S’exiler d’une plateforme de plus en plus contestée. L’investiture de Donald Trump, lundi, a accéléré le départ de nombreuses personnalités politiques du réseau social X. Racheté en 2022 par Elon Musk, un des plus fervents soutiens du nouveau président américain, l’ex-Twitter s’est transformé sous la coupe du patron de Tesla ou Space X. Le manque de modération du contenu qui y est publié est notamment mis en cause. Les publications d’Elon Musk semblent aussi davantage mises en avant que celles d’autres profils dans les recommandations des utilisateurs.
Surtout, le patron est soupçonné de fausser le débat public en Europe, après ses multiples déclarations sur les affaires intérieures de pays européens, comme en Allemagne, où il soutient ouvertement le parti d’extrême-droite de l’AfD en vue des prochaines élections législatives du 23 février prochain. Elon Musk s’est aussi servi de X comme un outil pour attaquer le Premier ministre britannique Keir Starmer, le qualifiant de « méprisable » – avant d’organiser un sondage sur son compte pour demander si les États-Unis devaient « libérer » le Royaume-Uni de son « gouvernement tyrannique ». Un harcèlement qui s’est poursuivi sur plusieurs jours sur la plateforme.
En France, plusieurs élus ont donc fait le choix d’arrêter d’alimenter leurs comptes et de relayer leurs messages sur d’autres médias sociaux. La députée écologiste Sandrine Rousseau avait proposé la semaine dernière à l’ensemble de ses collègues membres du Nouveau Front populaire de quitter ce réseau. « Rester sur X, c’est en partie cautionner ce que la plateforme est devenue sous Elon Musk », estime l’élue de Paris. « Arrêter de poster ou quitter X de manière seule et isolée n’a pas beaucoup d’impact. Le faire à plusieurs, de manière coordonnée, permettrait d’entraîner un véritable mouvement. »
Chatelain, Chassaigne, Lescure…
À l’Assemblée nationale, seuls quelques-uns de ses collègues ont répondu favorablement à son appel. Chez les écologistes, la présidente du groupe Cyrielle Chatelain a suivi Sandrine Rousseau. C’est par exemple aussi le cas du communiste André Chassaigne ou de l’insoumis Loïc Prud’homme. Après avoir quitté la plateforme, ces députés ont invité à rejoindre d’autres réseaux sociaux pour les suivre, notamment BlueSky, plateforme créée en 2019 par Jack Dorsey, le fondateur de… Twitter.
Au-delà de cette initiative, d’autres personnalités politiques ont profité de l’arrivée de Donald Trump au pouvoir outre-Atlantique pour désactiver leur compte X. L’ex-ministre délégué à l’Industrie Roland Lescure a incité les élus de tous bords à quitter « collectivement » le réseau social. « Il faut que le réseau X devienne has been. Quand une soirée dégénère, il faut la quitter pour se rendre dans un lieu plus apaisé », a-t-il justifié dans une interview accordée samedi au Parisien. Le président (divers gauche) de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, ou celui (divers droite) de la région Grand Est, Franck Leroy, lui ont emboîté le pas, tout comme les députés Ensemble pour la République Ludovic Mendes ou Florent Boudié.
Pour aider plus facilement à une transition vers d’autres réseaux, plusieurs chercheurs du CNRS, menés par le mathématicien David Chavalarias, ont développé une application pour permettre aux ex-utilisateurs de X de ne pas perdre leur communauté acquise sur la plateforme d’Elon Musk. Son nom ? HelloQuitteX, un jeu de mots en référence à la marque japonaise Hello Kitty. Cette solution permet aux déçus de X de retrouver leurs contacts sur des réseaux sociaux alternatifs, comme BlueSky et Mastodon. « Ce n’est pas un appel au boycott de X » mais une invitation « à explorer des nouveaux espaces numériques » a expliqué lundi à l’AFP David Chavalarias.
La « quasi-totalité » du groupe écologiste au Sénat a quitté X
Et au Sénat ? Selon Guillaume Gontard, président du groupe écologiste au Palais du Luxembourg, « la quasi-totalité » des sénateurs écologistes ont également mis fin à leur activité sur X. Après une discussion en réunion ce mardi, les élus ont aussi décidé de désactiver le compte général du groupe écologiste sur la plateforme, confirme le chef de file. Ce choix est lié « à la dérive de ce réseau, sans aucun contrôle, avec une orientation climatosceptique, sexiste, violente, d’extrême-droite » justifie à Public Sénat Guillaume Gontard.
Sa collègue écologiste Mathilde Ollivier partage ce constat. « Notre responsabilité individuelle et collective est de déporter le débat sur d’autres plateformes, qui ne sont pas des dangers pour la démocratie, les libertés individuelles », appuie la sénatrice des Français de l’étranger. « De mon côté, j’étais déjà moins active sur X ces derniers mois, c’est la finalisation d’un processus qui était déjà en marche. »
Au sein du camp écologiste, tout le monde n’a pas opté pour cette position. La secrétaire nationale du parti, Marine Tondelier, a annoncé lundi qu’elle garderait finalement son compte X pour poursuivre la défense de l’écologie « sur les terrains hostiles ». « C’est aussi bien d’y rester pour pouvoir apporter un autre message ; c’est un débat qui existe évidemment », fait valoir Guillaume Gontard.
En juillet dernier, la Commission européenne avait pointé du doigt le fonctionnement du réseau social d’Elon Musk. X avait été accusé de ne pas respecter le règlement de l’UE sur les services numériques (RSN ou DSA), adopté en 2022 et applicable depuis février 2024. « Selon nous, X ne respecte pas la législation européenne dans le domaine clé de la transparence en utilisant des interfaces truquées et en induisant ainsi les utilisateurs en erreur, en ne fournissant pas un registre de publicités adéquat et en bloquant l’accès aux données pour les chercheurs », avait déploré Margrethe Vestager, alors vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence.
Une plainte d’une sénatrice traitée par l’Arcom
Plutôt que de quitter la plateforme, d’autres élus préfèrent poursuivre leur activité sur X, tout en contestant son fonctionnement à la lumière de ces règles européennes. Disant se refuser « à la désertion », la sénatrice (LR) Marie-Claire Carrère-Gée a indiqué lundi avoir transmis à l’Arcom une plainte le 10 janvier dernier devant l’instance à ce sujet. La parlementaire fait valoir que l’article 53 du RSN n’est pas respecté par X. « Depuis plusieurs jours apparaissent dans mon fil X de très nombreux tweets du propriétaire du réseau X, Elon Musk, sans que je sois abonnée à son compte. Si elle concernait d’autres utilisateurs, cette surexposition […] me paraît caractériser plusieurs « risques systémiques » au sens [du RSN] », écrit-elle dans sa plainte.
Selon Marie-Claire Carrère-Gée, l’Arcom a transmis cette réclamation auprès du régulateur irlandais compétent au niveau européen sur le contrôle des réseaux sociaux. « Je me réjouis que l’Arcom ait choisi, dans de brefs délais, de donner suite à cette plainte », déclare dans un communiqué l’ex-ministre de la Coordination gouvernementale (septembre 2024 – décembre 2024). « Ensemble, continuons à défendre un espace numérique qui respecte nos libertés fondamentales et garantit l’intégrité des débats. » Selon Guillaume Gontard, le groupe écologiste réfléchit lui aussi à saisir l’Arcom par rapport aux possibles manquements de X à la réglementation européenne, mais aussi à proposer prochainement un débat au Sénat sur la question des réseaux sociaux.
Avant même la prise de pouvoir de Donald Trump à Washington, certaines figures de la vie politique avaient déjà quitté X, comme la maire de Paris Anne Hidalgo fin novembre, ou, de plus longue date, le ministre des Outre-Mer Manuel Valls. Le sénateur (PCF) Alexandre Basquin appelle à frapper encore plus fort et à « se couper » de l’ensemble des réseaux sociaux. « Pour ma part, je ne les ai jamais utilisés », souligne le communiste dans une lettre ouverte. En plus de ces personnalités, de nombreux organismes et médias ont annoncé interrompre leur présence sur le réseau social. Ces derniers jours, Le Monde, Libération, Challenges, l’université de Limoges, les éditions Gallimard ou encore le Palais de Tokyo ont entre autres officialisé cette décision.