Camera de videosurveillance dans une rue

Reconnaissance faciale : une proposition de loi censée écarter « tout risque d’une société de surveillance »

Mercredi, la commission des lois du Sénat a adopté une proposition de loi qui vise à encadrer le recours à la reconnaissance faciale dans l’espace public. Pour l’auteur du texte, Marc-Philippe Daubresse, ce texte remplit « un vide juridique » et « écarte tout risque d’une société de surveillance ».
Simon Barbarit

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C’est une question de sécurité publique et de libertés individuelle qui occupe la Haute assemblée depuis déjà quelques mois. Il y a un an, un rapport sur « la reconnaissance faciale et ses risques » était adopté à l’unanimité par la commission des lois. Le rapport formulait 30 propositions pour définir une ligne de conduite nationale sur la reconnaissance biométrique, fixer les bases d’un cadre juridique et « renforcer la souveraineté technologique de la France et de l’Europe ».

Gérald Darmanin opposé à la reconnaissance faciale

A l’approche des Jeux Olympiques, les trois co-rapporteurs, Marc-Philippe Daubresse (LR), Arnaud de Belenet (Union centriste) et Jérôme Durain (PS), avaient la charge de plancher sur ce dossier. Mais en pleine campagne présidentielle, le gouvernement doutait de pouvoir mener un débat apaiser sur ce dossier. Les élections passées, le ministre de l’Intérieur ne s’était pas montré plus allant. « Je ne suis pas pour la reconnaissance faciale » […] « Cela pose la question de la société que l’on veut, il faut accepter une part de risque, même si ce débat est toujours difficile à tenir. Je ne suis pas sûr que nous ayons les moyens de garantir que cela ne soit pas utilisé autrement par la suite », avait argumenté Gérald Darmanin, auditionné en octobre dernier.

Le débat est revenu à la chambre haute lors de l’examen du projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Pour mémoire, ce texte prévoit l’expérimentation jusqu’en 2025 de la vidéosurveillance automatisée par intelligence artificielle. Le système analyse en temps réel les images pour détecter certains événements prédéterminés considérés comme « anormaux », les attroupements suspects, un colis abandonné, ou une personne qui court dans le sens inverse du déplacement de la foule. L’objectif était aussi de lutter contre le risque d’attentat terroriste.

Un dispositif insuffisant pour Marc-Philippe Daubresse qui avait déposé un amendement en commission pour encadrer la reconnaissance faciale avant de le retirer. « Nous prenons un risque majeur en n’utilisant pas cet outil. Le risque d’attentat est patent pour cet évènement sportif extraordinaire », avait plaidé le sénateur du Nord avant de reconnaître que le Sénat « ne pouvait pas débattre de ce sujet au détour d’un amendement alors que le gouvernement a exclu la reconnaissance faciale du texte ». L’ancien ministre avait également annoncé le dépôt d’une proposition de loi sur le sujet.

C’est ce texte qui a été adopté en commission mercredi 31 mai. A la manière de la loi SILT, (loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme d’expérimentation), il entend mettre en place une expérimentation de trois ans sur le recours à la reconnaissance biométrique. « Ce texte remplit un vide juridique et donne des éléments pour écarter tout risque d’une société de surveillance. Si on ne légifère pas, nous restons soumis règlement général sur la protection des données (RGPD) », assure à publicsenat.fr, Marc-Philippe Daubresse. Le RGPD interdit le traitement des données biométriques sauf cas exceptionnels avec le consentement exprès des personnes, pour protéger leurs intérêts vitaux ou sur la base d’un intérêt public important.

L’article 1er de la proposition de loi s’appuie sur le projet règlement européen sur l’intelligence artificielle actuellement en cours de discussion et pose un principe général d’interdiction. Sont ainsi interdits toute catégorisation et notation des personnes physiques sur la base de leurs données biométriques, la reconnaissance des personnes physiques sur la base de leurs données biométriques en temps réel dans l’espace public et dans les espaces accessibles au public.

Les articles suivants posent les cas où une dérogation est possible. L’article 2 prévoit la possibilité, pour les organisateurs de grands événements particulièrement exposés à des risques d’actes de terrorisme ou à des risques d’atteinte grave à la sécurité des personnes, de mettre en place un système d’authentification biométrique sans le consentement des personnes filmées. Les organisateurs devront démontrer le haut niveau de fiabilité du système d’identification.

A noter que les traitements « ne pourront procéder à aucun rapprochement, interconnexion ou mise en relation automatisés avec d’autres traitements de données à caractère personnel et demeureront en permanence sous le contrôle des agents chargés de leur mise en œuvre ». Ces agents devront être individuellement formés et habilités.

Concernant les usages judiciaires, la commission a estimé que le recours à la reconnaissance biométrique a posteriori ne devait être expérimenté que dans le cadre des enquêtes et instructions portant sur des infractions d’une exceptionnelle gravité ; terrorisme, trafic d’armes, atteintes aux personnes punies d’au moins cinq ans de prison ou des procédures de recherche de personnes disparues ou en fuite.

Le recours à la reconnaissance faciale en temps réel ne concernera également que les cas les plus extrêmes ; terrorisme, atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, infractions relatives à la criminalité organisée. L’usage de cette technique sera réservé aux officiers de police judiciaire. Seul juge des libertés et de la détention pourra procéder au renouvellement de l’autorisation de recourir aux traitements biométriques. A noter que seront interdites, toutes mise en commun des données biométriques exploitées dans les différentes enquêtes.

« Chacun devra prendre ses responsabilités »

Le rapport rédigé par le questeur du Sénat, Philippe Bas (LR) ajoute un article 1er ter. Il prévoit que le traitement des données biométrique devra être développé par l’État ou sous son contrôle, avant d’être individuellement autorisé par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ou de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

En séance publique le 12 juin prochain, le texte devrait sous toute vraisemblance être adopté par la majorité sénatoriale de la droite et du centre. Les écologistes et les communistes avaient eux déjà dénoncé une « société de surveillance », lors des débats du projet de loi JO qui instaure la vidéosurveillance « augmentée » pour les prochains évènements sportifs.

« Même sans l’appui du gouvernement, cette proposition de loi sera votée au Sénat, on verra ce qui se passera ensuite à l’Assemblée nationale. Mais si les outils actuels ne permettent pas d’éviter un attentat lors des JO, chacun devra prendre ses responsabilités », prévient Marc-Philippe Daubresse.

 

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