La porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a assuré ce mercredi à la sortie du Conseil des ministres qu’Emmanuel Macron a acté qu’il n’y avait pour le moment pas « de socle plus large que celui qui est en place aujourd’hui » pour gouverner. Mais, après les consultations des responsables de partis mardi, « le président continue à écouter et à tendre la main ».
Projet de loi immigration : entre LR et la majorité, des discussions toujours aussi compliquées
Par François Vignal
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Pour trouver une majorité avec la droite sur le texte immigration, Emmanuel Macron sera-t-il prêt à perdre sa jambe gauche ? Le projet de loi comporte deux facettes, l’une répressive sur l’immigration illégale, l’autre sur la création d’un titre de séjour permettant des régularisations dans les métiers en tension, comme l’hôtellerie-restauration. Le texte venait à peine de commencer son examen au Sénat quand il a été suspendu, en mars dernier, face aux émeutes urbaines. Emmanuel Macron a ensuite relancé les consultations, à la recherche d’une majorité sur ce texte. Une majorité impossible ?
« Pompe aspirante »
Les LR ont vite fait de la partie sur les métiers en tension une ligne rouge. « C’est un formidable appel d’air », a répété dimanche, sur France Inter, le président LR du Sénat, Gérard Larcher, « une espèce de signal au moment où nous devons refonder notre politique migratoire ». « C’est une ligne rouge. La fraude créerait le droit d’entrer illégalement sur le territoire, créant un droit opposable. Ce serait une nouvelle pompe aspirante », nous confirme le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau, qui n’a pas bougé d’un iota sur le sujet. Il ajoute qu’« il y a un demi-million d’étrangers sans emploi, 1,4 million de jeunes Français, ni en formation, ni en emploi, près de 3 millions de chômeurs. Qu’on ne vienne pas nous dire que c’est la solution. La solution, c’est un meilleur taux d’emploi ». Les LR ont mis sur la table leurs propres textes sur l’immigration, dont une révision de la Constitution.
Alors que les macronistes n’ont qu’une majorité relative à l’Assemblée, on comprend pourquoi, la semaine dernière, la rumeur d’un retrait de la partie métiers en tension est apparue. De quoi, peut-être, permettre un soutien des LR. De premiers signes sont apparus avant la pause estivale. En juin, la première ministre Elisabeth Borne s’était dite prête à discuter des « modalités » des métiers en tension. Selon Le Canard enchaîné du 23 août, elle estimait même que « l’allusion aux métiers en tension devrait disparaître du texte », la jugeant « mal formulée ». Puis le retrait était carrément évoqué dans Les Echos la semaine dernière…
Pas vraiment du goût de toute une partie de la majorité. La présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, est montée au créneau dimanche sur LCI en défendant la mesure. Quant au président Renaissance de la commission des lois du Palais Bourbon, Sacha Houlié, l’un des représentants de l’aile gauche de la majorité, il tient particulièrement au dispositif. Les risques ne sont pas minces pour l’exécutif : perdre des voix de son propre camp dans l’opération.
Ballon d’essai sur les métiers en tension
Après un coup de chaud, le député de la Vienne a « été vite rassuré », raconte-t-il à publicsenat.fr. « J’ai écrit la semaine dernière aux différentes têtes de l’exécutif et j’ai eu des garanties solides, à Matignon et à l’Elysée – par voix rapportée pour le président de la République, de façon très directe pour la première ministre – sur la défense de la partie métiers en tension », assure Sacha Houlié.
C’était donc un ballon d’essai, « pour voir si ça changeait si on retirait cela du texte. Mais je suis convaincu que ça ne change rien, car ça ne suffit pas pour avoir les voix LR. Car ils veulent aussi supprimer l’AME (Aide médicale d’Etat), réforme le Code de la nationalité et sortir des Traités européens. Des choses inacceptables », prévient le président de la commission des lois de l’Assemblée, qui ajoute :
Même information du côté du président du groupe RDPI (Renaissance) du Sénat, François Patriat. « Je ne vois pas aujourd’hui la volonté du ministre de l’Intérieur – j’en ai parlé avec Gérald Darmanin la semaine dernière lors d’un déplacement – de retirer cet élément. Si on veut que ce texte soit équilibré et efficace, il faut maintenir ces mesures sur les métiers en tension », affirme le sénateur de la Côte-d’Or, qui relève que « c’est ce que demande le patronat aujourd’hui. Ils le demandent tous ».
Les cadres de la majorité pourront faire le point en fin de journée, entre la poire et le fromage. « Ce soir, il y a un dîner de rentrée de la majorité, avec des ministres aussi. On va en parler », confie François Patriat. Et celui de l’Intérieur devrait avoir son rond de serviette.
« Le gouvernement est mal à l’aise car il est dans le en même temps. Sa propre majorité est divisée », soutient Bruno Retailleau
De son côté, Bruno Retailleau a eu ces derniers jours des informations contradictoires. « Certains disent que le dispositif pourrait évoluer, qu’ils seraient prêts à renoncer aux métiers en tensions » ou qu’« Emmanuel Macron voudrait précipiter les choses, avec un texte qui revient rapidement ». Le président du groupe LR a bien « eu Gérald Darmanin il y a 8 jours », mais ce dernier « indiquait qu’il reprendrait contact avec nous après les sénatoriales » du 24 septembre. Ce qui laisse peu de temps pour négocier, alors que le texte est censé être examiné à l’automne.
Le sénateur LR de Vendée pense surtout que « le gouvernement est mal à l’aise car il est dans le en même temps. Sa propre majorité est divisée ». Répondant aux critiques de la droite, Sacha Houlié soutient de son côté que ce texte « n’est pas du en même temps, c’est un texte qui est radical, car on va radicalement changer les choses ». Quant au risque d’appel d’air, « il n’existe absolument pas. C’est une fiction », soutient le président de la commission des lois.
« Si un texte au Sénat comportait ces dispositions sur les métiers en tensions, nous serions amenés à voter contre »
De nouvelles consultations à Matignon et avec la Place Beauvau sont attendues. « Un dernier round de négociations », comme dit Sacha Houlié, « et ensuite, on part au texte ». Mais lequel ? Selon toute vraisemblance, ce serait le projet de loi d’origine qui reprendra sa route, ou plutôt son parcours parlementaire, déjà entamé. « Nous avons un texte, qui a besoin d’être retravaillé. Le texte est à la commission. Il a terminé son premier examen le 15 mars dernier », rappelait hier Gérard Larcher. Concrètement, il suffirait d’inscrire à l’ordre du jour du Sénat l’examen du projet de loi en séance publique.
Pour compliquer les choses, la majorité sénatoriale LR-Union centriste se divise sur le sujet. Les centristes, du moins une partie d’entre eux, sont favorables à la partie métiers en tensions. Ce point épineux avait été « renvoyé à la séance », nous rappelle Bruno Retailleau, qui prévient : « Si un texte au Sénat comportait ces dispositions sur les métiers en tensions, nous serions amenés à voter contre, ou à le retirer. Et si on vote contre, il n’y aura pas de texte. Et je ne vois pas la gauche voter pour. En commission, nous avions quand même supprimé l’AME ».
« S’en remettre aux LR serait une erreur. Ça peut passer sans les LR » selon Sacha Houlié
« On va laisser cheminer le texte au Sénat. Et on le reprendra à l’Assemblée », soutient Sacha Houlié. Avec cette question à 1.000 euros : aller au vote ou recourir au 49.3 ? Emmanuel Macron ne l’a pas exclu, sachant qu’un seul joker est permis par session, hors textes budgétaires. « C’est tout l’enjeu. Il faut construire des majorités. On parle des LR, mais il faudra voir comment se prononcent le PS, les écolos. Je sais que le groupe Liot est en grande partie favorable au texte. S’en remettre aux LR serait une erreur. Ça peut passer sans les LR », croit le président de la commission des lois de l’Assemblée. Appelant malgré tout les LR à « analyser le texte avec sang-froid et sans calcul politicien », il sait bien que ce sera « plus difficile à l’approche des européennes ».
François Patriat pense de son côté « qu’il faut assumer un 49.3 sur le texte, s’il y a besoin ». Sacha Houlié n’écarte pas non plus le recours à l’arme nucléaire législative. « Je ne crains pas du tout le 49.3, car toutes les mesures du texte sont populaires. Je n’ai aucun état d’âme sur ce texte. Si on peut faire passer des mesures utiles, qu’on aille au bout de nos idées, avec un passage au vote ou un 49.3 », lance Sacha Houlié, prêt à « mettre LR devant leurs responsabilités, s’il y a vote ». Même message de la part de Bruno Retailleau : « On prendra les Français à témoin. C’est un texte d’encouragement de l’immigration ». On le voit, la bataille législative sur le projet de loi immigration se mêlera d’une bataille de communication.
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