Ouverte par Emmanuel Macron à la rentrée, la séquence sur l’immigration va – peut-être – trouver une fin provisoire avec l’annonce puis le vote des mesures que le gouvernement compte mettre en place. Un mois après le débat sur l’immigration au Parlement, ce sera encore à la représentation nationale d’adopter par voie d’amendements aux textes budgétaires les décisions arrêtées par l’exécutif.
Lundi soir, à Matignon, une réunion des parlementaires LREM autour d’Edouard Philippe a précisé les mesures. « C’était une réunion très riche entre le premier ministre, les ministres et les parlementaires. C’est un dispositif d’équilibre. C’est du « en même temps » équilibré » selon le patron des sénateurs LREM, François Patriat, présent à la réunion. Les mesures seront officialisées mercredi.
Quotas pour les métiers en tension
Pour l’immigration légale, le gouvernement va mettre en place un système de quotas d’immigration pour les métiers en tension, fixés chaque année, en permettant de « s'ajuster en temps réel aux besoins de nos entreprises ». Une piste déjà évoquée en octobre par le premier ministre.
Pour les demandeurs d’asile, l’exécutif compte aussi instaurer un délai de carence de trois mois pour accéder à la protection universelle maladie (PUMa), la Sécu de base. Actuellement, ils y ont droit dès le dépôt de leur demande. Davantage de contrôles seront aussi exercés sur les bénéficiaires de l'aide aux demandeurs d'asile (ADA) qui toucheraient, selon le gouvernement, indûment le RSA en même temps.
Sans revoir directement l’aide médicale d’Etat (AME), dispositif réservé aux sans-papiers, le gouvernement veut qu’à l’avenir, certains actes non-urgents puissent faire l'objet d'un accord préalable de la Sécurité sociale. L’exécutif souligne aussi « la nécessité de lutter contre les fraudes et les abus ». Pour réduire le délai d'instruction des dossiers pour les demandeurs d'asile, plus de moyens devraient être alloués. Le texte asile et immigration, adopté en 2018, devait pourtant déjà réduire les délais.
Quand le gouvernement soulignait le « caractère irréalisable des quotas »
La majorité sénatoriale n’a justement pas oublié l’examen de la loi asile et immigration. Car à l’époque, le Sénat, à majorité de droite, avait justement adopté le principe de quotas… mais contre l’avis du gouvernement. « Si je puis me permettre, ce qui me fait marrer, c’est quand j’ai fait voter la mise en place de quotas avec le Sénat, c’était avec l’opposition de l’actuel gouvernement. Il y a moins d’un an, ils étaient totalement opposés aux quotas… » s’étonne le sénateur LR des Hauts-de-Seine, Roger Karoutchi, auteur à l’époque de l’amendement.
La mesure défendue par les sénateurs ne se limitait pas à des quotas de travail, mais était plus large, en portant sur toutes les catégories de séjour. Reste que l’exécutif exprimait son opposition de fond au principe.
En remontant dans les archives des débats en séance, on tombe ainsi sur cette déclaration du 19 juin 2018 de la ministre Jacqueline Gourault, à l’époque ministre auprès du ministre de l’Intérieur. « Cet article introduit des quotas, votés par le Parlement, pour déterminer sur les trois années à venir le nombre d’étrangers admis à s’installer durablement en France pour chacune des catégories de séjour, à l’exception de l’asile. Cette disposition ne résiste pas à l’examen de faisabilité. Elle n’avait d’ailleurs pas été mise en œuvre par les gouvernements précédents. Je ne citerai pas Pierre Mazeaud, puisque M. Yung l’a fait tout à l’heure, mais il avait conclu au caractère irréalisable de ces quotas » soutenait Jacqueline Gourault. Regardez :
Quand le gouvernement s’opposait en juin 2018 aux quotas d’immigration et soulignait leur « caractère irréalisable »
Soulignant que l’immigration familiale ne pouvait être concernée par les quotas pour des raisons constitutionnelles, Jacqueline Gourault insistait :
« Le gouvernement est défavorable à ce qu’une telle politique soit mise en œuvre » (Jacqueline Gourault, juin 2018)
Quant à l’immigration professionnelle, la législation existante semblait alors suffisante, selon la ministre : « En ce qui concerne l’immigration professionnelle, notre droit encadre l’emploi des nouveaux immigrés par la délivrance des autorisations de travail en fonction de la situation du marché du travail ».
Mesure voulue d'abord par Nicolas Sarkozy
Aujourd’hui, Roger Karoutchi attend du concret. Mais il se dit prêt à suivre, sous conditions. « Si le gouvernement est prêt à faire adopter des mesures de raisons, je serai le premier à saluer les mesures du gouvernement. Mais qu’il le fasse » lance l’ancien ministre.
« Il faut rappeler que c’était une mesure prise d’abord par Nicolas Sarkozy, qui dans le cadre de l’immigration choisie, avait proposé qu’il y ait des priorités données pour les métiers en tension. Cela a été abandonné par François Hollande. Si on y revient, c’est une bonne chose. Mais il faut savoir dans quelles conditions » ajoute de son côté le sénateur LR François-Noël Buffet, ancien rapporteur du texte asile et immigration au Sénat. Mais pour le sénateur du Rhône, cela ne sera pas suffisant si on ne « traite pas l’immigration irrégulière, par des mesures de reconduite à la frontière ». Quant au délai de carence, il se demande « si ça tient sur le plan juridique. Un demandeur d’asile dûment enregistré est en situation régulière. Et décaler l’obtention d’une forme d’aide médicale peut poser problème ».
« Ça montre un visage de la France terrible »
A gauche, le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner, exprime à l’inverse sa « grande prudence » sur la question des quotas. « Je ne suis pas certain, bien au contraire, que l’instauration de quotas permettent de régler quoi que ce soit » met en garde le sénateur du Nord. Selon Patrick Kanner, « il faut permette que ces métiers en tension soient d’abord remplis par les jeunes ou moins jeunes formés dans notre pays ».
La sénatrice du Val-de-Marne Sophie Taillé-Polian, membre de Génération.s, s’inquiète pour les demandeurs d’asile. « Ils fuient des situations qui sont abominables. Et leur dire après des voyages tout autant abominables, qu’il faut attendre trois mois pour l’accès aux soins, ça montre un visage de la France terrible » dénonce Sophie Taillé-Polian. Pour Patrick Kanner, Emmanuel Macron cherche aussi, par ces mesures, à être dans l’affichage. « On a le sentiment que le gouvernement montre ses muscles sur le sujet, toujours dans la perspective de coller au sillage du FN » selon le socialiste. Un jeu dangereux, où Marine Le Pen peut y trouver son compte.