Gérald Darmanin avait promis, dans un courrier adressé aux magistrats en mai dernier, de mener une « réforme radicale » de l’échelle des peines. Après les célébrations et les violences faisant suite à la victoire du PSG en Ligue des champions, le garde des Sceaux envisage de supprimer les peines d’emprisonnement avec sursis. « Comme je l’ai proposé publiquement, il faut faire évoluer radicalement la loi : supprimer les aménagements de peine obligatoires (entre 1 et 6 mois), supprimer le sursis et mettre en place par la loi une condamnation minimum systématique une fois la culpabilité reconnue », a écrit Gérald Darmanin sur X. Dans l’après-midi, François Bayrou a également souhaité des « peines minimales » afin de répondre à « l’exaspération » des Français. Le garde des Sceaux avait déjà plaidé pour des peines de « trois mois de prison ferme (réellement exécutés) minimum pour toute agression envers un représentant de l’État ».
Pour rappel, un peu plus de 500 personnes ont été interpellées, 300 ont été placées en garde à vue et une soixantaine sont déférées ce mardi. Trois personnes ont déjà été condamnées à des peines d’emprisonnement avec sursis. Des sanctions jugées insuffisantes par le gouvernement qui plaide donc pour une quasi-systématisation des peines d’emprisonnement ferme.
Ces « peines ne sont pas forcément plus favorables que d’autres, c’est une épée de Damoclès »
« Le sursis n’est pas une fausse condamnation et s’inscrit dans une logique qui est un principe constitutionnellement garanti qui est celui de la personnalisation de la peine. On prend en considération les circonstances de l’espèce et la personnalité de l’auteur. Le sursis est donc un moyen d’adapter la peine en fonction de ces deux critères », rappelle Olivier Cahn, professeur de droit à l’Université Paris-Nanterre et chercheur au Centre de droit pénal et de criminologie.
Concrètement, les peines d’emprisonnement avec sursis sont des condamnations même s’ils dispensent la personne condamnée d’exécuter la peine de prison. Le sursis peut être simple ou partiel (c’est-à-dire qu’il ne s’applique qu’à une partie de la peine) et peut être assorti de mesures probatoires qui conditionnent le sursis au respect de certaines obligations. De manière générale, le sursis simple peut être appliqué pour des peines inférieures à 5 ans d’emprisonnement et concerne essentiellement les primo-délinquants. « Sur des premières peines, sur des infractions qui ne sont pas des infractions à la personne, on a presque toujours des peines de sursis », explique Anne-Sophie Laguens, avocate et ancienne secrétaire de la conférence des avocats du barreau de Paris, qui ajoute que ces « peines ne sont pas forcément plus favorables que d’autres, c’est une épée de Damoclès ».
« Il ne faut pas croire que le sursis est une peine de clémence », abonde Vincent Brengarth, avocat au barreau de Paris. Par ailleurs, le recours au sursis pour des peines d’emprisonnement courtes vise à limiter les conséquences, notamment sociales, de l’incarcération pour la personne condamnée.
Un risque de renforcement de la surpopulation carcérale
En 2023, 25,6 % des peines prononcées pour des délits sont des peines d’emprisonnement avec sursis total (10 % sursis probatoires et 15,6 % sursis simples). En 2023, ce sont donc 131 259 peines d’emprisonnement avec sursis qui ont été prononcées. Un volume important qui risquerait d’accentuer le phénomène de surpopulation carcérale. Actuellement, 83 000 personnes sont détenues alors que les prisons comptent seulement 62 570 places. « Quand on veut supprimer le sursis et in fine avoir des incarcérations automatiques, cela revient à réintroduire des peines planchers, c’est un durcissement du régime des peines. On s’imagine que les peines courtes et l’emprisonnement automatique vont aider à une prise de conscience, mais ça ne fonctionne pas comme ça », alerte Manon Lefebvre, magistrate et secrétaire du Syndicat de la magistrature.
« En criminologie, on sait que l’effet de choc de l’incarcération n’a aucun effet positif. Vous avez dans la peine courte tous les effets de stigmatisation et de criminalisation d’une peine longue », alerte Olivier Cahn. Le recours à des aménagements de peines (comme la détention à domicile sous surveillance électronique) ou à des sursis vise souvent à « faciliter la réinsertion » rappelle Manon Lefebvre qui pointe les conséquences sociales et professionnelles d’une incarcération. « En cas de sursis, la personne condamnée peut continuer à travailler et indemniser les parties civiles s’il y a des dommages et intérêts », rappelle également Anne-Sophie Laguens.
Un risque d’inconstitutionnalité ?
En cherchant à réduire l’échelle des peines, les propositions du garde des Sceaux pourraient contraindre les juges et notamment leur capacité à personnaliser la peine. En France, le principe d’individualisation des peines est reconnu par la jurisprudence du Conseil constitutionnel depuis 2005 et impose donc au juge de prendre en compte les circonstances de l’affaire ainsi que la personnalité de l’auteur. « C’est susceptible de porter atteinte au principe d’individualisation des peines dans la mesure où ça prive le juge d’un outil », note Vincent Brengarth. L’avocat estime néanmoins que toutes les mesures proposées par Gérald Darmanin ne remettent « pas forcément en cause de manière absolue la personnalisation des peines » et rappelle que les peines planchers ont déjà existé.
« Je ne suis pas du tout certain que cela soit validé par le Conseil constitutionnel », estime pour sa part Olivier Cahn. Si ce point reste à déterminer, l’adoption des propositions de Gérald Darmanin serait « énorme désaveu pour les magistrats puisque cela revient à considérer qu’ils ne sont pas capables de moduler eux-mêmes la peine », note Anne-Sophie Laguens.