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Auditionné par la commission d’enquête du Sénat sur les agences publiques, Sylvain Waserman, président d’Ademe a défendu le budget et l’existence de son agence, faisant écho aux critiques faites par plusieurs politiques de droite.
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C’est un embargo qui n’en est pas vraiment un. On sait depuis plusieurs semaines maintenant que malgré les efforts allemands pour remplacer le pétrole importé de Russie, la Hongrie continuait de bloquer un embargo sur les importations de pétrole russe en Europe, qui nécessitait l’unanimité des Etats-membres pour être mis en place.
>> Pour en savoir plus sur les contraintes liées à un embargo sur le pétrole russe : Embargo européen : comment se passer du pétrole russe ?
Hier pourtant, les chefs d’Etat et de gouvernement réunis en Conseil européen ont acté un embargo sur les produits pétroliers russes. Pour convaincre Viktor Orban, les Européens ont proposé plusieurs aménagements à l’embargo. Celui-ci concernera – dans 6 mois – les livraisons de pétrole par bateaux, soit 2/3 des importations européennes d’hydrocarbures russes. Le tiers restant est acheminé en Europe par oléoduc à des pays plus enclavés, il ne sera donc pas concerné par l’embargo. Mais l’Allemagne et la Pologne ayant annoncé qu’elles se passeraient des livraisons russes dans 6 mois, que ce soit par bateau ou par oléoduc, c’est en tout 92 % du pétrole russe acheté par les Européens qui sera bien sous embargo, a précisé aujourd’hui Emmanuel Macron. Le Président de la République a d’ailleurs salué un paquet de sanctions « historique », que « personne ne pensait envisageable il y a deux mois », qui poursuit l’objectif de « stopper la guerre sans y participer. » Finalement, seule la branche sud de l’oléoduc russe Droujba devrait ainsi continuer à alimenter la Hongrie en hydrocarbures russes.
Derrière la distinction entre les livraisons par bateau et par oléoduc se cache une véritable dérogation pour la Hongrie, qui avait demandé 4 ans d’adaptation, et qui se retrouve avec un chèque en blanc. « C’est une dérogation qui peut être appelée à durer un certain temps, la Hongrie se retrouve plutôt dans une position favorable. Ils ont obtenu des mécanismes de sécurité d’approvisionnement au cas où le pétrole serait coupé par les Russes, et sur la mise à niveau des infrastructures de raffinage, pour être capable de traiter des pétroles bruts venant d’autres territoires », précise Nicolas Mazzucchi, chercheur à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) et expert en énergie et matières premières. C’est en effet le pétrole raffiné qui pose problème, puisque les produits pétroliers russes sont particulièrement adaptés aux normes et aux infrastructures européennes, en raison de l’interdépendance énergétique très forte qui existe entre l’Europe et la Russie.
« Sur le raffiné, on n’a que deux options », rappelle le chercheur : « On peut en prendre beaucoup plus aux Etats-Unis, ce qui pose la question de leurs capacités de production et du prix. Il y a aussi une question d’adaptation et de relance des systèmes de raffinage européens, ce qui va poser des problèmes d’acceptabilité en Europe occidentale. » L’Europe orientale, encore très dépendante au pétrole, avait effectivement conservé de fortes capacités de raffinage, et ne devra donc qu’adapter ses raffineries à de nouveaux produits pétroliers bruts. En revanche, en Europe occidentale, et particulièrement en France, « on n’a pas arrêté de réduire nos capacités de raffinage », explique Nicolas Mazzucchi, qui rappelle que les raffineries sont des installations « très polluantes, qui provoquent des nuisances sonores pour les riverains, parfois olfactives et qui sont à risque, classées Seveso. »
Le raffinage est donc un premier problème que les Européens vont devoir régler dans les 6 prochains mois, mais ils vont aussi devoir trouver d’autres sources d’approvisionnement de pétrole brut. « Les pays qui arriveront à compenser les volumes pétroliers russes ne pourront pas être des pays de l’OPEP, qui l’a clairement dit à la Commission en avril », assure Nicolas Mazzucchi, qui cite les Etats-Unis, l’Amérique latine et l’Afrique subsaharienne. D’après lui, c’est une véritable nouvelle donne géopolitique qu’instaurent les sanctions européennes sur les hydrocarbures russes, et notamment vu le rôle que joue la Russie dans le format de négociation OPEP +, qui rassemble les pays membres à d’autres pays producteurs comme le Mexique, des pays d’Asie centrale, la Malaisie, le Soudan et… la Russie.
« Le jeu de la Russie dans les réunions du format OPEP + va être déterminant pour l’avenir économique de toute la planète. Si la Russie arrive à entraîner l’OPEP + pour ne pas augmenter les volumes et donc maintenir des prix extrêmement forts, les prix européens vont exploser », détaille Nicolas Mazzucchi, qui voit potentiellement un acteur un peu inattendu dans l’équation tirer son épingle du jeu : l’Iran. Selon lui, « l’Iran est en train de faire monter les enchères. Avec les négociations sur le nucléaire qui se déroulent à Vienne, les Iraniens ont bien compris que si les volumes iraniens arrivaient sur le marché – ce qui ne sera pas immédiat – cela fera un gros ouf de soulagement pour les Européens. Les négociations sont au point mort à Vienne aussi pour cela. »
En tout cas, le poids de la Russie à l’OPEP + pourrait bien lui permettre de mettre en place une sorte de « contre-sanctions » sur le pétrole, en faisant exploser les prix pour les Européens qui n’arriveraient pas à trouver de volumes supplémentaires sur le marché mondial. De même, les Russes pourraient, en réponse à l’embargo, couper les oléoducs qui approvisionnent l’Europe orientale, et notamment la Hongrie, comme ils avaient coupé le gaz à la Pologne et à la Bulgarie. Pour Nicolas Mazzucchi, « la possibilité mécanique existe, mais ce ne sera pas si automatique, c’est un jeu de poker entre la Russie et l’Europe pour voir qui craquera en premier. » L’embargo pétrolier aura en effet un coût pour les Européens, comme l’a avoué à demi-mot Emmanuel Macron ce mardi à Bruxelles : « C’est une mesure très structurante qui va pénaliser l’économie russe à court terme, mais qui surtout va très profondément changer la manière dont les Européens s’approvisionnent. C’est une restructuration de nos économies. » Nicolas Mazzucchi abonde : « Les produits pétroliers russes étaient à des coûts contenus. Si on les sort de l’équation et que l’on doit encore investir dans des infrastructures de raffinage et des produits pétroliers plus chers, il va falloir s’attendre à un renchérissement des prix. »
>> Lire aussi : La (co) dépendance énergétique de l’Europe et de la Russie en chiffres
Pour le chercheur, c’est même l’Europe qui sentira la première les contrechocs économiques des sanctions : « Pour l’acteur sanctionné, c’est un effet différé, alors que c’est immédiat pour celui qui sanctionne. Pour qu’on ait une traduction économique, il va falloir attendre plusieurs semaines voire plusieurs mois. Avec l’économie de guerre mise en place en Russie, le régime de Poutine a certes besoin de rentrées d’argent régulières. Mais la Russie a profité des cours très hauts du pétrole pour remplir énormément les caisses, et a la capacité à tenir un petit peu. » D’autant plus que de l’autre côté, les dirigeants européens vont devoir faire face à la pression de leurs opinions publiques en termes de coût de l’énergie. En même temps, l’Union européenne vient aussi de valider des sanctions sur 80 oligarques russes supplémentaires, et l’exclusion de Sberbank, la principale banque russe du système de messagerie bancaire Swift. Emmanuel Macron a bien précisé à Bruxelles mardi que cette exclusion de « 35 % du marché » bancaire russe faisait partie d’un « 6ème paquet de sanctions extrêmement important. » Dans la « partie de poker » que jouent l’Europe et la Russie sur leur interdépendance énergétique, le croupier vient de dévoiler le flop, et la seule certitude, c’est que le pot est rempli.
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