« C’est notre liberté qui est en jeu, notre souveraineté, notre indépendance. » Le Premier ministre a mis en garde les Français à plusieurs reprises, au cours de sa conférence de presse du 25 août, contre le « danger immédiat » du surendettement, qui pèse sur le pays. Sans maîtrise de ses finances publiques, et donc de ses levées d’emprunt, la France serait donc menacée dans la maîtrise de ses choix, à cause de ses créanciers et du coût toujours plus élevé des intérêts de la dette, selon le diagnostic maintes fois exposé par Matignon ces derniers mois.
Ce type d’avertissement est régulier dès lors qu’il est question d’absence de maîtrise des comptes publics. En avril dernier, dans sa traditionnelle lettre annuelle, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, avait tenu un discours similaire. « Réduire l’incertitude budgétaire et fiscale, qui pèse sur les entreprises et les ménages, est une condition de la confiance et donc de la croissance. C’est aussi une condition de notre souveraineté : notre pays ne peut dépendre excessivement des agences de notation et des marchés internationaux », avait expliqué le haut-fonctionnaire dans sa missive au président de la République et aux présidents des assemblées parlementaires.
La difficulté de trouver des compromis budgétaires au Parlement, et la nouvelle période d’incertitude politique qui s’ouvre avec un vote de confiance quasiment perdu d’avance, peuvent susciter des interrogations sur la qualité de la signature française, aussi bien chez des responsables politiques que chez les citoyens. La France doit-elle s’inquiéter, en raison de la structuration de sa dette ? Éléments de réponse.
Près de 55 % de la dette est détenue hors du pays
Selon les dernières données communiquées par la Banque de France, au premier trimestre 2025, 54,7 % de la dette négociable de l’État sont détenus à l’étranger, par des acteurs dits « non-résidents ». Depuis quatre ans, cette proportion a même augmenté, puisque la dette était à 48,5 % dans les mains de prêteurs étrangers début 2022.
Sur une période plus longue, la tendance est à la baisse. Mi 2010, selon les archives de l’Agence France Trésor, l’organisme chargé de lever la dette française auprès d’investisseurs, les titres de dette français étaient détenus à plus de 70 % en dehors du territoire national. La part des détenteurs domestiques (compagnies d’assurance françaises, banques françaises, particuliers, institutions françaises) a augmenté significativement à partir de 2015, depuis la mise en place du programme d’achats d’actifs de la Banque centrale européenne, réalisé par la Banque de France.
Difficile toutefois de savoir, dans le détail, où se situent les principales banques centrales et les fonds de pension qui achètent des obligations françaises. L’Agence France Trésor ne communique pas le détail par nationalité. Elle donne cependant quelques grandes tendances, que reprend parfois le gouvernement dans ses communications. Schématiquement, un quart de la dette est détenue par des acteurs basés en France, un quart par la Banque de France, un quart par des résidents de la zone euro et un quart par des résidents dans le reste du monde, selon le ministère des Comptes publics. Cette dernière catégorie recoupe notamment le reste de l’Europe (Royaume-Uni et et Suisse en particulier), l’Amérique du nord et l’Asie.
« Ce n’est pas quelque chose de particulièrement risqué »
Il n’empêche, avec 54,7 % de titres détenus hors de ses frontières, la dette française n’a pas la même physionomie que celles accumulées par les autres grandes économies voisines. Ce taux de détention par des prêteurs étrangers est parmi les plus élevés dans les statistiques des pays membres de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).
« C’est un problème quand il y a des à-coups. Aujourd’hui, en tout cas, les investisseurs sont prudents concernant la dette français, mais il n’y a pas de panique. Ils continuent d’acheter, ils demandent un taux légitimement plus élevé, mais je ne vois pas cela comme un sujet particulier », analyse Christopher Dembik, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM.
Pour Anthony Morlet-Lavidalie, économiste à l’institut Rexecode (Centre de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises), la part de titres de dette française à hauteur de 54,7 % à l’étranger est « plutôt un signe rassurant ». « Cela signifie que les étrangers ne se délestent pas de la dette qu’ils détiennent à ce stade. Si les banques françaises en détenaient plus, ce serait un signe de faiblesse. Quand des finances publiques sont fragilisées et que le secteur financier de l’État concerné détient beaucoup de titres de cette dette, cela entraîne une spirale négative. On peut se réjouir que notre secteur financier ne soit pas tant exposé que cela », poursuit le spécialiste. « En résumé, c’est bien d’être exposé à l’étranger, mais à force de ne pas vouloir faire des efforts budgétaires, on s’expose au risque que les non-résidents s’en détournent. C’est une force qui pourrait devenir une faiblesse, c’est le revers de la médaille », considère Anthony Morlet-Lavidalie.
« On a connu un choc de taux d’intérêt, qu’il faut prendre comme un premier avertissement significatif »
Sur les marchés obligataires, le taux du bon du trésor français à échéance 10 ans est désormais au plus haut depuis 2011, et dépasse les 3,5 % de taux d’intérêt. Le coût des nouvelles émissions s’est également creusé avec l’Allemagne, ou encore l’Italie, dont les taux sont désormais très proches de ceux de l’Hexagone. « Ces taux confirment le long déclassement de la France en termes de qualité de la dette, qui doit alerter le politique, mais ce n’est pas le signe d’une crise », poursuit Christopher Dembik.
Le stratégiste s’attend à une possible baisse de la demande pour les bons du trésor français l’an prochain, et donc à une légère remontée de leurs taux, en raison de volumes d’émissions de dette importants qui se préparent à Berlin et à Rome. « C’est un risque palpable. Il y aura des arbitrages à cet égard, c’est normal », anticipe-t-il.
Pour l’économiste Anthony Morlet-Lavidalie (Rexecode), cette remontée continue du taux à 10 ans français n’est pas non plus un signal anecdotique. Ces derniers mois, le taux d’emprunt de la France a dépassé celui de l’Espagne ou du Portugal. Inimaginable il y a dix ans. « On n’est pas en crise de la dette, mais on a connu un choc de taux d’intérêt, qu’il faut prendre comme un premier avertissement significatif, et ne pas faire l’autruche. Prenons les signaux comme ils le sont, inquiétants », estime cet expert.
Un rapport d’un député RN très critique sur la structure de la dette française
Croissance de la dette oblige, l’enjeu de la détention de la dette française a pris plus de place dans les débats politiques récemment. L’an dernier, au printemps 2024, à la veille de la dissolution surprise, le député RN Kévin Mauvieux avait remis un rapport d’information « sur la détention de la dette de l’État par des résidents étrangers ». Le parlementaire de l’Eure avait soulevé des risques pour la souveraineté financière en cas de crise de confiance, évoquant la « vulnérabilité » en cas de restructuration de la dette ou les comportements plus imprévisibles d’investisseurs étrangers.
L’examen du rapport avait donné lieu à une bataille politique en commission des finances. Le ministre des Comptes publics de l’époque, Thomas Cazenave, avait nettement contesté les conclusions du rapport, rappelant que la « diversification » des investisseurs était un « atout considérable », et que l’achat d’un titre de dette « ne confère aucun droit particulier sur la politique menée par le gouvernement ».
Véronique Louwagie, députée LR (actuellement ministre déléguée chargée du Commerce, de l’Artisanat et des PME) qui présidait la séance, avait estimé que la question « méritait d’être posée ». « Les Français sont préoccupés par le niveau et la charge de la dette, et s’inquiètent de ce qu’elle est détenue pour plus de la moitié par des non-résidents », avait-elle argué.
Auditionné pour les besoins du rapport, l’Agence France Trésor avait indiqué que sélectionner les investisseurs selon le critère du prix, et donc sans discrimination d’origine géographique, garantissait un financement « au coût le plus faible ». « Limiter la base des investisseurs qui peuvent accéder à la dette française en se tournant uniquement vers des investisseurs domestiques reviendrait à restreindre l’offre et à en renchérir le coût », avait argué l’AFT. Dans quelques jours, un nouveau test attend le pays. Fitch, l’une des trois grandes agences de notation financière, va rendre son verdict sur la note souveraine de la France le 12 septembre.