Propos de Macron sur Taïwan : « Cela fait le jeu en grande partie de la Chine »
Alors que la Chine a mené trois jours d’exercices militaires autour de Taïwan, une interview donnée par Emmanuel Macron au journal Les Echos trouve une résonance particulière. La chercheuse Françoise Nicolas, directrice du centre Asie de l’Ifri, revient sur les conséquences potentielles d’une escalade entre la Chine et Taïwan. Entretien.

Propos de Macron sur Taïwan : « Cela fait le jeu en grande partie de la Chine »

Alors que la Chine a mené trois jours d’exercices militaires autour de Taïwan, une interview donnée par Emmanuel Macron au journal Les Echos trouve une résonance particulière. La chercheuse Françoise Nicolas, directrice du centre Asie de l’Ifri, revient sur les conséquences potentielles d’une escalade entre la Chine et Taïwan. Entretien.
Caroline Deschamps

Par Steve Jourdin

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

Dans une interview accordée au journal Les Echos, et à l’issue d’une visite d’Etat de plusieurs jours en Chine, Emmanuel Macron a appelé l’Union européenne à ne « pas être suiviste » des Etats-Unis ou de la Chine, notamment dans le dossier de Taïwan. Ces propos ont provoqué un tollé aux Etats-Unis et dans d’autres capitales occidentales. A-t-il fait une « gaffe » ?

Il ne dit rien d’autre que ce qu’il a toujours dit. Il a rappelé la revendication d’une autonomie stratégique française. Je pense que cette interview a été surinterprétée par certains. Le problème de cet entretien ne porte pas sur le fond mais sur la forme : le timing est mal choisi, et le propos est maladroit.

Il ne faut donc pas y voir de nouvelle position de la France dans le dossier de Taïwan…

Dire que l’Europe ne doit pas être alignée sur les Etats-Unis n’est pas quelque chose de nouveau. Le problème est de le dire dans un tel contexte. Affirmer que nous ne voulons pas être embarqués dans des conflits qui ne sont pas les nôtres (« Le piège pour l’Europe serait qu’au moment où elle parvient à une clarification de sa position stratégique, elle soit prise dans un dérèglement du monde et des crises qui ne seraient pas les nôtres. ») est une maladresse. Car ce qui se passe dans le détroit de Taïwan nous concerne de manière très directe : l’essentiel de notre commerce passe par là. Une crise dans cette région nous toucherait de plein fouet.

Est-ce que ces propos font le jeu de la Chine ?

En grande partie oui, car Pékin adore semer la zizanie au sein de l’Union européenne. Cela prouve qu’il n’existe pas d’unité de l’Europe face à la Chine. De tels propos enfoncent par ailleurs un coin entre Bruxelles et Washington, ce dont se réjouit le régime chinois.

 

Quel bilan tirez-vous du voyage d’Emmanuel Macron en Chine ?

Le bilan est plutôt maigre. L’une des priorités affichées par la présidence était de remettre le dossier ukrainien sur la table et de convaincre Pékin de ne pas livrer d’armes à Vladimir Poutine. On nous dit qu’il y a eu un long entretien en tête-à-tête avec Xi Jinping, qui a promis qu’il appellerait Volodymyr Zelenski lorsque « les conditions seront réunies », ce qui n’engage pas à grand-chose. Il y a certes eu des contrats et des partenariats économiques signés. C’est une bonne chose, mais dans l’ensemble on ne peut pas dire que cette visite d’Etat ait été une franche réussite.

La Chine a réalisé trois jours d’exercices militaires dans le détroit de Formose, simulant des attaques et un blocus de Taïwan qu’elle considère comme faisant partie de son territoire. Est-ce qu’il faut s’inquiéter ?

Ce genre d’exercice n’est pas inédit, mais les manœuvres militaires de ce week-end ont été massives. Une cinquantaine d’appareils ont franchi la « ligne médiane » du détroit, entre le continent et l’île. Ces exercices servent certes à envoyer un message politique et diplomatique, puisqu’il s’agit d’une réponse à la rencontre organisée la semaine dernière entre la présidente de Taïwan Tsai Ing-wen et le président de la Chambre des représentants des Etats-Unis, Kevin McCarthy. Mais c’est aussi, plus trivialement, un « entraînement » avant une éventuelle invasion de Taïwan.

Quelles seraient les conséquences pour nous, Européens, d’une confrontation directe entre la Chine et Taïwan ?

Une guerre est-elle envisageable à court terme ? Je ne le pense pas, même si l’on ne peut rien exclure. Xi Jinping n’est pas un joueur d’échecs, contrairement à Vladimir Poutine. Il n’est pas du genre à se lancer dans une entreprise hasardeuse. Or, malgré le déséquilibre du rapport de force, il n’est pas certain de l’emporter face à Taïwan. Une invasion de l’île est très difficile à réaliser d’un point de vue technique. Quoi qu’il en soit, un conflit entraînerait une déstabilisation totale de la région, et provoquerait une catastrophe économique dans le reste du monde.

Partager cet article

Dans la même thématique

Documentaire Paris le mystère du palais disparu de Stéphane Jacques
5min

Politique

Paris, le mystère d’un palais disparu

Les promeneurs, touristes ou Parisiens qui déambulent sur le parvis de Notre-Dame, s’imaginent-ils qu’à quelques pas de là se dressait au Moyen Âge, l’une des plus somptueuses résidences d’Europe ? Et surtout, comment, six siècles plus tard, le tout premier palais de nos rois, bâti sur l’île de la Cité, au beau milieu de la capitale, a-t-il pu devenir ce fantôme de l’Histoire ? Dans son documentaire Le mystère du palais disparu, Stéphane Jacques retrace l’enquête menée par un trio de scientifiques spécialistes de la reconstitution numérique.

Le

Mericourt: Emmanuel Macron meets with  readers of the Ebra group,
11min

Politique

Face aux fake news, comment l’Elysée a opéré un « virage » dans sa communication

Suite aux « fausses informations » relayées sur le sujet de la « labellisation » des médias, l’Elysée a décidé de vite les démentir, via une vidéo sur X. Une nouvelle stratégie de communication, à l’œuvre depuis quelques mois, déjà observée lors d’une prétendue prise de cocaïne par Emmanuel Macron. Lui-même « victime » des affres des réseaux avec l’infox Jean-Michel Trogneux, il est d’autant plus sensibilisé à cet enjeu démocratique.

Le