Projet de loi d’orientation agricole : « Je ne serai pas le ministre qui réintroduira des molécules interdites », prévient Marc Fesneau

Au lendemain de l’adoption du projet de loi d’orientation agricole à l’Assemblée nationale, Marc Fesneau était auditionné par la commission des affaires économiques du Sénat pour présenter le texte qui a été largement critiqué par les élus de la chambre haute.
Simon Barbarit

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La crise agricole qui a marqué le début de l’année 2024 avait conduit le gouvernement à présenter 60 mesures d’urgence. L’exécutif avait évité l’embrasement mais le feu couvait toujours. Les réponses structurelles à la crise du secteur devaient être apportées dans un projet de loi d’orientation agricole. Le texte présenté en mars en Conseil des ministres suscitait peu d’enthousiasme des deux côtés de l’hémicycle du Sénat comme au sein du principal syndicat, la FNSEA (lire notre article).

Le texte vient d’être adopté par les députés et arrive au Sénat sensiblement enrichi d’un titre dédié à la « souveraineté alimentaire » et un autre à la « simplification », comme l’avait demandé la FNSEA. Le texte était composé de 19 articles avant son examen à l’Assemblée. Après son adoption « le projet de loi compte 45 articles ». « Près de 3 600 amendements ont été déposés devant la commission des affaires économiques (de l’Assemblée) et plus de 5 400 ont été déposés en vue de l’examen en séance », a rappelé Dominique Estrosi Sassone en introduction de l’audition du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau.

« Mais ce qui fâche n’est pas le texte lui-même mais ce qui ne l’est pas »

Le texte très technique aborde différents sujets tels que la formation, avec un nouveau diplôme de niveau bac + 3, la réglementation sur les haies ou encore le statut des chiens de protection des troupeaux. Alors qu’un tiers des quelque 500.000 agriculteurs seront en âge de partir à la retraite d’ici dix ans, le texte fixe comme objectif « 400.000 exploitations agricoles » d’ici 2035, et 500.000 paysans travaillant sur ces exploitations pour 2035.

La sénatrice a jugé le texte « bavard sur certains sujets et muet sur d’autres ». « Mais ce qui fâche n’est pas le texte lui-même mais ce qui ne l’est pas », a-t-elle ajouté en faisant référence à des dispositions, pourtant promises par le Premier ministre il y a quelques mois, visant à éviter les surtranspositions dans l’utilisation de certains produits phytosanitaires et d’autorisation environnementale d’élevage.

Le ministre a d’abord affirmé que le projet de loi avait pour but de répondre à deux défis « pour préserver notre capacité à produire » : « celui du changement climatique et celui du renouvellement des générations ». « Je n’ai jamais prétendu que le texte venait répondre à l’ensemble des enjeux du monde agricole. C’est pour ça qu’il y a d’autres véhicules législatifs qui sont posés sur la table », a-t-il souligné évoquant les textes budgétaires de la fin d’année qui permettront de traiter la question de la protection sociale et de la compétitivité des agriculteurs.

L’article 1, répond à une exigence de la FNSEA et consacre « la protection, la valorisation et le développement de l’agriculture et de la pêche » au rang d’ « intérêt général majeur », en tant qu’ils « garantissent la souveraineté agricole et alimentaire de la Nation ».

« Sanctuarisation de la haie comme un monument historique »

Ce qui n’a pas permis à Marc Fesneau d’éviter les admonestations d’un élu qu’il connaît bien, Laurent Duplomb (LR) auteur d’une proposition de loi « pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France » et corapporteur du projet de loi. « On a l’impression que tous les chantiers sont ouverts et que depuis trois mois rien n’est réglé […] Le diagnostic est parfait, les problèmes sont bien identifiés mais rien ne se règle. Vous refusez de corriger les erreurs commises », a-t-il accusé avant de se lancer dans un long développement sur les surtranspositions de produits phytosanitaires. « La France est la seule au monde à interdire l’acétamipride ce qui met dans l’impasse la filière betterave, la filière pomme et poires ».

Le sénateur de Haute-Loire a également fustigé l’article 14 sur la réglementation des haies, « le summum du summum ». La FNSEA estimait que le principal obstacle à la plantation de haies était le millefeuille administratif, avec « 14 réglementations différentes ». Les députés ont adopté un article qui simplifie leur régime juridique. Le projet de loi réaffirme l’interdiction de la destruction d’une haie tout en prévoyant des conditions de dérogation (replantation par exemple). Laurent Duplomb a estimé qu’il s’agissait « d’une sanctuarisation de la haie comme un monument historique ».

« Oui, il y a un sujet sur l’acétamipride parce que c’est une surtransposition Mais moi, je ne serais pas le ministre qui réintroduira des molécules interdites il y a 5 ou 10 ans parce qu’il y avait des risques avérés pour ceux qui appliquaient le produit […] Donc on a intérêt à trouver des alternatives », a répondu Marc Fesneau. Au sujet des haies, le ministre a rappelé qu’elles étaient comme les prairies « un élément central » de la stratégie neutralité carbone.

« Il faudrait 400 poulaillers supplémentaires en France »

L’article 15 accorde une présomption d’urgence en cas de contentieux autour de la construction d’une réserve d’eau pour l’irrigation. Avec pour objectif de réduire les délais de procédures et de « purger le contentieux en moins de dix mois ». Cette présomption d’urgence concernera aussi des projets de bâtiments d’élevage, dont les permis de construire sont régulièrement l’objet de recours d’associations de défense de la nature. « Il y a une stratégie d’un certain nombre de gens qui multiplient les contentieux […] Sur ces sujets de l’eau, il y a des gens qui ont un postulat qui est : plus jamais de retenues d’eau. Ce n’est pas la position du gouvernement », a-t-il réaffirmé. Marc Fesneau a aussi prévenu que la France allait avoir besoin de nouveaux bâtiments d’élevage afin notamment de limiter les importations. « Il faudrait 400 poulaillers supplémentaires en France ou alors il faut manger 2 fois moins de volailles. On ne peut pas se plaindre du poulet ukrainien et dès qu’un poulailler se crée, faire un contentieux de 5 à 10 ans ».

« A contresens de tous nos engagements environnementaux »

A gauche, le projet de loi n’a pas non plus soulevé d’enthousiasme. « Il fait l’impasse sur la question du revenu agricole, de l’adaptation de la loi Egalim et n’aborde qu’en surface, le sujet du foncier agricole », a regretté Jean-Claude Tissot, sénateur socialiste, agriculteur de formation, qui a jugé le texte « à contresens de tous nos engagements environnementaux ». L’élu a souhaité savoir quel était le poids juridique du concept d’« intérêt général majeur ».

« C’est la jurisprudence qui va le dire. Sur les projets agricoles, la souveraineté agricole a son importance sur les points d’équilibres qu’on doit trouver entre les questions les questions sociales,  économiques, environnementales. Rappelons que la protection de l’environnement a une valeur constitutionnelle, alors que cet intérêt général majeur est inscrit dans une loi simple. Toutefois, le texte porte aussi l’agriculture dans le champ de protection des « intérêts fondamentaux de la Nation » définis dans le code pénal et dont les atteintes sont durement sanctionnées.

Le projet de loi sera examiné en séance publique à la mi-juin.

 

 

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