Propagande électorale : les dirigeants d’Adrexo regrettent un « déchaînement médiatique et politique »

Propagande électorale : les dirigeants d’Adrexo regrettent un « déchaînement médiatique et politique »

La commission d’enquête sénatoriale sur les dysfonctionnements lors des élections régionales de juin 2021 auditionnait aujourd’hui les dirigeants de la société Adrexo. A cette occasion, Éric Paumier et Alain Brousse ont assumé « leur part de responsabilité » concernant les dysfonctionnements du 1er tour, tout en justifiant la politique de distribution mise en place par Adrexo. Ils regrettent ainsi un « déchaînement médiatique et politique », d’autant plus injustifié de leur point de vue qu’au 2nd tour les dysfonctionnements seraient venus en amont de la distribution.
Louis Mollier-Sabet

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« Fiasco », « catastrophe industrielle » … Les superlatifs n’ont pas manqué aux sénateurs et aux sénatrices pour qualifier ce que la commission d’enquête sénatoriale créée pour cette occasion, appelle plus prosaïquement des « dysfonctionnements » dans la distribution de la propagande électorale lors des élections locales de juin 2021. Face à la critique et aux demandes d’explications les dirigeants d’Adrexo ont tenté de justifier l’action de l’entreprise lors de la distribution de la propagande électorale aux dernières élections régionales et départementales, tout en donnant aux sénateurs des pistes pour expliquer les 9 % de plis non distribués lors du 1er tour. Éric Paumier – coprésident du Hopps Group auquel appartient Adrexo – et Alain Brousse – directeur général d’Adrexo – ont en revanche pointé du doigt « l’amont de la chaîne » en ce qui concerne la « chute brutale » de la distribution au 2nd tour (67 % des plis distribués par Adrexo).

« Un intérimaire, c’est un salarié comme un autre »

La première interrogation des sénateurs et sénatrices de la commission d’enquête concerne la formation des personnels distributeurs d’Adrexo. Plus précisément, elle concerne celle des intérimaires appelés en renfort pour l’occasion et qui ne sont donc pas des spécialistes de la distribution de « courriers adressés », c’est-à-dire de la distribution à grande échelle de courriers à des personnes domiciliées à des adresses précises.

Interrogé par Cécile Cukierman notamment, Alain Brousse a défendu le choix de l’intérim par la société Adrexo : « Le rythme des élections ne correspond au rythme de fonctionnement normal d’une entreprise, nous avons donc prévu des renforts. Des renforts que l’on aurait pu intégrer en CDD, nous avons fait le choix de faire appel à des sociétés d’intérim, avec quand même une joie de proposer, en sortie de crise, du travail avec des conditions non diplômantes. » Il précise : « Sur le 1er tour nous étions à 60 % d’intérim et cela avait vocation à monter sur le 2nd tour. »

Face à l’insistance des sénateurs, notamment sur le jet de professions de foi dans la nature par certains distributeurs, le directeur général d’Adrexo n’en démord pas : « Le personnel intérimaire est un salarié comme un autre. Quelqu’un qui a été sélectionné sur la base d’un cahier des charges avec un partenaire. Il y a une 1ère information délivrée par les sociétés d’intérim sur la base d’un film mis à disposition des intérimaires pour prendre connaissance des contenus de la mission, puis il y a 1h de formation prévue avec une remise de tout l’équipement. […] Le personnel arrivant chez nous est formé au métier de la distribution avec des recommandations précises avec la nécessité absolue de ne pas jeter les documents en cas de non-distribution. Tout personnel a signé un document précisant que cela est répréhensible. »

Après la formation de ces intérimaires, c’est le dispositif mis en place par Adrexo qui inquiétait les sénateurs. En cause l’algorithme destiné à « accompagner la distribution », qui prévoit le temps imparti pour distribuer les courriers dans une zone et qui aurait pu conduire les distributeurs – et en particulier les plus précaires – à jeter des plis pour respecter les délais. Alain Brousse réfute catégoriquement cette possibilité : « Ce fameux algorithme n’est absolument pas capé, je le répète : tous nos distributeurs sont payés pour le temps de travail effectué, peu importe le temps qu’ils y passent. On peut considérer qu’un intérimaire peut être moins performant, pour autant on lui octroie la capacité de distribuer la totalité des plis. »

Dysfonctionnements au 1er tour : « De notre point de vue opérationnel, c’est un chiffre limité »

En ce qui concerne le 1er tour, les dirigeants d’Adrexo maintiennent leur chiffre de 9 % de plis non distribués dont 3 % de « dysfonctionnements », c’est-à-dire de plis non distribués de leur fait et pas à cause de changements d’adresse par exemple. Pour Éric Paumier, ce chiffre est, d’un point de vue opérationnel, « un chiffre limité. »

Des dysfonctionnements limités au 1er tour donc, mais des dysfonctionnements quand même. Alain Brousse les explique par un manque d’anticipation d’Adrexo qui n’a pas su se tenir à sa politique de départ d’une « logistique programmatique », c’est-à-dire qui arrive à anticiper la production et la mise en forme des plis par les imprimeurs et les routeurs pour programmer la distribution de la propagande électorale. « Le but était d’anticiper la production de plis chez nos routeurs et nos régies. Nous avons constaté que ce n’était pas possible à cause de problématiques de visibilité et de cadence de production chez nos partenaires en amont, peut-être liées à des problématiques d’impression », explique ainsi le directeur général d’Adrexo.

Les dirigeants d’Adrexo justifient donc les dysfonctionnements du 1er tour par leur incapacité à anticiper les « problématiques » de « l’amont de la chaîne » que sont les imprimeurs et les routeurs, ce qui les a ensuite confrontés à des problèmes logistiques. Et si pour le 1er tour, Adrexo « reconnaît sa part de responsabilité », celle-ci paraît bien lointaine expliquée ainsi. D’autant plus qu’Éric Paumier ajoute que pour le 2nd tour, la société ne la « reconnaît pas », puisque seulement 60 % des plis ont été livrés à Adrexo à temps, et que la société a finalement réussi à en livrer 67 % (voir notre article précédent).

Il s’empresse tout de même d’ajouter : « On est parfaitement conscients que quand on vous présente des chiffres comme ça, ce sont des circonscriptions entières qui n’ont rien eu et qu’au bout de la chaîne des Français n’ont pas eu leur propagande électorale. Pour les gens qui n’ont rien eu ce n’est pas 3 %, c’est 100 % de dysfonctionnements. »

« On ne va pas vouloir absolument conserver ce contrat »

 

Cela explique d’après lui la disproportion entre des dysfonctionnements « limité » et les réactions politiques et médiatiques autour de la distribution de la propagande électorale : « Il y a une chose que l’on n’avait pas imaginée dans ces appels d’offres. Honnêtement nous n’avions pas imaginé se trouver devant vous aujourd’hui à ce titre-là. Surtout nous n’avions pas imaginé confronter notre entreprise et ses salariés à un tel déchaînement médiatique et politique : des insultes dans la rue ou de la diffamation dans les journaux, encore aujourd’hui dans Le Monde [https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/07/05/propagande-electorale-adrexo-chronique-d-un-fiasco-annonce_6087005_3234.html]. Il y a un sujet autour de ça que l’on n’avait pas suffisamment mesuré. »

Pour Éric Paumier la situation est « insupportable » et pourrait même remettre en cause le contrat entre Adrexo et le ministère de l’Intérieur : « Nous sommes titulaires du contrat encore pour 3 ans. Jusqu’à preuve du contraire il n’y aura pas de nouvel appel d’offres. Il y a des velléités de nous retirer le contrat, ça ne nous paraît pas aussi évident que ça du point de vue juridique. Mais sur le plan des institutions et de ce que l’on vit aujourd’hui avec vous, on ne va pas vouloir absolument conserver ce contrat. »

Face à la surprise des sénateurs, le coprésident du groupe Hopps s’explique et en revient à ce qu’il a appelé un peu plus tôt dans l’audition « un déchaînement politique et médiatique » : « Nous serions tout à fait prêts à continuer, mais une chose nous paraît juste insupportable, c’est que nos salariés soient insultés ou poursuivis par des journalistes. Nous avons des burn-out de gens avec plus de 20 ans d’entreprise, il y en a qui pleurent et c’est intenable. »

Finalement, plutôt qu’une impréparation pour un marché de cette taille comme le suggérait Gérald Darmanin au Sénat il y a peu, c’est une impréparation face à la pression politique et médiatique que déplorent aujourd’hui les dirigeants d’Adrexo : « Nous n’étions pas prêts à la pression politique. Nous aimerions bien conserver ce contrat, mais la pression est telle aujourd’hui sur nos collaborateurs et nous-mêmes que l’on verra bien. »

Pour le moment en tout cas, Adrexo n’est pas informé de sanctions éventuelles du côté du ministère de l’Intérieur. « On verra bien », donc.

 

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