Photo illustration carte vitale

Quelles pistes pour la fusion de la carte Vitale et de la carte d’identité ?

Alors que la dématérialisation de la carte Vitale est en voie de généralisation, Gabriel Attal, le ministre des Comptes publics, souhaite fusionner cette dernière avec la carte nationale d’identité pour limiter le risque de fraudes aux prestations sociales. Mais ce dispositif, qui n’est pas sans faire écho à certaines propositions de la majorité sénatoriale de droite et du centre, pourrait se heurter à un certain nombre de difficultés techniques.
Romain David

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Bientôt une carte en moins dans le portefeuille des Français ? Le gouvernement réfléchit à fusionner carte d’identité et carte Vitale afin de mieux lutter contre les échanges frauduleux de cartes d’assurance maladie, une pratique qui permet à certaines personnes, des étrangers notamment, de bénéficier d’actes et de prescriptions gratuits. Il s’agit de l’une des mesures phares du plan de lutte contre la fraude sociale dont les grandes lignes ont été dévoilées par Gabriel Attal, le ministre des Comptes publics, dans une longue interview au Parisien publié lundi soir. Le gouvernement entend créer un millier de postes supplémentaires et investir un milliard d’euros sur l’ensemble du quinquennat pour mieux lutter contre la fraude aux prestations sociales, avec pour objectif de récupérer trois milliards d’euros chaque année d’ici 2027.

Particulièrement complexe à évaluer, le montant de la fraude sociale se situerait entre 6 et 8 milliards d’euros par an, selon un calcul réalisé par la Cour des comptes. Le plan dévoilé par Gabriel Attal regarde notamment au-delà des frontières ; il entend mieux identifier les retraités vivant à l’étranger, afin d’éviter que leurs pensions ne soient indûment touchées par des proches après leur décès. Il veut également renforcer les conditions de résidence en France pour pouvoir bénéficier de certaines allocations sociales. Quant à la fusion de la carte d’identité et de la carte Vitale, elle doit permettre de mettre un coup d’arrêt à une forme de « tourisme médical illégal », a précisé le ministre, qui indique vouloir s’inspirer de ce qui a déjà été mis en place en Belgique, au Portugal, ou encore en Suède. « C’est à la fois une mesure de simplification et une garantie supplémentaire sur l’identité de la personne et les droits associés », a-t-il expliqué. Une « mission conjointe » aux différents ministères concernés par cette transformation devra déterminer les modalités et le calendrier de mise en œuvre d’une telle mesure.

Dématérialisation de la carte Vitale

L’évolution de la carte Vitale est déjà l’objet de différentes expérimentations et spéculations. Depuis 2019, le gouvernement teste dans plusieurs départements la carte Vitale dématérialisée (« e-carte Vitale »), remplacée par une application sur smartphone. Un décret publié début 2023 prévoit la généralisation du dispositif à l’ensemble du territoire, avec un déploiement qui devra être effectif en 2025. La dématérialisation de la carte Vitale doit permettre une mise à jour en temps réel des données de l’usager.

Par ailleurs, l’activation de l’application sera soumise à un contrôle d’identité, selon deux options de vérification. Soit une identification électronique via le futur « Service de garantie de l’identité numérique (SIGN) », un système d’identification en ligne mis en chantier en avril 2022, en lien avec la nouvelle carte d’identité biométrique. Ou alors un mécanisme de reconnaissance faciale ; l’application sera en mesure de déterminer, via le smartphone, que le visage de l’usager correspond bien aux photographies figurant sur les documents d’identité transmis lors de l’installation de l’application. Précisons que la carte Vitale dématérialisée reste un service optionnel, les affiliés pourront continuer à utiliser la bonne vieille carte à puce verte.

Le Sénat, en faveur d’une carte Vitale biométrique

En parallèle du déploiement de cette « e-carte Vitale », le Parlement, à l’initiative du Sénat, se penche depuis plusieurs années sur la mise en place d’une carte Vitale biométrique, qui intégrerait des données relatives à l’apparence et aux empreintes digitales de son propriétaire. A la différence de la carte Vitale dématérialisée, pour laquelle la reconnaissance faciale n’interviendrait qu’au moment de l’installation de l’application, la carte Vitale biométrique permettrait une vérification de l’identité du bénéficiaire à chaque utilisation, ce qui nécessiterait toutefois de la part des professionnels de santé, pharmaciens et médecins, de s’équiper de webcam et de lecteurs d’empreintes digitales.

Portée par le sénateur LR Philippe Mouiller, une proposition de loi instaurant l’expérimentation d’un tel dispositif avait été votée par la Chambre Haute fin 2019, mais rejetée un an plus tard par l’Assemblée nationale. En août 2022, l’élu des Deux-Sèvres est revenu à la charge en faisant adopter pendant l’examen du projet de budget rectificatif pour 2022 (PLFR) un amendement pour la création d’une enveloppe de 20 millions d’euros de crédits pris sur l’aide médicale d’Etat (AME), et dédiée au lancement de cette carte Vitale biométrique. Mais celle-ci n’a pas été reportée dans le budget 2023. Auprès du Parisien, le ministre des Comptes publics assure que la piste a été abandonnée, à la fois devant les réticences des professionnels de santé à contrôler l’identité de leurs patients mais aussi parce que trop coûteuse : 250 millions d’euros par an. « Les dépenses estimées sont largement inférieures au niveau annuel de la fraude », plaide Philippe Mouiller auprès de Public Sénat.

Un défi technique ?

En revanche, la fusion défendue par Gabriel Attal permettrait de s’appuyer sur un format déjà existant, puisque la carte nationale d’identité, derrière le nouveau format mis en place en 2021, s’est enrichie de données biométriques. Mais Bercy et Beauvau ne semblent pas, à ce stade, sur la même ligne. « Attention à ne pas enfreindre la protection des données et les libertés individuelles et à faire des effets d’annonce. La solution reste la carte vitale biométrique qui a été votée et qu’il faut mettre en place », a réagi un cadre du ministère de l’Intérieur auprès de l’Agence France-Presse, expliquant que la fusion des deux titres était « techniquement impossible à mettre en œuvre ». Interrogé ce mardi sur cette dissonance, Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement a pris soin de remettre la balle au centre : « Il n’y a aucun sujet sur le plan présenté par le ministre des Comptes publics. La position de l’ensemble du gouvernement est qu’il faut une mission qui permette de définir les modalités pratiques qui iront vers une fusion de la carte nationale d’identité et de la carte Vitale », a-t-il balayé à la sortie du Conseil des ministres.

Le projet de Gabriel Attal s’appuie sur un rapport des Inspections générales des affaires sociales (Igas) et des finances (IGF), étayé par un avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), et dont plusieurs extraits ont été diffusés par BFMTV. Ce document présente deux pistes de fusion. Les données relatives à la carte Vitale, c’est-à-dire les informations administratives nécessaires au remboursement des soins, à une prise en charge en cas d’hospitalisation et à l’identification du titulaire, pourront directement être intégrées dans la puce de la nouvelle carte d’identité, ou accessible via un QR code dédié figurant sur la carte. Cette seconde option est toutefois regardée avec défiance par la CNIL car les informations relatives à l’assuré pourraient potentiellement être lues à partir d’une simple photocopie de la carte.

Mais la principale difficulté concerne la confidentialité des données : s’assurer que l’administration – les personnels municipaux par exemple -, ne puisse pas avoir accès aux informations de santé nécessite un fonctionnement en vase clos, ou encore le recours à un chiffrement que seuls les professionnels et établissement de santé pourront décoder. « Il reviendra à la CNIL de poser le bon cadre », estime Philippe Mouiller qui salue la mesure et « appelle le gouvernent à rentrer dans l’action ». « Certes, le sujet n’est pas simple, mais techniquement, on peut tout faire du moment qu’il y a une volonté politique derrière. On entendait déjà les mêmes réticences lorsque la carte Vitale a été lancée à la fin des années 1990 ».

Le modèle belge

« Si la carte d’identité devient en même temps une carte Vitale, il est certain que les échanges frauduleux de cartes deviendront plus difficiles », abonde la sénatrice centriste de l’Orne Nathalie Goulet. En 2019, cette élue avait été chargée par le Premier ministre Edouard Philippe de conduire avec la députée LREM Carole Grandjean une mission d’enquête sur la fraude sociale et son impact. S’inspirant du modèle belge, les élus préconisaient déjà la fusion de la carte d’identité et de la carte Vitale mais aussi de la carte européenne d’Assurance maladie (anciennement « E111 »), associé à un guichet unique.

Depuis une trentaine d’années les autorités belges autorisent le partage de données entre services, ce qui a permis d’enrichir un registre national qui recensent aujourd’hui 19 millions de personnes. En 2014, carte d’identité et carte de sécurité sociale ont été fusionnées en Belgique. « Avec 750 milliards de prestations sociales distribuées chaque année, la France reste le pays le plus généreux du monde. Il convient de remettre de l’ordre dans la maison et cela passe par la création d’un fichier unique et clair des gens qui ont le droit à des prestations sociales », plaide Nathalie Goulet.

La création d’une telle liste ne fait pas partie des pistes avancées lundi par le ministre des Comptes publics. Par ailleurs, la fusion de la carte Vitale et de la carte d’identité ne « pourra être envisagée », a-t-il précisé, que lorsque les délais d’obtention des cartes d’identité, particulièrement long depuis la crise du covid-19, seront revenus à la normale. Il s’agit donc d’un chantier au très long cours, possiblement au compte-goutte, c’est-à-dire à mesure que les citoyens feront refaire leur titre d’identité. « Bien sûr, ce sera compliqué à mettre en œuvre », admet Nathalie Goulet. « Mais il serait possible, dans un premier temps, de se concentrer sur les cartes de séjour. Ce serait une manière de s’assurer, lorsque le délai de séjour sur le territoire français expire, qu’il n’est plus possible d’avoir accès à des droits sociaux. »

« Ce phénomène ne me semble pas vraiment être au cœur du sujet »

« Devant le nombre de voix qui nous disent que c’est techniquement impossible, je suis un peu circonspect sur ce sujet », glisse à Public Sénat le sénateur communiste Éric Bocquet, vice-président de la commission des finances. Selon la Caisse nationale de l’Assurance maladie, le nombre de cartes Vitale surnuméraires serait devenu marginal ces dernières années, passant sous la barre des 1 000, après avoir été estimé à 5,25 millions en 2019 par Nathalie Goulet et Carole Grandjean. En revanche, aucune donnée ne semble disponible quant aux utilisations frauduleuses de cartes Vitale par des tiers. « Ce phénomène ne me semble pas vraiment être au cœur du sujet. S’il y a fraude, qu’elle soit d’abord expertisée ! », s’agace Éric Bocquet qui reproche surtout à Gabriel Attal de présenter son plan de lutte contre la fraude sociale trois semaines seulement après celui contre la fraude fiscale. Et ainsi de mêler dans une même séquence médiatique, « deux phénomènes distincts, dont les mécanismes et les sommes ne sont pas du tout les mêmes ».

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