamée », avait-elle dénoncé sur TF1 après l’annonce des réquisitions. « Demain potentiellement, ce sont des millions et des millions de Français qui de fait se verraient priver de leur candidate à la présidentielle », avait-elle lancé pendant son dernier interrogatoire.
« La concomitance des deux décisions contribue à brouiller les choses et accroître la pression sur les magistrats »
En l’espèce, le cas de Rachadi Saindou et celui de Marine Le Pen sont différents, puisque la QPC vise un autre texte de loi. La décision des Sages poserait néanmoins un principe. Quelle que soit la décision des Sages, les magistrats chargés du dossier Le Pen ont eux déjà pris leur décision, puisqu’ils délibèrent depuis quatre mois. D’autre part, ils ne sont pas tenus de suivre le Conseil constitutionnel.
« On peut transposer. Le tribunal correctionnel ne serait pas obligé de le faire, mais il serait très fortement, juridiquement et moralement, incité à le faire, de reprendre à son compte ce raisonnement », nous avait déclaré le mois dernier Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.
« La concomitance des deux décisions contribue à brouiller les choses et accroître la pression sur les magistrats. Le tribunal correctionnel pourrait très bien décider de ne pas assortir une éventuelle condamnation d’une exécution provisoire », nous indiquait également Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université Toulouse Capitole.