"Non merci", "C'est toujours non": le procès en diffamation des médias et de femmes accusant Denis Baupin d'agression sexuelle et de harcèlement s'est mué mardi soir en charge contre l'ancien député écologiste, à mesure que venaient témoigner ex-collaboratrices et ex-cadres écologistes.
La scène se déroule lors du congrès du parti écologiste EELV à La Rochelle en novembre 2011: Sandrine Rousseau, secrétaire nationale du parti, participe à l'animation des débats.
"A l'occasion d'une pause, je suis sortie. Il m'attendait. Il m'a plaquée contre le mur, a cherché à m'embrasser, m'a mis les mains sur les seins. C'était extrêmement furtif, je me suis dégagée, je suis partie aux toilettes flageolante. Puis je suis revenue à la réunion", dit-elle d'une traite.
"J'en ai parlé à Jacques Archimbaud (alors membre du bureau politique d'EELV) qui me dit: +Il a recommencé+; à Jean-Vincent Placé (alors sénateur) qui dit: +On sait+", ajoute-t-elle.
L'avocat de Denis Baupin s'étonne qu'elle n'ait pas porté plainte, ait continué à répondre à ses SMS par des smileys.
"Oui et des SMS où je dis +c'est toujours non+. A votre avis, pourquoi je dis c'est TOUJOURS non?", répond-elle.
Elle explique qu'elle a fait le choix de "démarches en interne pour ne pas nuire au parti EELV" et pour se protéger: "J'ai mis du temps à comprendre ce qui s'était passé. Par contre, j'ai toujours considéré que c'était profondément anormal."
- "L"impression d'être un steak" -
Sandrine Rousseau a quitté la politique, monté une association qui vient en aide aux femmes victimes de violences sexuelles. Comme Laurence Mermet, qui fut la collaboratrice et subordonnée de Denis Baupin à la mairie de Paris, devenue enseignante en Bretagne.
C'est en entendant le témoignage de Mme Rousseau sur France Inter le 9 mai 2016 qu'elle décide de témoigner à son tour, ce qui fera l'objet d'une plainte de Denis Baupin.
La justice se saisit le 10 mai. Dix mois plus tard, le parquet de Paris classait sans suite car si certains des faits dénoncés étaient "susceptibles d'être qualifiés pénalement", ils étaient "cependant prescrits".
Tenant la barre à deux mains, Laurence Mermet raconte la pénombre d'une salle de réunion où seule la scène est éclairée, une présence qui se glisse derrière elle: "Je sens une caresse sur la nuque. Je me suis raidie. C'était fait par surprise. Je découvre que c'était M. Baupin. Une caresse très douce, que j'ai ressentie de façon très violente".
Elle, qui se sent "comme un imposteur", une pièce rapportée de la société civile dans un marigot politique aux codes inconnus, ne porte pas plainte alors pour ce "geste déplacé".
Annie Lahmer, militante écologiste depuis 25 ans, a raconté une course poursuite autour d'un bureau un soir de 1999, "presque grotesque, comme un film muet". "Je lui ai dit: +Ecoute Denis, t'as qu'à sauter par dessus le bureau, ce sera plus simple+, il n'était pas content mais il a laissé tombé". Le lendemain, il lui fait comprendre que "jamais", elle n'aura de poste important au parti.
Mêmes "violences" pour Geneviève Zdrojewski, fonctionnaire issue d'une famille bordelaise très catholique, écologiste de coeur mais pas militante. "Il s'est vraiment jeté sur moi. Je me suis mise à crier. Il m'a dit +Tais-toi, ta secrétaire va nous entendre+. Cela fait 20 ans, j'en tremble encore".
Elle raconte une seconde agression, dans les toilettes: "Ce que je retiens de ces deux moments, c'est la violence. Ma soeur m'a téléphoné, je lui ai dit +j'ai l'impression d'être un steak+".
D'autres femmes ont témoigné à visage découvert de harcèlement, notamment à travers des SMS envoyés pendant des mois: c'est le cas d'Elen Debost et d'Isabelle Attard, alors militantes écologistes et cadres du parti.
L'une et l'autre décrivent leurs tentatives d'opposer d'abord des "remerciements polis" à des compliments appuyés, puis "le silence" à des SMS plus explicites enfin des "refus", "pour que ça s'arrête".
Isabelle Attard, qui a la première parlé à Mediapart, finit par "dire merci à Denis Baupin": "Parce que ce procès qu'on n'a pas choisi nous permet à toutes de dire haut et fort et publiquement ce que nous avons vécu".