Rapports de force Europe-Russie : « Les Européens ont les moyens pour faire face à la menace russe » estime le chercheur Elie Tenenbaum 

Auditionné par la commission des affaires européennes du Sénat, Elie Tenenbaum présente les points clés du rapport de force entre la Russie et l’Europe. Si la Russie dispose de la supériorité militaire terrestre, l’Europe bénéficie d’un net avantage dans les autres secteurs.
Henri Clavier

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« Si l’administration Trump se préoccupe vivement de la sécurité européenne, et si elle est convaincue que nous pouvons parvenir à un accord raisonnable entre la Russie et l’Ukraine, nous pensons également qu’il est important qu’au cours des prochaines années l’Europe mette les bouchées doubles pour parvenir à assurer elle-même sa défense. » Ces mots, prononcés par le Vice-président américain JD Vance à l’occasion de la conférence de Munich sur la sécurité le 14 février, ont poussé les chercheurs de l’Institut français des relations internationales à réaliser un rapport évaluant les rapports de force entre l’Europe et la Russie. 

Le rapport, auquel a participé Elie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité de l’Ifri recherche, dresse un panorama des enjeux économiques, militaires et sociétaux de ce rapport de force. Dans leurs conclusions, les chercheurs expliquent que « la Russie constitue une menace durable ».

 « La Russie possède un avantage décisif en termes de masse, de puissance de feu, de capacité de mobilisation et de tolérance à l’attrition » 

Dans le cadre de son audition, Elie Tenenbaum rappelle les intentions hostiles de la Russie à l’égard des pays européens. Une hostilité qui s’explique par la volonté russe de « redéfinir l’ordre de sécurité en Europe ». Motivée par la volonté de réaffirmer sa domination sur l’ancienne sphère d’influence soviétique et d’endiguer l’extension de l’Otan aux pays d’Europe centrale et orientale, la Russie a développé « une conception élargie de la guerre ». Dans cette logique de confrontation avec l’Occident, Elie Tenenbaum estime que la Russie bénéficie d’un avantage sur l’Europe en matière de capacités militaires terrestres. « L’Europe dispose d’un certain avantage en termes de performance du commandement […], mais il faut constater que l’Europe est globalement à la peine sur la dimension clé de la performance terrestre », avance le chercheur de l’Ifri. Le rapport pointe notamment les importantes capacités russes en matière d’artillerie : « La Russie possède un avantage décisif en termes de masse, de puissance de feu, de capacité de mobilisation et de tolérance à l’attrition ». 

Cependant, cet avantage terrestre doit être relativisé au regard de la supériorité européenne sur la mer, dans l’espace et dans les airs. Néanmoins, le chercheur alerte sur l’importance pour les pays européens de pallier leurs faiblesses en matière de défense anti-aérienne et appelle à « revaloriser les stocks de munitions air-sol ». « A notre sens, les Européens, collectivement, ont les moyens économiques, le savoir-faire militaire, les compétences technologiques et industrielles pour faire face à la menace russe à la condition essentielle de faire preuve de la volonté politique et de la cohésion européenne qui est nécessaire », avance Elie Tenenbaum. 

Surtout, le rapport de l’Ifri écarte la possibilité d’une confrontation avec la Russie à très court terme. « Il y a deux choses qui empêchent la Russie de s’attaquer à un autre pays d’Europe, tout d’abord l’Ukraine et la résistance ukrainienne qui mobilise plus de 700 000 soldats russes, tant que la Russie est impliquée en Ukraine, elle ne l’est pas ailleurs. L’autre chose qui l’empêche, c’est la cohésion transatlantique et la solidité de l’Otan », pointe Elie Tenenbaum. 

Des partenariats stratégiques opposés 

Ce partenariat stratégique de la plupart des pays européens avec les Etats-Unis dans le cadre de l’Otan, même s’il est régulièrement menacé, demeure un avantage indéniable pour les Etats européens. Interrogé par la sénatrice Sophie Briante Guillemont (RDSE), Elie Tenenbaum rappelle que la Russie peut s’appuyer sur le soutien politique et économique de la Chine, les deux pays partageant des objectifs et une « vision commune du monde ». « Entre la Russie et la Chine, il y a un agenda de révision de l’ordre de sécurité internationale, un projet alternatif à la démocratie libérale que nous connaissons et un projet de rétablissement des sphères d’influence », souligne Elie Tenenbaum.

Par ailleurs, comme le montre l’exemple du Sahel, la Russie a cherché à renforcer son influence dans les pays du « Sud global » en profitant du rejet suscité par certains pays occidentaux et notamment les anciennes puissances coloniales en Afrique. « La Russie a réussi à fragiliser une position européenne qui paye le prix d’une certaine histoire » en investissant le champ informationnel, note le chercheur de l’Ifri. En répondant à des questions du sénateur Louis-Jean de Nicolaÿ (LR) et de la sénatrice Christine Lavarde (LR) sur le rôle de l’aide publique au développement, Elie Tenenbaum considère que « la conditionnalité [des aides au développement] a pu créer une forme de ressentiment », tandis que la Russie s’est inscrite dans une approche transactionnelle avec ces acteurs. Malgré cette recherche de nouveaux partenaires, la Russie n’a pas été en mesure d’offrir de nouveaux débouchés à son économie.

 « La Russie semble solide sur ses bases, mais ne cesse de se fragiliser » 

Exclue du marché européen et placée sous sanctions à la suite de l’invasion de l’Ukraine, la Russie a opéré une « réorientation massive des flux vers la Chine ». Si l’impact des sanctions européennes et américaines sur la Russie fait l’objet de débats, force est de constater que la Russie connaît une inflation croissante et un effondrement de ses réserves de devises. « La Russie semble solide sur ses bases, mais ne cesse de se fragiliser et sacrifie à l’effort de guerre tous les investissements dans l’avenir. Sur 2025, les réserves en or et les réserves de change en devises étrangères se sont considérablement effondrées, le trésor de guerre de la Russie s’est considérablement asséché », explique Elie Tenenbaum.

A l’inverse, l’Europe reste attractive pour les investissements » et « l’Europe a absorbé l’essentiel du choc énergétique », lié à la fin de l’importation des hydrocarbures russes. 

Des risques politiques faibles en Russie, l’Europe au défi de la montée des populismes 

Des éléments qui poussent Sophie Briante Guillemont à interroger Elie Tenenbaum sur la solidité du régime russe et l’existence ou non pour Poutine de risques concernant son maintien au pouvoir. « On sent bien une forme de tension, pour autant notre analyse c’est que le régime n’est ni aux abois sur le plan politique, ni au bord d’une révolution », juge Elie Tenenbaum. « On voit que la guerre en Ukraine et son coût énorme a provoqué une forme de réorganisation avec l’émergence d’une nouvelle classe sociale puisque les mobilisations russes en Ukraine se sont faites au prix de primes extrêmement élevées. Il y a une forme de nouvelle classe qui a gagné à cette association à l’effort de guerre et qui crée un terreau de résilience avec les élites des « siloviki » qui viennent prendre en tenaille une classe moyenne qui souffre des privations liées aux sanctions, liées à l’inflation, au désinvestissement dans les différents services publics », détaille le chercheur de l’Ifri. 

Malgré une certaine lenteur dans le processus décisionnel et la capacité de certains Etats membres comme la Hongrie à faire de l’obstruction, l’Union européenne reste unie et déterminée à affronter la menace russe. Pour les chercheurs de l’Ifri, la capacité européenne à maintenir cette unité sous la pression et la montée en puissance croissante des mouvements populistes sera déterminante.

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