Interrogé sur les deux assassinats survenus à Marseille sur fond de guerre des gangs, le ministre de la Justice a annoncé une enquête administrative sur les conditions de détention, puisque le commanditaire agissait depuis sa cellule. Didier Migaud a également donné rendez-vous à la fin de l’année pour les débats sur la proposition de loi sénatoriale de lutte contre le narcotrafic.
Propos sur les femmes voilées : Jean-Louis Masson peut-il être sanctionné ?
Par Public Sénat
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« Vous lui faites bien trop d’honneur à parler de lui comme ça ». Deux jours après l’examen de la proposition de loi LR sur la neutralité religieuse des accompagnants scolaires, au grand regret de l’ensemble des sénateurs, ce ne sont pas les 4H30 de débat que les Français ont retenu, mais les interventions sulfureuses du sénateur, Jean-Louis Masson.
« Ça m’a fait mal au ventre d’entendre ça »
Depuis mardi, les vidéos de ses prises de parole, où il compare les accompagnatrices scolaires voilées « à des sorcières d’Halloween », dépassent allègrement le million de vues sur les réseaux sociaux. Une publicité dont le Sénat se serait bien passé. « Il nous a fait beaucoup de tort. Ses propos étaient très choquants il a vraiment fait un discours de bistrot. Ça m’a fait mal au ventre d’entendre ça » confie le sénateur LR, Michel Raison, membre du bureau du Sénat.
De quoi kidnapper l’enjeu du texte adopté mardi soir ? « Mais pas du tout. On a travaillé pendant des heures. On a adopté un texte extrêmement important. Et tout le monde ne parle plus que de ce type ou des femmes voilées qu’avaient fait venir Samia Ghali (voir notre article NDLR). Ces gens font du cinéma. Ils s’auto-alimentent. Mais Le Sénat, c’est autre chose que ça » veut croire Jacqueline Eustache-Brinio, l’auteure de la proposition de loi, elle aussi passablement agacée par la nouvelle renommée de Jean-Louis Masson. Il n’empêche, mercredi après-midi, en marge des questions d’actualité, c’est bien lui qui enchaînait les interviews face caméra en salle des conférences.
Une scène relativement inhabituelle pour ce proche de Nicolas Dupont-Aignan, ancien député RPR, élu au Sénat la première fois à la tête de la liste « Moselle Avenir » en 2001, et réélu depuis en 2011 et 2017.
David Assouline saisit le bureau du Sénat
Face au tollé de ces vidéos devenues virales, le vice-président PS du Sénat, David Assouline a décidé de saisir le bureau de la Haute assemblée qui se réunira jeudi prochain. « Une parole du Sénat » pour les condamner « est absolument nécessaire et pédagogique » juge-t-il.
« Ne pas réagir, quelque part c’est cautionner. Nous avons besoin d’une expression claire pour condamner ces propos. Il n’est pas trop tard pour le faire. Il y a une forme d’escalade xénophobe qui s’installe dans ce pays y compris dans l’enceinte du Sénat. C’est dangereux. La radicalisation n’est pas uniquement là où on dit qu’elle est » approuve Éric Bocquet sénateur communiste et membre du bureau du Sénat.
« Le président Larcher trouvera la bonne mesure »
Questeur du Sénat et donc membre lui aussi du bureau, le sénateur centriste Vincent Capo-Canellas considère également que « cette situation est préjudiciable à l’image du Sénat ». « Il faut bien sûr tenir compte de la liberté de parole d’un parlementaire dans l’hémicycle. Mais il y a un certain nombre de valeurs qui sont celles du Sénat, de l’écoute et du respect de chacun. Le président Larcher trouvera la bonne mesure » assure-t-il.
« Jamais de sanction prononcée à l'égard de propos tenus en séance publique par un sénateur »
Il ne serait question, pour autant, de prononcer une sanction à l’encontre de Jean-Louis Masson. En effet, contacté par publicsenat.fr, le Sénat confirme que jusqu’à présent, « le bureau du Sénat n'a jamais prononcé de sanction à l'égard de propos tenus en séance publique par un sénateur ». Dans sa décision du 5 juillet 2018, le Conseil constitutionnel a rappelé, que « le règlement du Sénat ne saurait avoir pour objet ou pour effet de porter atteinte à la liberté d'opinion et de vote des sénateurs ».
En effet comme l’explique, Benjamin Morel, maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas, l’article 26 de la Constitution fixe une irresponsabilité pénale pour les propos tenus par un parlementaire dans l’exercice de son mandat. « Ce principe date de la Révolution française pour que les élus n’aient pas peur de parler dans un hémicycle. Il assure la séparation des pouvoirs et la liberté du débat public ».
« Il ne s’agit pas de sanctionner le contenu des propos, mais de mettre fin à un trouble de la séance »
En ce qui concerne les sanctions disciplinaires, elles sont basées sur l’article 33 du règlement du Sénat selon lequel, « toute attaque personnelle, toute manifestation ou interruption troublant l'ordre sont interdites ». Elles sont au nombre de quatre (article 92 du règlement du Sénat) : le rappel à l'ordre, le rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal, la censure, la censure avec exclusion temporaire. « Il ne s’agit pas de sanctionner le contenu des propos, mais de mettre fin à un trouble de la séance, c’est ce qui arrive par exemple dans le cas d’invectives ou d’attaques personnelles entre élus » précise Benjamin Morel. Ces sanctions relèvent du président de séance, au moment du trouble constaté, et non du bureau du Sénat.
Le précédent de 2015
Si le grand public a découvert, cette semaine, les outrances de Jean-Louis Masson, il n’en est pourtant pas à son premier « coup d’éclat ». Entre autres exemples, octobre 2015, lors du vote solennel du projet de loi sur le droit des étrangers en France. Le sénateur de Moselle avait profité des explications de votes pour se livrer à une diatribe anti-immigrés dans un hémicycle quasi-plein (comme nous le rapportions ici). « L’immigration d’aujourd’hui, ce sont les terroristes de demain ! » avait-il conclu sous une bronca des sénateurs, et les applaudissements des deux représentants du FN, Stéphane Ravier et David Rachline.
Toutefois, à cette époque, cette intervention avait donné lieu à plusieurs rappels au règlement. L’ancien président du groupe PS, Didier Guillaume avait demandé au président du Sénat, Gérard Larcher, de vérifier si les propos de son collègue étaient « dans le champ de la République ». Puis l’ancien président du groupe écologiste, Jean-Vincent Placé, l’ancien secrétaire national du Parti communiste, Pierre Laurent et l’actuel président de la commission des lois, Philippe Bas avaient, eux aussi, fait un rappel au règlement.(voir la vidéo ci-dessous)
Mardi, Jean-Louis Masson a pu comparer à trois reprises les femmes voilées à des « sorcières d’Halloween » sans susciter de rappel au règlement, même si plusieurs protestations se sont fait entendre dans les rangs. « Tout le monde voyait venir cette séance avec une certaine inquiétude. Mais le président de séance n’est pas un censeur. Vous imaginez si la séance avait été suspendue ? Il n’attendait que ça » confie un sénateur.