Initialement, le nouveau projet de loi en discussion au Parlement ne comportait que des demandes du gouvernement à pouvoir légiférer par ordonnances, on en comptait 40. Les députés ont réduit le nombre d’habilitations à 24. La semaine dernière, en commission des Lois, les sénateurs (majoritairement de droite et du centre) les ont limitées à seulement 10.
Qualifié de « fourre-tout », voire de « gloubi-boulga » par les oppositions, le texte « relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne », était perçu dans la Haute assemblée comme un dessaisissement trop important de son pouvoir. D’autant que 57 ordonnances ont déjà été prises par le gouvernement depuis la loi d’urgence du 23 mars.
« Comment invoquer l’urgence quand, par ailleurs, de nombreuses habilitations sont demandées pour 6 mois, voire 15 mois ? »
Les sénateurs n’ont pas seulement été heurtés par la multiplicité des champs des ordonnances, ils l’ont également été par les délais d’habilitation et de ratification proposés. « Le gouvernement prétexte l’urgence pour demander au Parlement de se dessaisir de sa compétence pour des périodes d’une longueur injustifiable et dans de nombreux domaines de notre droit. Comment invoquer l’urgence quand, par ailleurs, de nombreuses habilitations sont demandées pour 6 mois, voire 15 mois ? » s’est interrogée Muriel Jourda (LR), rapporteure du projet de loi.
Pour l’article 1 par exemple, le plus touffu du projet de loi avec des mesures pour faire face aux conséquences administratives de l’épidémie de Covid-19 et pour limiter la propagation, les sénateurs ont réduit le délai d’habilitation de six à trois mois. « Ce projet de loi étant motivé par l’urgence, ses dispositions doivent entrer en vigueur rapidement », a rappelé la commission des Lois. Celle-ci a également retiré le principe d’un effet rétroactif, dans l’attente de précisions du gouvernement.
Au sein du même article, de nombreuses habilitations ont été supprimées afin d’inscrire les dispositions directement dans la loi, « les intentions du gouvernement étant suffisamment précisées ».
Les sénateurs refusent d’étendre l’expérimentation des cours criminelles
Dans le domaine judiciaire, le gouvernement voulait tirer la conséquence de la « forte perturbation » du fonctionnement des cours d’assises pendant la crise sanitaire, en demandant l’autorisation du Parlement d’augmenter le nombre de départements dans lesquels sera expérimentée la cour criminelle, introduite dans la dernière réforme de la justice. Le nombre prévu était de 20 départements, en plus des six désignés en septembre. Cette extension du principe d’une cour qui ne fonctionnerait plus avec des jurys populaires a été rejetée en commission des Lois au Sénat. « On ne peut accepter de multiplier les mesures dont l’unique objet est d’adapter nos règles juridiques à la faiblesse des moyens humains et matériels mis en œuvre », a expliqué le président de la commission des Lois, Philippe Bas (LR).
Encadrement dans la durée des dérogations aux règles applicables aux CDD
En matière de droit du travail, l’Assemblée nationale avait introduit un article pour permettre à un accord d’entreprise de déroger aux conditions de recours aux CDD (fixés par la loi ou par une branche), conclus jusqu’au 31 décembre 2020. Il s’agit par exemple du nombre de renouvellement et de délais de carence. Les sénateurs ont voulu préciser que ces accords ne pourraient être conclus que pendant l’année 2020.
Ils ont également supprimé l’article introduit par les députés, permettant à un CSE (comité social et économique) d’entreprise, de consacrer jusqu’à 50% de son budget de fonctionnement à des activités sociales et culturelles. « L’urgence de déroger à la règle », n’est « pas établie », rappelle la commission des Affaires sociales.
Les sénateurs reviennent à la charge sur les expérimentations de la loi Egalim
Les sénateurs se sont aussi opposés à une ordonnance qui aurait prolongé de 18 mois (30 dans le texte initial avant sa modification par les députés) le relèvement du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions des produits alimentaires, introduits par la loi Egalim de 2018. Le Sénat souhaite apporter les corrections qu’il avait tenté d’ajouter à la loi Pacte.
Toujours au chapitre de la consommation, les sénateurs ont retiré l’habilitation à légiférer par ordonnances sur les titres-restaurants. Le gouvernement souhaitait modifier les règles d’affectation de la contre-valeur des titres 2020 périmés en mars 2021. « Aucune urgence », selon les sénateurs, qui invitent le gouvernement à en débattre « sereinement et dans le cadre d’un plan de relance global à l’occasion du prochain projet de loi de finances ».
Autre modification majeure, à l’article 3 : les sénateurs ont dit non à une ordonnance qui aurait centralisé des trésoreries d’organismes publics sur le compte du Trésor. Pour la commission des Finances, il ne s’agit pas d’un refus sur le fond, car elle n’y voyait pas d’ « appropriation » mais au contraire des avantages pour les besoins de financement de l’État. En revanche, le rapporteur général du Budget, Albéric de Montgolfier (LR), a dénoncé la « méthode retenue par le gouvernement », notamment le principe d’une « habilitation au champ d’application particulièrement large ». « Le gouvernement n’est pas en mesure de citer ne serait-ce qu’un seul organisme qu’il souhaiterait effectivement contraindre à centraliser sa trésorerie dans un délai proche », a-t-il également expliqué.