Le gouvernement français, confronté à la bronca d'une partie de l'opinion, a mis la pression mardi sur le Brésil, en affirmant que Paris n'était pas prêt à ratifier l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur si Brasilia ne respectait pas une série d'engagements.
"La France pour l'instant n'est pas prête à ratifier" l'accord signé entre l'UE et les pays du Mercosur, a indiqué mardi la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye.
Paris va "regarder dans le détail et en fonction de ce détail décider", alors que le gouvernement cible notamment le Brésil du président Jair Bolsonaro aux positions favorables à l'agro-business, à la déforestation, au recours massif aux pesticides.
Une déclaration que le chef de la diplomatie brésilienne Ernesto Araujo juge "destinée à un public français".
Quelques jours plus tôt, au sommet du G20 d'Osaka, le président français Emmanuel Macron s'était réjoui d'un "bon" accord. Mais la bronca n'a pas tardé, à la fois des secteurs économiques qui ont à perdre, ainsi que des écologistes et des ONG dénonçant les méfaits de la mondialisation libérale.
"Je vois une logique" dans la position française "dans le sens où cet accord peut avoir des conséquences significatives sur l'agriculture européenne et sur l'environnement à niveau global", estime pour l'AFP Sébastien Jean, directeur du Cepii (Centre d'études prospectives et d'informations internationales).
"La question n'est pas seulement de savoir si cet accord est commercialement intéressant, il faut s'assurer qu'il est cohérent avec les objectifs qu'on s'est fixés en matière de pratiques agricoles durables et de lutte contre le changement climatique, centraux dans notre politique", selon lui.
- "Bras de fer"-
Au fond, "c'est le premier pas d'une espèce de bras de fer qui va s'engager pour la mise en place concrète de l'accord", analyse pour l'AFP Carlos Quenan, vice-président de l'Institut des Amériques à Paris.
Cette confrontation va se manifester sur deux plans : l'un, international, où chaque pays cherchera à faire prévaloir ses intérêts nationaux ; l'autre sera celui de l'opinion publique et portera notamment sur les aspects écologiques.
"On entre dans un processus où il faudra voir le rapport de force des différents secteurs de l'opinion publique", estime M. Quenan, alors que l'environnement est un sujet de préoccupation croissant des Français, comme l'a montré la performance des écologistes aux élections européennes de mai.
"La mondialisation débridée emporte l'Europe dans une vague d'accords de commerce incompatibles avec la lutte contre le dérèglement climatique", a déclaré dimanche l'emblématique Nicolas Hulot, une voix de l'écologie en France, alors que l'Europe a aussi mis en place un accord de libre-échange avec le Canada (Ceta).
Pour rassurer l'opinion, le gouvernement multiplie les déclarations de fermeté.
Le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, a assuré que l'accord ne serait ratifié que si le Brésil respecte ses engagements, notamment en matière de lutte contre la déforestation en Amazonie.
Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a rappelé mardi qu'il y avait des "lignes rouges" au-delà desquelles elle ne ratifierait pas : "le respect intégral de l'accord de Paris (sur le climat, ndlr), la protection des normes environnementales et sanitaires, la protection de nos filières".
"Et quand je vois que sur l'accord de Paris, il y a un revirement considérable du président brésilien, on demande à ce que ce soit concrétisé dans des orientations précises. Nous demandons à voir", a-t-il prévenu.
- Mobilisation "tous azimuts" -
Concernant les secteurs d'activité menacés, "nous avons demandé une clause de sauvegarde" pour les filières sucrières et bovines qui permette "de décider de stopper net les importations dans les filières fragiles s'il y a une destabilisation manifeste de ces filières", a fait valoir Mme Ndiaye.
Les agriculteurs français ont rapidemment réagi et vont manifester "tous azimuts" dès mardi soir un peu partout en France, selon leurs organisations.
"Il appartient à la Commission européenne de préciser à ses pays membres, y compris la France, ce qui se trouve dans l’accord", a estimé M. Araujo.
Un long parcours attend le compromis de vendredi au sein des instances européennes puis dans chaque État membre où, souvent, les Parlements auront leur mot à dire.
Pour M. Quenan, "il est toujours possible que les parlementaires ne ratifient pas, c'est déjà arrivé, mais ce me semble difficile. Les exportateurs européens qui n'ont rien à voir avec le secteur agricole, comme l'industrie, voient cet accord avec intérêt".