La commission des affaires économiques du Sénat a adopté, mardi matin, la proposition de loi, dite Gremillet, sur l’avenir énergétique de la France. Plutôt inhabituelle, la commission était saisie de son propre texte après son rejet la semaine passée à l’Assemblée nationale. Pour mémoire, un amendement déposé par le groupe LR de Laurent Wauquiez, adopté grâce aux voix du RN, avait imposé un moratoire immédiat sur toute nouvelle installation éolienne et photovoltaïque. Le Rassemblement national avait aussi adopté un amendement, techniquement et financièrement irréalisable, consistant à rouvrir la plus vieille centrale nucléaire française, Fessenheim.
12 articles supprimés
Des propositions iconoclastes qui avaient finalement conduit au rejet de la proposition de loi grâce aux voix de gauche et du bloc central. Le texte revient au Sénat le 8 juillet. Pour cette deuxième lecture, les sénateurs ont choisi de condenser la proposition de loi en supprimant douze articles, soit environ un tiers du texte, pour ne conserver que son volet programmatique. Conformément à la règle de « l’entonnoir », au fil des lectures successives, les parlementaires ne peuvent amender que les points qui ont fait l’objet de désaccord. Les articles adoptés en termes identiques sont exclus de la navette.
« Consciente de la nécessité d’aboutir rapidement sur ce chantier d’intérêt national, la commission des affaires économiques a fait le choix de modifier le texte voté par le Sénat en octobre dans le but de faciliter son examen en deuxième lecture à l’Assemblée nationale », peut-on lire dans un communiqué du Sénat.
Adopté en première lecture en octobre dernier, le texte acte une relance du nucléaire relativement plus ambitieuse que celle dessinée par Emmanuel Macron à Belfort pendant la campagne présidentielle 2022. Avec un objectif cible de 60 % de nucléaire dans le mix électrique d’ici 2030, et de 50 % à horizon 2050, l’objectif de la proposition de loi sénatoriale correspond à une mise en service de 14 nouveaux EPR 2, au lieu des six sur lesquels planche pour le moment EDF. Le texte se place ainsi dans le scénario optimiste d’une construction rapide des six EPR 2 qui permettrait de lancer huit chantiers complémentaires.
Côté énergies renouvelables, la majorité sénatoriale avait abaissé l’objectif de 40 % à 33 % du mix électrique, alors que le seuil fixé par la directive européenne RED III est de 44 %, tout en faisant quelques concessions au gouvernement.
« Il faut revenir sur terre »
La commission a donc logiquement supprimé l’amendement du député de l’Orne Jérôme Nury (LR) qui imposait un moratoire immédiat sur toute nouvelle installation éolienne et photovoltaïque. Une proposition issue de la droite de l’Assemblée et dénoncée par la droite du Sénat. « Il va y avoir la nécessité de mieux communiquer entre nous. Je peux comprendre, en encore, qu’il puisse y avoir des postures politiques dans les débats. Mais à un moment, il faut revenir sur terre. Je ne sais pas si les députés avaient beaucoup réfléchi à la casse économique de ce moratoire », souligne le sénateur LR, Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises du Sénat. France renouvelables, qui représente 360 professionnels du secteur, avait dénoncé un moratoire représentant « un des plus grands plans sociaux décidés à l’Assemblée ».
« Ce texte est très équilibré »
L’auteur du texte, Daniel Gremillet reconnaît qu’il existe « un sujet d’acceptation des territoires », sur les énergies renouvelables. Néanmoins, « la relance du nucléaire ne se fera pas avant 2038, 2040. Afin de répondre aux engagements de la France en matière de transition énergétique, la part du renouvelable en capacité d’aller plus vite. Ce texte est très équilibré. Nous ne sommes pas partis sur une vision d’un pays où le renouvelable serait la colonne vertébrale de la production énergétique de la France », tempère-t-il.
« Afin de répondre aux inquiétudes des élus locaux », la commission a toutefois conservé une mesure adoptée en première lecture souple, qui « permet de fixer un cap stratégique sur le développement des projets éoliens terrestres, en précisant la nécessité de privilégier le renouvellement des installations existantes à l’implantation de nouvelles installations et de tenir compte de la planification territoriale.
A l’initiative de ce dispositif, le vice-président du Sénat Didier Mandelli rappelle son rejet « du développement anarchique des éoliennes qui impacte nos territoires ». « Le vote à l’Assemblée ne m’a pas affolé plus que ça même si certains ont abordé ce sujet avec de démagogie et moins de rigueur et de sérieux », regrette-t-il.
Signe qu’un consensus semble émerger entre les deux chambres sur les mesures programmatiques phares du texte, le Sénat a repris lors de ses travaux en commission la plupart des compromis trouvés à l’Assemblée. « Par exemple, l‘article 3 qui fixe les objectifs de la production nucléaire (27 gigawatts supplémentaires d’ici 2050 NFLR), et l’article 5 sur les énergies renouvelables (29 gigawatts d’hydroélectricité d’ici 2035, 297 térawatts de chaleur renouvelable, 50 térawatts de biogaz, ou encore 48 térawatts de biocarburants NDLR) sont quasiment la reprise de la version des députés », précise Daniel Gremillet.
Quelle date pour le décret ?
Mais la pression demeure sur François Bayrou cerné par la menace de censure du RN sur le sujet de l’énergie, dans le cas où les propositions du parti d’extrême droite ne seraient pas reprises dans un décret publié à la rentrée. La loi Energie – Climat de 2019 prévoyait un nouveau texte pour la programmation pluriannuelle de l’énergie pour la période 2025-2035. Mais avec une majorité déjà relative à l’Assemblée nationale en 2022, puis disparue en 2024 avec la dissolution, les gouvernements successifs préféraient miser sur une révision de cette programmation par décret. C’était sans compter sur la droite et le Rassemblement national qui n’ont cessé de faire pression pour que le débat se tienne au Parlement. En l’absence de projet de loi émanant du gouvernement, la majorité sénatoriale avait pris l’initiative à l’automne en adoptant la proposition de loi Gremillet.
Après Gérard Larcher la semaine dernière, la commission des affaires économiques appelle, également, le gouvernement à confirmer l’inscription du texte en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, dès septembre prochain, « et à attendre la fin de la navette parlementaire, avant de prendre le décret sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ».
« Ce serait une erreur de ne pas attendre, car on contournerait le Parlement. On n’a pas l’habitude de jouer les bateaux de sauvetage au Sénat », avait prévenu Gérard Larcher, la semaine dernière.