Si une semaine après le renversement du gouvernement Barnier, Emmanuel Macron est sur le point de nommer un nouveau Premier ministre, la situation politique française inquiète particulièrement les eurodéputés à Bruxelles que certains comparent à celle en Allemagne.
Que va changer la réforme du CESE, rejetée par le Sénat en deuxième lecture ?
Par Pierre Maurer
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Ce devait être une refonte d’ampleur permettant de bâtir un « forum de notre République » et une « chambre du futur », selon la promesse d’Emmanuel Macron faite aux gilets jaunes. Mais qu’en sera-t-il vraiment ? Après l’échec d’un accord entre députés et sénateurs en commission mixte paritaire, la réforme du CESE était examinée en seconde lecture au Sénat ce lundi. La majorité sénatoriale a rejeté le texte. Quels sont ses enjeux ? Explications.
Qu’est-ce que le CESE ?
Régi par les articles 69 à 71 de la Constitution, le CESE est une assemblée consultative placée auprès des pouvoirs publics. Il exerce trois principales missions : conseiller le gouvernement, favoriser le dialogue « entre les forces vives de la nation » et contribuer à l’information du Parlement.
Le Conseil est actuellement composé de 233 membres représentant la « société civile organisée » (syndicats, entreprises, associations, mutuelles, jeunes, etc.). Parmi eux, 193 sont désignés par les corps intermédiaires et 40 sont des personnalités qualifiées nommées par le Gouvernement.
Selon le rapport de Muriel Jourda du 7 octobre 2020, lors de son audition devant le rapporteur du Sénat, Patrick Bernasconi, président du CESE, a mis en exergue « l’expertise d’usage » du CESE et sa culture du consensus. Dans son esprit, le Conseil doit éclairer les pouvoirs publics mais également créer les conditions d’un dialogue apaisé entre les organisations représentées, comme les syndicats et les entreprises.
Le CESE ne constitue « toutefois pas la troisième chambre du Parlement et n’aspire pas à le devenir », relève la commission des lois du Sénat : seuls l’Assemblée nationale et le Sénat disposent de la légitimité conférée par l’élection au suffrage universel et peuvent exercer la souveraineté nationale au sens de l’article 3 de la Constitution.
Que contient la réforme ?
Le projet de loi organique définit trois grandes missions pour le CESE nouvelle formule : « Eclairer » les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux, accueillir et traiter les pétitions citoyennes, devenir « le carrefour des consultations publiques ».
Dans sa première version, le projet de loi entendait permettre au CESE d’organiser des consultations publiques sur des sujets variés de sa propre initiative ou à la demande du gouvernement. À ce titre, et à l’image de la Convention citoyenne pour le climat, des citoyens pourront être tirés au sort pour participer à ces consultations. Cette disposition a été supprimée en première lecture par le Sénat qui estimait que « la participation et les conventions citoyennes ne peuvent pas remplacer la délibération démocratique ». Elle a finalement été rétablie en seconde lecture par les députés.
Dans sa version initiale, le texte permet également de moderniser le droit de pétition auprès du Conseil, peu utilisé jusqu’ici. Les pétitions pourront désormais lui être adressées par internet. Elles seront examinées par le Conseil plus rapidement (dans les six mois contre un an aujourd’hui). Les députés ont facilité le droit de pétition devant le CESE, en ouvrant ce droit dès l’âge de 16 ans (contre 18 ans actuellement), en abaissant le nombre requis de signataires à 150 000.
En outre, le projet de loi renforce la place du CESE dans le débat public par la portée qui est donnée à ses avis. Lorsqu’il sera consulté sur un projet de loi relevant de sa compétence, le gouvernement ne procédera pas aux consultations prévues par les textes, sauf pour quelques exceptions. Cette disposition a elle aussi été supprimée par les sénateurs en première lecture avant d’être rétablie par les députés lors de la nouvelle lecture du texte. En sus, un volet « déontologie » a été ajouté au texte : instaurant l’adoption d’un code de déontologie et la nomination d’un déontologue, la vérification des frais de mandats de ses membres ainsi que l’obligation d’adresser une déclaration d’intérêts à la Haute autorité de la transparence de la vie publique (HATVP).
Enfin, le projet de loi modifie la composition du CESE. Le nombre de ses membres passe de 233 à 175 (suppression des 40 personnalités qualifiées désignées par le gouvernement). Les sénateurs avaient revu à la hausse le nombre de ses membres en les portant à 193, mais les députés les ont ramenés à 175 en seconde lecture. L’organisation et le fonctionnement de l’institution sont quant à eux modernisés. Les sections et délégations sont remplacées par des commissions permanentes ou temporaires, qui pourront émettre des avis.
Pourquoi le Sénat n’a pas adopté le texte ?
Tirage au sort, nombre des membres… la majorité sénatoriale (LR), soutenue par l’Union centriste, n’a pas été satisfaite de l’absence d’accord en commission mixte paritaire. Elle a donc déposé une motion préalable, afin de ne « plus débattre sur ce texte », a opposé la rapporteure Muriel Jourda (Les Républicains) au ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, qui défendait lui un texte « ambitieux ». Avec 265 voix pour et 50 voix contre, la motion a été adoptée et la réforme rejetée par le Sénat.
Pour Muriel Jourda, le tirage au sort était un point de non-retour. « La démocratie, telle qu’elle est prévue par la Constitution, c’est soit la consultation du peuple, soit la demande au peuple de se désigner des représentants : la démocratie représentative. Avec la réforme du CESE, on demande en réalité à des gens s’ils sont volontaires pour travailler sur un sujet, on redresse un tirage au sort parce qu’il faut qu’il y ait une parité et on met finalement dans une salle un nombre de gens si faible que pour reprendre les propos de Philippe Bas en commission, la commission des sondages invaliderait ce sondage. Donc en réalité ce ne sont des gens qui ne sont que représentatifs d’eux-mêmes et à l’inverse des élus, ils n’ont aucune responsabilité. Le pouvoir va avec la responsabilité, on ne peut pas dissocier les deux », explique-t-elle avant la séance. Par ailleurs, elle redoute que ce texte donne trop de pouvoirs au CESE. « On se rend compte avec la Convention citoyenne sur le climat qu’on leur a donné un pouvoir qui est plus que consultatif », remarque-t-elle. Et de s’interroger : « Comment peut-on penser que 150 personnes en France qui s’investissent sur un sujet sortent les institutions d’une crise ? La crise des institutions vient peut-être du fait qu’on ne veut pas les faire fonctionner comme elles doivent fonctionner. Ne proposons pas 150 personnes qui ne représentent qu’elles-mêmes décider pour le reste des Français. » Toujours selon elle, la réforme manque son objectif. « Le CESE est une organisation consultative qui n’atteint pas sa cible puisqu’elle se consulte elle-même à 80 %. Le texte avait pour vocation de réparer cette situation mais à mon sens ne fonctionne pas. Ce texte ne redonne pas de lustre au CESE. »
Si son groupe s'est abstenu lors du vote sur la motion, la sénatrice communiste républicain citoyen et écologiste, Marie-Noëlle Lienemann, n’est pas non plus convaincue par la réforme. « Le texte diminue le nombre des membres du CESE en réduisant les représentants des syndicats, associations… C’est l’affaiblissement des corps intermédiaires. On a besoin de cette diversité. Cet affaiblissement du nombre réduit la diversité territoriale, thématique, et des acteurs locaux », argue-t-elle. Elle est pour sa part favorable à la multiplication des conventions citoyennes mais regrette l’aspect « gadget » du texte. « Cela aurait peut-être été intelligent, avant de les institutionnaliser, de les faire vivre vraiment. Le président de la République va donner aujourd’hui sa réponse, Dieu le père, sur la Convention citoyenne. Je suis absolument pour les conventions citoyennes. On est devant cette illusoire issue d’une démocratie en panne par défaillance du politique avec du gadget. Le CESE sera affaibli dans sa structure avec des conventions citoyennes qui ne seront même pas obligées d’avoir une réponse. Institutionnalisons l’obligation de leur donner une réponse sans tout avaliser ! », réclame-t-elle.
La réforme du CESE reviendra donc devant l’Assemblée nationale et devrait être mise en œuvre à l’issue de cette mandature, soit le 1er juin 2021 au plus tard.