« Inconscience de la gravité de la situation » : l’allocation Emmanuel Macron déçoit à droite
Le président de la République n’a pas convaincu au sein de la droite sénatoriale du bien-fondé de son intervention médiatique.
Par François Vignal
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Ce n’est pas encore un jugement, mais la nouvelle fait grand bruit. Dans le cadre de l’affaire des assistants parlementaires du Rassemblement national, où le parti d’extrême droite est soupçonné d’emplois fictifs visant à détourner l’argent du Parlement européen au bénéfice du parti, les réquisitions du parquet sonnent comme un coup de massue pour Marine Le Pen.
Les procureurs réclament une peine de cinq ans de prison, dont deux fermes, mais aménageable, 300.000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité, avec exécution provisoire. C’est le point sûrement le plus lourd de conséquence, car l’inéligibilité se ferait dans ce cas avec effet immédiat et ne serait pas suspendue par un recours en appel. De quoi empêcher Marine Le Pen de se présenter à l’élection présidentielle de 2027. Ce qui serait synonyme de tremblement de terre pour la vie politique française et pour celle qui a échoué deux fois au second tour. Sur le fond, le parquet estime que Marine Le Pen était au « centre » d’un « système organisé » visant à faire du Parlement européen la « vache à lait » du RN, au « mépris des règles démocratiques ». Des mots forts, qui sont de mauvais augure en vue du jugement.
Avant que la parole ne soit à la défense lundi, la contre-attaque est d’abord médiatique pour un RN qui fait corps pour défendre sa cheffe de file. Le parti se place en victime d’un procès, qui serait forcément politique. « La seule chose qui intéressait le parquet, c’était Marine Le Pen pour pouvoir demander son exclusion de la vie politique […] et puis le Rassemblement national pour pouvoir ruiner le parti », a protesté l’ancienne candidate elle-même après l’audience. Le vice-président du RN, Sébastien Chenu, a dénoncé ce jeudi « un parquet au service d’une mission politique ». « Dans quel pays vivrions-nous dans lequel on empêcherait la principale femme politique […] de pouvoir se présenter ? » demande le député RN. Jordan Bardella dénonce lui un « acharnement » et « une atteinte à la démocratie ».
Le parti entend jouer l’opinion. Il a lancé jeudi une pétition dénonçant « une ingérence manifeste dans l’organisation de la vie parlementaire au mépris de la séparation des pouvoirs », « une tentative d’éliminer la voix de la véritable opposition ».
On retrouve les mêmes éléments avancés du côté des sénateurs du Rassemblement national. « L’exécution provisoire reste facultative. Donc si elle a été proposée, pour nous, clairement, ça confirme l’intention de nuire politiquement. On sentait au fur et à mesure qu’il y avait une volonté d’empêcher Marine Le Pen de se présenter à l’élection présidentielle de 2027 », soutient Christopher Szczurek, sénateur RN du Pas-de-Calais, terre d’élection de Marine Le Pen. Pour lui, « cette affaire est très politique. Il s’agit d’un règlement de compte de certains magistrats, pour raisons idéologiques, mais aussi parce que certains magistrats rêvent de sanctionner les politiques et d’intervenir dans le débat public ». Preuve à leurs yeux : « La procureur dit quand même, au sujet d’un assistant, je n’ai rien contre vous, mais ça me ferait du mal de ne pas vous condamner. Ça montre qu’il y a intention de nuire », insiste le sénateur du Pas-de-Calais. Christopher Szczurek ajoute :
Joshua Hochart, sénateur RN du Nord, pense aussi que « l’institution judiciaire veut contourner le processus démocratique en empêchant Marine Le Pen de se présenter au pouvoir ». Il remarque aussi que « l’exécution provisoire est assez rare. Elle n’a jamais été prononcée, je pense, pour des politiques en exercice. La dernière fois, c’était pour les époux Balkany, qui n’étaient plus en activité ». Il ajoute : « L’exécution provisoire demandée par le parquet, c’est pour empêcher Marine Le Pen de se présenter à l’élection présidentielle ».
Selon les deux élus, le RN n’a pas mis en place un système visant à utiliser l’argent du Parlement européen censé servir à embaucher des collaborateurs des eurodéputées, pour qu’ils travaillent en réalité pour le parti. Ce sont les procureurs, qui n’auraient pas compris. « On reproche aux assistants d’avoir été mutualisés entre plusieurs parlementaires, ce qui existe partout », soutient Christopher Szczurek, « et on reproche aux assistants de faire de la politique, sans jamais prouver qu’ils sont payés par le Parlement pour faire de la politique ». Pour le sénateur du Pas-de-Calais, « c’est une méconnaissance du militantisme, on peut être assistant et faire de la politique sur ses temps libres, de façon bénévole ».
« Le Parlement européen et le parquet n’ont pas compris le fonctionnement d’un parti politique je pense, et notamment un parti d’opposition. Nos députés européens ne sont pas des salariés du Parlement, ils font de la politique », surenchérit Joshua Hochart. Autrement dit, il n’y aurait rien de plus normal. « Le rôle des Parlementaires et des collaborateurs, c’est de faire de la politique », ajoute-t-il encore, soutenant qu’« il n’y a pas de contournement des moyens de l’Europe, il y a utilisation des moyens du Parlement européen pour faire de la politique en France et remplacer demain cette majorité ».
Pour l’heure, les sénateurs RN feignent de ne pas s’inquiéter. « Ce ne sont jamais que des réquisitions. Le juge est encore libre de ne pas y répondre complètement », rappelle Christopher Szczurek. « On espère un jugement à la hauteur de ce qu’il y a dans le dossier, c’est-à-dire pas grand-chose. Il n’y a aucun enrichissement personnel des parlementaires ou des collaborateurs. On attend un jugement qui soit conforme au contenu du dossier, c’est-à-dire pas grand-chose, voire rien », ajoute de son côté Joshua Hochart.
Mais alors que le parti d’extrême droite est partisan de la fermeté contre les immigrés sur le plan juridique, la loi ne doit-elle pas s’appliquer à tous ? « Si le président d’un parti a fauté, il faut appliquer la loi. La loi est la même pour tous, il faut l’appliquer sans distinction. Mais nous contestons les faits qui nous sont reprochés ».
Reste qu’en cas d’impossibilité de se présenter pour Marine Le Pen, le parti serait de fait affaibli, en perdant sa figure la plus connue. « A partir du moment où ça arriverait, il sera bien obligé de continuer à vivre. Mais il y aura énormément d’électeurs meurtris, qui se sentiraient floués », imagine Christopher Szczurek, mais il ajoute aussitôt : « Mais on ne veut pas se projeter dans ce cas de figure ».
Et si le procès, quelle que soit son issue, laissera des traces, elles seront favorables au parti d’extrême droite, pense même le sénateur RN : « L’opinion est convaincue du caractère politique de la chose. Donc s’il y a une condamnation, ça renforcera ce sentiment ». Au point de paraître comme victime ? « Oui bien sûr, j’en suis convaincu », répond Christopher Szczurek, « ça ne me provoque pas d’inquiétude sur le plan électoral, au contraire ». Le jugement ne sera pas rendu avant l’année prochaine.
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