Programmation militaire : Sénat et gouvernement alignés sur « l’ambition », pas sur le rythme de l’effort budgétaire

Le Sénat a débuté l’examen du projet de loi de programmation militaire. S’il partage les objectifs du gouvernement d’une LPM à 413 milliards d’euros, un désaccord existe sur le rythme de la hausse du budget. Selon le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, les modifications apportées par le Sénat reviennent de plus à « alourdir » la facture, en portant le budget à au moins 416 milliards d’euros. Une lecture que la majorité sénatoriale conteste.
François Vignal

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C’est dans un contexte international troublé, trois jours après la marche vers Moscou du groupe Wagner et en pleine guerre en Ukraine, que le Sénat aborde le projet de loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2024-2030. Ce texte affiche de fortes ambitions budgétaires pour les armées : pas moins de 413 milliards d’euros sur sept ans. Soit plus de 100 milliards de plus, comparé à la précédente LPM 2019-2025 et ses 295 milliards d’euros. De « 32,3 milliards d’euros pour le budget des armées » en 2017, à 43,9 milliards en 2023, ce budget sera de « 68.9 milliards » en 2030, soit un « doublement du budget en deux LPM », souligne le ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Le prix du maintien d’une armée complète.

Un réel effort qui doit permettre de pérenniser la dissuasion nucléaire, qui bénéficie de 13 % du budget de la LPM, soit 63 milliards d’euros, de lancer le développement du nouveau porte-avions, qui coutera au final 10 milliards d’euros, et globalement de continuer la mise à niveau des armées, après des années de vaches maigres, avec la volonté de répondre aux conflits de type « hybride » et à « l’émergence de nouveaux espaces de conflictualité » dans « le cyber, l’espace ou les fonds marins », a souligné lors de la discussion générale le ministre des Armées Sébastien Lecornu. Sans oublier l’objectif de doubler la réserve opérationnelle, ou d’améliorer la situation des soldats.

Lire aussi » Programmation militaire : que contient le projet de loi du gouvernement ?

Le Sénat défend « un cadencement des dépenses beaucoup plus ambitieux, un renforcement immédiat », soutient Christian Cambon

La majorité sénatoriale soutient globalement la LPM et son « ambition ». Mais pour le rapporteur LR du texte, Christian Cambon, qui est également président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, c’est le rythme, qui pose problème. « Notre commission ne conteste pas l’effort louable du gouvernement et lui rend hommage », soutient le sénateur LR du Val-de-Marne, mais en commission, les sénateurs ont modifié ce rythme pour que la hausse du budget soit plus importante d’ici 2027, et non l’inverse. Ils défendent « un cadencement des dépenses beaucoup plus ambitieux, un renforcement immédiat ». Une manière de répondre à ce que le sénateur LR Cédric Perrin appelle « le paradoxe de cette LPM, entre des crédits qui augmentent fortement et des dotations en équipement majeurs, qui ne progressent pas ».

Dans le texte du gouvernement, ce sont précisément 400 milliards d’euros de crédits budgétaires qui sont prévus, auxquels s’ajoute 5,9 milliards d’euros issus de vente de fréquences ou de ventes immobilières, et 7,4 milliards, que les sénateurs jugent beaucoup trop incertains car issus de « marges frictionnelles », soit un crédit qui ne sera pas consommé, et de « report de charges », c’est-à-dire une dépense différée. Ce sont ces 7 milliards que le Sénat a transformé en crédit budgétaires réels.

« Nous voulons lever un doute, liée à une incertitude »

Cette « clef de voute de la LPM », selon les mots de Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat, est vite arrivée au cœur des débats par un amendement du gouvernement visant à revenir sur cette modification apportée par les sénateurs.

« Nous voulons lever un doute, liée à une incertitude, des crédits qui ne sont pas budgétés », lance Bruno Retailleau (voir la première vidéo), « et le doute est lié au fait que l’effort soit reporté à 2027 (et sa présidentielle). […] Sinon, c’est le même effort, les mêmes marches que la LPM actuelle. C’est maintenant la guerre, c’est maintenant qu’on doit faire un effort, car c’est maintenant l’inflation », qui est estimée à 30 milliards, dans le cadre de cette LPM. Le gouvernement assure l’avoir déjà « mise dans la copie ».

La version du Sénat « veut dire qu’il y a des renoncements », pointe le ministre Sébastien Lecornu

Un sérieux désaccord de lecture technique est vite apparu. Car pour le ministre, l’intégration dans le budget des 7 milliards d’euros revient à augmenter en réalité le budget. « Le Sénat alourdit bien, en plus, l’enveloppe budgétaire globale puisque, en l’état, les sénateurs proposent d’augmenter l’enveloppe de 413 à 420 milliards d’euros sur la période 2024-2030 », dénonce dans Le Figaro Sébastien Lecornu. Une vision que récuse Bruno Retailleau. « Nous ne sommes pas du tout d’accord avec les 420 milliards que vous avez cités », rétorque le sénateur de Vendée, qui assure que la majorité sénatoriale entend rester dans « l’enveloppe de 413 milliards ».

Pour le ministre, le texte de la commission revient en réalité à « 407,4 milliards de crédits budgétaires auxquels s’ajoutent toujours les 5,9 milliards de ressources extrabudgétaires et toujours les 7,4 milliards de reports de charge, car ils sont dans la programmation. Bah si ! Ou alors, ça revient à les compter deux fois », lance Sébastien Lecornu (voir la vidéo ci-dessous), qui ajoute :

 Quoiqu’il arrive, même si vous ne partagez pas ma lecture, le Sénat a déjà alourdi la facture, avec des mesures, qui sont bonnes d’ailleurs, mais qu’on ne sait pas payer, avec 3,2 milliards de dépenses. 

Sébastien Lecornu, ministre des Armées

S’inquiétant de la « soutenabilité pour nos dépenses publiques », le ministre insiste : « Il y a 3,2 milliards de dépassement au moment où on se parle, qui ne sont pas financés par le Sénat. Ce qui fait qu’on est à 416,2 milliards », « et comme j’entends dire qu’on reste à 413 milliards, donc cela veut dire qu’il y a des renoncements ».

« S’il n’y a pas de prévision budgétaire stricte, ça reste de la communication »

La droite sénatoriale n’a pas lâché, renvoyant à l’annonce des 413 milliards qui avait été faite par Emmanuel Macron à Mont-de-Marsan. « S’il n’y a pas de prévision budgétaire stricte, il n’y a pas la possibilité de dire qu’on dépensera 413 milliards d’euros, et ça reste de la communication », campe Christian Cambon. Reprenant une image utilisée par le ministre lui-même pour expliquer le sens de ces 7 milliards litigieux, Bruno Retailleau lance :

 Vous avez un avion de 400 places, vous surbookez à 413 places. Vous n’en ferez rentrer que 400. Point final. Notre point de vue est bien le bon. 

Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat

L’amendement de Sébastien Lecornu a été rejeté, mais le ministre, soulignant que l’objectif de l’enveloppe des 413 milliards est partagé, n’a pas écarté qu’un rapprochement puisse apparaître dans la suite du parcours législatif, la commission mixte paritaire déjà en ligne de mire.

« La militarisation a toujours préparé la guerre et jamais la paix » dénonce le communiste Pierre Laurent

« Ce débat est le bal des hypocrites. En vérité, il y a un grand consensus sur la cible des 413 milliards », a pointé du doigt le communiste Pierre Laurent. Le sénateurs PCF de Paris a défendu en ouverture des débats une motion pour dénoncer les conditions de débats, ou plutôt l’absence, selon lui, de réel débat de fond, mêlé « d’une consultation confinant à la parodie, avec un questionnaire remis aux commissions parlementaires 12 jours avant le discours de Mont-de-Marsan » du Président. Pour l’ancien numéro 1 du PCF, « la militarisation a toujours préparé la guerre et jamais la paix. C’est oublier toutes les leçons des 30 dernières années. (…) L’Occident a usé de sa puissance pour multiplier les guerres : guerre du Golfe, en ex-Yougoslavie, Afghanistan, Irak, Libye, Sahel. Pour quel résultat ? Le chaos, l’insécurité ».

A l’inverse, pour le socialiste Rachid Temal, avec ce que « certains appelleront une armée complète mais miniature, un bonzaï, se pose notre capacité à agir seul ou accompagner ». « Le vrai débat c’est que doit faire la France pour maintenir sa capacité de défense ? Et quel rapport à l’Otan ? Avec une grande part de mon groupe, nous sommes pour aller beaucoup plus loin dans l’Otan. Ce n’est pas réduire notre indépendance, notre capacité à agir ou décider », soutient le sénateur PS du Val-d’Oise, dont le groupe a pour objectif de « bonifier la LPM ».

« Ce débat nécessite que nous connaissions les perdants. La transition écologique ? L’éducation nationale ? La culture ? » demande l’écologiste Guillaume Gontard

Si de leur côté, les écologistes « comprennent l’effort de rattrapage », ils pointent le coût énorme pour l’Etat. « C’est 17 milliards d’euros par an, en moyenne, sans financements spécifiques. Vous étiez plus regardant pour trouver 13 milliards pour la caisse des retraites, quitte à mettre le pays dans un climat d’extrême tension, et de piétiner la démocratie parlementaire », dénonce Guillaume Gontard, président du groupe écologiste du Sénat, qui estime que « ce débat nécessite que nous connaissions les perdants. La transition écologique ? L’éducation nationale ? La culture ? Aucune de ces solutions n’est acceptable et c’est pour nous une ligne rouge ».

Pointant le « coût exorbitant de la dissuasion nucléaire », Guillaume Gontard souligne pour « les écologistes, notre effort de défense ne peut être qu’européen ». A l’heure de la guerre en Ukraine, les débats ont aussi rappelé que tous les Etats membres ont depuis annoncé une hausse de leurs budgets consacrés à la défense.

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