Documentariste, conseiller politique en Géorgie, intellectuel engagé, et désormais candidat aux européennes: Raphaël Glucksmann a choisi à 39 ans d'abandonner la posture du commentateur pour tenter de contribuer à l'émergence d'une grande force écologique et sociale.
Une décision commandée par "l'urgence" des combats à mener, à l'heure où le "logiciel néolibéral nous mène dans l'abîme". "La situation est tellement grave qu'il n'y a plus de rôles, d'un côté des professionnels de la politique, de l'autre des intellectuels qui animent la société civile. On ne peut plus raisonner comme ça", dit-il à l'AFP.
Né le 15 octobre 1979 à Boulogne-Billancourt, l'essayiste est le fils du philosophe André Glucksmann, ex-maoïste ayant évolué vers des positions néo-conservatrices. Il grandit dans le Xe arrondissement de Paris, rue du Faubourg-Poissonnière, dans un quartier alors populaire.
"Je suis peut-être bobo, mais pas germanopratin. Je n'ai jamais fréquenté l'élite germanopratine. Mon père était un ours qui ne sortait jamais de son Xe !", sourit-il, en réponse à ceux qui critiquent son supposé parisianisme.
Dans l'appartement familial, défilent des dissidents politiques du monde entier: Vaclav Havel, des Algériens fuyant le GIA, des Bosniaques, des Tchétchènes... Nourri de cet internationalisme, Raphaël Glucksmann choisit dans le cadre de ses études à Sciences-Po d'effectuer son stage au journal Le Soir d'Algérie.
En 2003-2004, il réalise avec deux amis un film qui met en lumière le rôle trouble joué par la France lors du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, "Tuez les tous!". Le film a été produit notamment par Michel Hazanavicius, réalisateur depuis oscarisé pour son film "The Artist". Il enchaîne avec un documentaire sur la Révolution orange ukrainienne, survenue en 2004, et abandonne peu à peu la posture de l'observateur pour celle de conseiller des jeunes contestataires.
- "L'inverse de Jean-Luc Mélenchon" -
A Kiev, sous une tente, il rencontre le président géorgien Mikheil Saakachvili, dont il devient un des conseillers, de 2008 à 2012. "Je coordonnais les réformes liées à l'intégration européenne", explique M. Glucksmann, qui épouse en 2011 la vice-ministre de l'Intérieur de Géorgie d'alors, Eka Zgouladze, avec laquelle il a eu un fils.
Un parcours qui alimente toutes les rumeurs. "On a dit que je travaillais pour la CIA ! J'assume à un million de pourcents ce que j'ai fait. Ces révolutions, ce sont de vraies révolutions populaires d'émancipation de nations en butte à l'impérialisme russe", affirme-il. M. Glucksmann revient en France en 2013.
Un temps proche des milieux néo-conservateurs, l'essayiste s'est clairement ancré à gauche depuis quelques années, pourfendant les réactionnaires de tout poil, et les "dévastations dues au libéralisme".
En 2017, il co-écrit le grand discours prononcé à Bercy par le candidat socialiste Benoît Hamon et vote pour lui à la présidentielle. Proche de Yannick Jadot, il regrette aujourd'hui son refus de prendre la tête d'une liste d'union de la gauche pour les européennes, alors que l'écologie a "l'opportunité historique" d'"absorber la sociale-démocratie". En octobre, il s'en prend sur le plateau de "Quotidien" à Jean-Luc Mélenchon, qui ne permet pas "à une gauche intelligente d'émerger" --des propos qu'il a depuis regrettés.
Dans son dernier livre, "Les Enfants du vide", paru fin 2018 (plus de 70.000 exemplaires vendus), M. Glucksmann prône un nouveau contrat social, une stratégie écologique à la hauteur de l'enjeu, une marche progressive vers le revenu universel.
Devenu en décembre 2017 le directeur de la rédaction du Nouveau Magazine littéraire, il quitte le mensuel en août 2018, en raison selon lui de ses critiques envers la politique d'Emmanuel Macron. "Je serais +wauquiezo-mélenchoniste+ (sic). On me demanda de m'essayer à des louanges auxquelles je ne crois pas", accuse-t-il.
Ancien chroniqueur pour France Inter, M. Glucksmann est le compagnon de la journaliste politique Léa Salamé - le couple a eu un fils en 2017 - qui se mettra en retrait le temps de la campagne.
Le front haut, le visage souriant, il est d'un "naturel joyeux, sympathique", confie le réalisateur Romain Goupil, qui le connaît depuis qu'il est "tout petit". "Sa qualité principale, c'est de ne pas être dogmatique, d'être à l'écoute (...) C'est l'inverse de Jean-Luc Mélenchon", s'amuse M. Goupil, un des visiteurs du soir d'Emmanuel Macron.
Au PS, certains doutent que l'essayiste pèse beaucoup politiquement. "Raphaël Glucksmann, cela représente quelques milliers de voix à l'intérieur du périphérique (...) En quoi cela fera gagner des voix auprès de notre électorat ?", se demande un sénateur.