Rassembler macronistes et LR pour 2027 ? Les sénateurs favorables au principe d’une candidature commune, mais « les primaires, non merci ! »

Les sénateurs des différents partis du bloc central estiment nécessaire d’engager une réflexion sur la possibilité d’une candidature commune pour la prochaine présidentielle, afin de limiter le risque d’éparpillement. En revanche, le principe d’une primaire qui irait de Renaissance aux LR, telle qu’évoquée par Gérald Darmanin ce week-end, rebute de nombreux élus, échaudés par ce mécanisme et ses précédents.
Romain David

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Comment départager les ambitions des uns et des autres à deux ans de la prochaine élection présidentielle ? « On devrait être capable de se dire quel est le meilleur d’entre nous et si ce n’est pas évident, alors il faudra peut-être faire un processus de sélection qu’on appelle la primaire ». Sur BFMTV dimanche 8 février, Gérald Darmanin, l’actuel garde des Sceaux, a évoqué la possibilité d’une primaire élargie, qui irait du camp macroniste jusqu’aux Républicains pour désigner un candidat capable de rassembler le bloc central en vue de la présidentielle 2027.

« Si jamais personne ne se dégage – c’est ma volonté que quelqu’un se dégage –, il faudra bien un processus de sélection. Ou alors on sera plusieurs candidats et donc on [ne] sera pas au second tour : on sera sans doute très contents d’être soi-même, mais on sera tout seul et les Français nous en voudront énormément », a-t-il alerté. À travers l’idée d’une primaire, c’est donc aussi celle d’une candidature commune à l’ensemble du bloc central que pousse le locataire de la place Vendôme.

Gérald Darmanin englobe dans sa réflexion Les Républicains qui depuis septembre se sont alliés aux soutiens présidentiels pour gouverner, tout en refusant de parler de « coalition ». Aujourd’hui leur parti est en pleine refondation, et menacé d’une nouvelle bataille fratricide entre Laurent Wauquiez d’un côté, qui cherche à s’imposer comme le candidat naturel de sa famille politique, et Bruno Retailleau de l’autre, qui a changé de stature depuis sa nomination au ministère de l’Intérieur. « Que ce débat interne ne soit pas simplement le choix entre Bruno et Laurent, mais aussi le fait, peut-être, de s’ouvrir davantage, de dire que ce qu’a fait le président de la République n’était pas totalement mauvais, que ceux qui l’ont soutenu avaient peut-être en partie raison… », explique Gérald Darmanin, qui a fait l’essentiel de sa carrière chez LR, avant d’en être radié lorsqu’il a rejoint le gouvernement en 2017.

Dans la matinale de Public Sénat, la députée Ensemble pour la République Maud Bregeon lui a embrayé le pas ce lundi matin : les électeurs du « socle commun » ne comprendraient pas qu’après « plusieurs mois, voire peut-être plusieurs années dans un même gouvernement », la droite et le centre ne soient plus « capables de se rassembler », a-t-elle défendu.

Une manœuvre politicienne

Dans les couloirs du Sénat, le mécanisme d’une primaire est loin de soulever l’enthousiasme des groupes politiques concernés. « Une vieille idée éculée, qui a montré à plusieurs reprises que ça ne marchait pas. Les primaires, non merci ! », cingle le sénateur Horizons Franck Dhersin, qui connaît bien Gérald Darmanin. « Le problème, c’est que le gagnant d’une primaire n’a jamais été celui de la présidentielle. Aujourd’hui, la situation politique est totalement bloquée, et Gérald Darmanin le sent. Je pense qu’il sort ça pour faire réagir, essayer de faire bouger les choses. Mais je ne pense pas que lui-même croit beaucoup à une primaire. »

Il est vrai que Gérald Darmanin, qui avait soutenu Nicolas Sarkozy en 2016, a vécu de l’intérieur la défaite de l’ex-président de la République, dont il était devenu le coordinateur de campagne, avant de renoncer à soutenir François Fillon, englué dans une affaire d’emplois fictifs. Aujourd’hui, le ministre de la Justice se voit concurrencé au sein du gouvernement par le très droitier ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Il doit aussi composer avec son ancien rival Gabriel Attal, devenu secrétaire général de Renaissance. Avancer l’idée d’une primaire lui permet de continuer à creuser son sillon.

« Gérald Darmanin se rend bien compte que son parti et son groupe à l’Assemblée nationale sont tenus par l’ancien Premier ministre. S’il s’en remet à son parti pour désigner le candidat, il sait que ça ne sera pas lui mais certainement Gabriel Attal. Il a donc intérêt à sortir des partis et des groupes parlementaires pour parler aux électeurs », décrypte auprès de Public Sénat le sénateur LR des Hauts-de-Seine Roger Karoutchi.

À droite, les grands brûlés des primaires

« Ces histoires de primaire ne sont pas nouvelles. Mais les conditions dans lesquelles elles se sont déroulées par le passé ont laissé des traces, à droite et chez les socialistes », rappelle Hervé Marseille, le président du groupe centriste. « La plupart des LR sont contre les primaires », balaye Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord.

À droite, évidemment, le souvenir de la débâcle de François Fillon en 2017 reste vif. L’ancien Premier ministre était l’un des outsiders de la primaire de la droite et du centre organisée quelques mois plus tôt, et qu’il avait gagné face à l’archi-favori Alain Juppé. Le crash de Valérie Pécresse en 2022 a aussi laissé des marques. La présidente de la région Île-de-France s’était qualifiée sur le fil au second tour de la primaire, avant de l’emporter contre Éric Ciotti. Les compétitions internes ont tendance à épuiser les équipes avant la présidentielle, elles réveillent les tensions internes et les haines recuites entre candidats. Par ailleurs, elles prolongent de plusieurs mois la séquence électorale de la présidentielle, avec un coût financier certain pour les partis.

À ce stade, David Lisnard est le seul ténor LR à s’être clairement exprimé en faveur d’une primaire de la droite, ouverte « à qui veut ». À l’occasion de ses vœux fin janvier, le maire de Cannes, président de la très puissante Association des maires de France, a insisté sur la nécessité d’« entrer rapidement dans un processus de sélection » pour 2027. « Je propose une compétition ouverte que je vais relever avec Nouvelle Énergie [son mouvement, ndlr] », a-t-il lancé devant près d’un millier de soutiens.

« La primaire n’a pas laissé des bons souvenirs chez LR, et un certain nombre de responsables ont demandé que son évocation soit retirée des statuts et du règlement intérieur du parti », souligne Roger Karoutchi. « Je ne dis pas non d’office à une primaire unique. L’idée est sur la table, examinons-la. Mais avant, il faut déjà savoir si Les Républicains et le bloc central sont d’accord pour avoir un candidat unique. Ce principe-là doit être débattu. »

Le risque de multiplication des candidatures

Si le mode de désignation interroge, l’hypothèse d’une candidature commune à l’ensemble des partis qui soutiennent le gouvernement séduit plutôt, tant le risque d’éparpillement effraie une majorité élimée par la dynamique du Rassemblement national. « Il y a un principe de base sur lequel beaucoup de monde s’accorde, c’est que nous avons pas mal de candidatures à la candidature. Si on laisse tout le monde y aller, on assure l’élection de Madame Le Pen », estime Hervé Marseille. « Certains sont légitimes. Je ne vais pas donner de noms, mais quand vous avez dix candidats aux présentielles… C’est qu’il y en a déjà quelques-uns en trop », raille Roger Karoutchi.

« Le problème, c’est qu’ils ont tous envie d’y aller. Ce poste rend fou », constate Franck Dhersin. « Edouard Philippe est plutôt légitime, c’est une figure rassurante même si certains estiment qu’il ne s’exprime pas assez sur les sujets importants. À droite, nous n’en sommes pas encore à la guerre des chefs entre Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau mais à savoir qui, entre les deux, sera candidat à la candidature. N’oublions pas le maire de Cannes, David Lisnard, et le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, qui se préparent aussi à faire entendre leurs voix. Côté Renaissance, il y a bien Gabriel Attal, un type remarquable, plein de talent, mais je ne pense pas que son moment soit venu. La tendance est plutôt à vouloir tourner la page du macronisme », résume le sénateur du Nord. « Et puis il y a François Bayrou. Pourquoi ne voudrait-il pas y aller ? »

« Il faudra regarder où nous en sommes dans les sondages et si nous avons la capacité d’avoir deux candidats, un LR et un du bloc central. Est-ce que cette situation nous permettra quand même d’être au second tour ? Globalement, on ne le saura pas avant un an », explique Roger Karoutchi. « Plus vous approcherez du terme du mandat d’Emmanuel Macron, plus les électeurs du président vont se reclasser, entre ceux qui viennent de la droite, et ceux qui étaient issu du bloc social-démocrate. »

« Les choses vont se décanter dans les mois à venir. La première échéance, c’est le 31 mars, avec la décision du tribunal sur une possible inéligibilité de Marine Le Pen », poursuit Franck Dhersin. « Si elle ne peut pas se présenter à la présidentielle, il y a des chances que l’extrême droite implose », avance le sénateur, ce qui rebattrait nécessairement les perspectives du bloc central.

D’ici là, de nombreux parlementaires alertent sur le manque d’échanges entre les soutiens de l’exécutif, ce qui permettrait de lever certaines ambiguïtés, par exemple sur les possibilités d’élaboration d’un programme commun. « Nous avons besoin d’un mécanisme spécifique pour créer de la coordination entre les partis et dans les territoires, une espèce d’organisation politique transversale », insiste Hervé Marseille. « Pour l’instant, la seule coordination que nous avons, ce sont les petits-déjeuners hebdomadaires de la majorité, à Matignon. C’est loin d’être suffisant. »

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