« La première mesure que je prends en tant que ministre, et qui est d’application immédiate, c’est de mettre à jour le texte de 1983 sur la protection des agents ». Lundi matin au micro de Public Sénat, Amélie de Montchalin a esquissé une mise à jour de la loi qui garantit la protection des fonctionnaires face aux insultes et aux menaces, afin qu’elle prenne en compte « les menaces en ligne ». La ministre de la Transformation et de la Fonction publiques entend participer à la bataille contre l’islamisme lancée par le gouvernement, et que l’assassinat du professeur Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine a placé au premier plan.
Que représentent concrètement ces menaces ? Sur les années 2016 et 2017, près de 6 000 dépositaires de l’autorité publique (policiers, gendarmes, militaires...) et 6000 fonctionnaires non-dépositaires de l’autorité publique (fonctionnaires au guichet, enseignants) auraient ainsi porté plainte car ils se sentaient menacés. « Ces chiffres ont été récoltés dans un contexte où la menace en ligne n’était pas considérée dans nos textes comme des choses à suivre en particulier », pondère la ministre.
L’objectif du texte est de prendre en compte ces menaces, et de « rappeler à la hiérarchie son obligation très forte d’accompagner les agents, de porter plainte avec eux, et de signaler au procureur les plaintes, précise ainsi Amélie de Montchalin. Ils doivent aussi les faire remonter à Pharos [plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements], le service de signalement des messages en ligne pour inclure, et ça, c’est nouveau, les menaces en ligne ».
La loi 1983, qui a pour but de protéger les fonctionnaires exposés « à des relations conflictuelles avec les usagers du service public » sanctionne déjà les menaces orales et écrites. « Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le Code pénal et les lois spéciales » indique l’article 11. L'administration a donc l’obligation légale de protéger ses agents victimes d’attaques (violences, harcèlement, menaces, injures…) et de réparer le préjudice s’il y a lieu.
Mais Pierre Ouzoulias, sénateur membre du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste, reconnaît des défaillances. « Quand Samuel Paty a été accusé des pires horreurs, sa hiérarchie aurait dû porter plainte. Elle ne l’a pas fait, alors qu’elle avait pour devoir de défendre l’institution. Maintenant, il faut des actes. »
« Il faut également organiser des formations pour développer des réflexes, car même si ce n’est pas forcément à mauvais escient, la hiérarchie ne sait pas toujours comment réagir face à des menaces à l’encontre des fonctionnaires », abonde Julien Bargeton, sénateur LREM de Paris, qui ne veut exclure « aucune piste de solution ». Le décret prévu par Amélie de Montchalin a en outre une portée symbolique : il doit démontrer que les menaces en ligne sont prises en compte et mérite le même suivi qu’une altercation de visu.
« ‘Pas de vague’, c’est terminé »
Un symbole auquel les sénateurs de l’opposition ne sont pas forcément sensibles. Contactée, la sénatrice Les Républicains (LR) Jacqueline Eustache-Brinio s’emporte : « il n’y a pas de mots, c’est juste démago. Je ne pense pas que ce soient les fonctionnaires qui soient les plus menacés ». La sénatrice a elle-même été victime de menaces, en ligne ainsi qu’à son domicile, pour des prises de position contre l’islamisme et des décisions prises en tant que conseillère municipale. « Les plus menacés, ce sont les élus, les lanceurs d’alerte et ceux qui se battent pour la laïcité » tance-t-elle. Selon la sénatrice, les fonctionnaires ont derrière eux une hiérarchie, présente pour les protéger – « et ce soutien est obligatoire ».
Christophe-André Frassa, sénateur LR représentant les Français établis hors de France, ne dit pas autre chose. « Le gouvernement y va un peu de son concours Lépine en ce moment, raille-t-il. Tous les ministres y vont de son invention du jour ». Le sénateur avait pointé du doigt les fragilités de la loi Avia, porté par la députée du même nom et qui devait lutter contre la « haine en ligne ». Entrevoyant un risque pour la liberté d’expression, les sénateurs Les Républicains avaient saisi le Conseil constitutionnel. L’institution avait largement censuré la loi, la vidant de sa substance en juin 2020. « Le gouvernement a lamentablement échoué avec cette loi, il doit en tirer les leçons », appuie le sénateur communiste Pierre Ouzoulias.
À présent, Christophe-André Frassa craint que le décret d’Amélie de Montchalin ne crée la confusion avec le projet de loi sur le séparatisme, que le gouvernement examinera en conseil des ministres le 9 décembre. Un volet de ce texte sera, en effet, consacré à la régulation des contenus en ligne. « La loi Avia était une première tentative. À présent, il faudra concilier la nécessaire lutte de ce qui est contraire à la loi, et la liberté d’expression, pointe pour sa part Jean-Pierre Sueur, sénateur PS du Loiret. Un texte pour protéger les fonctionnaires ne peut pas être négatif. Mais c’est l’ensemble des citoyens qui est concerné par la haine en ligne ».
Avec un décret spécifique, le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques doit contrer le sentiment pressant chez des fonctionnaires, et en particulier dans le milieu éducatif, que les problèmes et les menaces ne doivent pas s’ébruiter. « Le ‘Pas de vague’ c’est terminé », a insisté la ministre.