CONSEIL D’ETAT
A view of the Conseil d'Etat, France's top administrative court, in Paris, 17/02/2021. SIPA IMAGE//SOLAL_solal0028/2102171658/Credit:SOLAL/SIPA/2102171659

Projet de loi d’orientation agricole : le Conseil d’État met en garde contre des risques d’inconstitutionnalité

Publié après la présentation du texte en conseil des ministres, l’avis du Conseil d’État propose de supprimer l’article relatif à l’accélération des procédures de recours contre les projets de construction de « mégabassines » et de bâtiments d’élevage. La mesure pourrait s’opposer au « principe d’égalité devant la justice ».
Rose-Amélie Bécel

Temps de lecture :

3 min

Publié le

Mis à jour le

Le projet de loi d’orientation agricole, présenté en conseil des ministres ce 3 avril, suscite plusieurs interrogations du Conseil d’État. Dans leur avis, adopté le 21 mars dernier et publié le 4 avril, les Sages proposent au gouvernement de supprimer un article présentant des « risques de constitutionnalité ».

Dans le viseur de la justice administrative, l’article 15 du projet de loi, qui prévoit l’accélération des contentieux contre les projets hydrauliques et les installations d’élevage. En d’autres termes, la mesure du gouvernement vise à réduire la durée des procédures de recours contre les « mégabassines » et la construction de bâtiments pour les grands élevages de porcs ou de volailles, pour « purger le contentieux en moins de dix mois ».

« Un certain nombre de gens et d’associations se servent des procédures, non pas pour juger ou jauger du sujet environnemental, mais pour planter les dossiers. C’est une façon d’époumoner les porteurs de projets », a défendu le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, sur le plateau de Public Sénat ce 4 avril.

Un article en contradiction avec le « principe d’égalité devant la justice »

Le Conseil d’État dénonce d’abord l’introduction d’une dérogation au droit commun pour tous les projets de stockage d’eau, estimant que l’intérêt de ces retenues doit être évalué au cas par cas, « compte tenu des répercussions des changements climatiques propres à chaque territoire et de la nécessité de concilier les différents usages de la ressource ».

Les Sages s’interrogent également sur la nécessité d’un tel article, considérant que « les projets visés ne représentent qu’une part extrêmement limitée des affaires en cours d’instruction devant les tribunaux administratifs ». Des dizaines de projets de « mégabassines » ont déjà fait l’objet de recours, conduisant dans certains cas à leur annulation après plusieurs années de procédure. En octobre dernier, le tribunal administratif de Poitiers a ainsi annulé les projets de construction de quinze retenues d’eau, les jugeant « surdimensionnés » et « inadaptés aux effets du changement climatique ».

Pour ces raisons, le Conseil d’État estime que l’article pourrait s’opposer au « principe d’égalité devant la justice » et comporterait « des inconvénients importants en termes de sécurité juridique pour les justiciables ». Les Sages mettent enfin en garde le gouvernement sur les effets pervers d’une telle mesure, la multiplication des dérogations au droit commun pourrait être source « de complication et d’allongement des procédures », voire « de contestations ».

Des mesures qui risquent de « contraindre l’exercice de l’activité d’exploitant agricole dans des proportions inédites »

« La compétitivité, c’est la simplification », affirmait pourtant Marc Fesneau sur le plateau de Public Sénat pour défendre son texte. Une formulation que les Sages ne reprennent pas à leur compte dans leur avis, considérant même certaines mesures comme contreproductives.

Le texte créé, par exemple, un guichet unique pour faciliter les démarches de transmission d’une exploitation. Chaque agriculteur souhaitant s’installer devra prendre contact avec cette plateforme pour bénéficier d’un diagnostic et de conseils personnalisés sur son projet. Une mesure qui risque d’entraîner « un encadrement administratif lourd » et de « contraindre l’exercice de l’activité d’exploitant agricole dans des proportions inédites », alertent les Sages.

Mobilisés pendant de longues semaines, les agriculteurs avaient pourtant fait de la simplification des normes et du millefeuille administratif l’une de leur principale revendication.

Partager cet article

Dans la même thématique

Capture 2
3min

Politique

Cancers : l’Union européenne n’a pas « d’excuse pour ne rien faire »

Un sommet européen sur le Cancer doit se tenir à Bruxelles du 19 au 20 novembre. Il s’agit de la deuxième cause de mortalité sur le Vieux Continent. Chaque année, 2,6 millions de nouveaux cas sont diagnostiqués. Tabac, alcool, pesticides, polluants divers, nos modes de vie et conditions de travail sont en cause. Alors, comment endiguer le fléau du cancer dans l’Union européenne ? Pourquoi sommes-nous aussi touchés ? Ici l’Europe ouvre le débat avec les eurodéputés Laurent Castillo (PPE, France) et Tilly Metz (Verts, Luxembourg). L'UE n'a pas "d'excuse pour ne rien faire", estime cette dernière.

Le

Paris : session of questions to the government at the Senate
9min

Politique

Face à un « budget cryptosocialiste », la majorité sénatoriale veut « éradiquer tous les impôts » votés par les députés

Ils vont « nettoyer » le texte, le « décaper ». Les sénateurs de droite et du centre attendent de pied ferme le budget 2026 et le budget de la Sécu. Après avoir eu le sentiment d’être mis à l’écart des discussions, ils entendent prendre leur revanche, ou du moins défendre leur version du budget : plus d’économies et faire table rase des impôts votés par les députés.

Le

Marseille: Amine Kessaci candidate
4min

Politique

Assassinat du frère d’Amine Kessaci : le militant écologiste engagé contre le narcotrafic était « sous protection policière et exfiltré de Marseille depuis un mois »

Le petit frère d’Amine Kessaci, jeune militant écologiste marseillais, connu pour son combat contre le narcotrafic, a été tué par balles jeudi soir à Marseille. L’hypothèse d’un assassinat d’avertissement est privilégiée et pourrait faire basculer la France un peu plus vers ce qui définit les narco Etats. C’est ce que craignaient les sénateurs de la commission d’enquête sur le narcotrafic. Le sénateur écologiste de Marseille Guy Benarroche, proche d’Amine Kessaci a pu s’entretenir avec lui, ce matin.

Le